L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.

Baroque : l’heureuse parenthèse catholique du classicisme

Tete d’une conférence donnée par l’abbé Éric Iborra.

Au moment où sous l’influence des nouvelles découvertes archéologiques le 18e s. finissant renoue avec les paradigmes de la Renaissance et s’oriente vers le néoclassicisme, le baroque devient hermétique à la raison esthétique. Il le demeurera longtemps. Quincy écrit en 1788 : « Le baroque en architecture est une nuance du bizarre. Il est, si l’on veut, le raffinement, ou s’il était possible de le dire, l’abus. L’idée de baroque entraîne avec elle celle de ridicule à l’excès ». Et Milizia de surenchérir : « le superlatif du bizarre, l’excès du ridicule ». La baroque n’est-il donc qu’une corruption des canons classiques, une décadence dans l’esthétisme, la profanité, la mondanité, pour parler comme le nouveau pape ? Le P. de la Brosse écrivait jadis : « Pour moi, le choix semble simple et définitif : il faut aimer le baroque ou renoncer à vivre à Rome. Cette forme d’art constitue en effet le vrai classique de Rome ». Et j’ajouterais volontiers : le vrai classique des Romains, pour autant qu’ils se sont inspirés de l’art des Grecs.

L’art baroque naît de la Réforme de l’Église catholique consécutive au concile de Trente, initiée dans la 2e moitié du 16e s. et il se déploie dans la 1re moitié du 17e s. Cet art est né à Rome, s’est propagé dans les pays latins et leurs colonies, avant de gagner l’Europe centrale et orientale grâce aux Habsbourg où il y connaîtra des mutations, celles du Rococo. Le terme lui-même vient du portugais barrocco qui désignait des perles aux formes irrégulières. Rien que par cette note, on comprend que le baroque soit à l’opposé du néoclassicisme de la Renaissance : il se définit avant tout par l’exubérance, la théâtralité, la recherche de l’effet, la richesse des matériaux, la pompe, l’expression du sentiment. Il vise à toucher, à émouvoir. Il se caractérise par une volonté de mouvement, qui anime façades, statues et tableaux, par une passion de la couleur, qui suggère la richesse inépuisable et bariolée de la création, par une invitation à l’illusion, qui rapproche les mondes, celui du ciel et celui de la terre.
Car si papes et évêques, rois et princes édifient églises et palais, redécorent les constructions antérieures à nouveaux frais, c’est un art essentiellement catholique, né d’une intuition spirituelle. L’Église s’en sert pour illustrer sa vision du monde, aux antipodes de l’iconoclasme protestant et de son pessimisme anthropologique. Le baroque véhicule un humanisme théologique : il illustre le dogme, soutient la piété, reflète l’universalisme du catholicisme, tout ceci à travers le sens de la fête qui le caractérise. Il saisit l’existence dans toutes ses dimensions. Il ne se circonscrit pas qu’à l’architecture : il trouve son expression dans toutes les formes de l’art : de la peinture aux arts décoratifs, de la musique à la littérature. C’est un art de la gloire qui assume tout le tragique de l’existence humaine, engloutissant la mort dans sa passion de la vie. Son macabre, avec ses squelettes déhanchés, n’est que l’illustration des stigmates sur le corps glorifié du Christ ressuscité et des saints qui forment avec lui l’Église triomphante.
L’art baroque fait lever les yeux vers le ciel. Il transpose grâce au sensible la dévotion de l’époque, fondée sur l’oraison mentale et le culte liturgique. Il s’agit d’illustrer à la fois l’œuvre de Dieu à l’intime des cœurs avec sa traduction dans l’extase – S. Ignace au Gesù, S. Thérèse à S. Maria della Vittoria – et dans l’expansion de l’Église hiérarchique qui, grâce aux missions, s’étend à tous les continents. Intimité et démesure, S. André du Quirinal et le baldaquin de S. Pierre, le silence de l’oraison personnelle et le faste des cérémonies pontificales, la considération de la mort avec ses attributs stylisés et l’irruption de l’Église triomphante sur les voûtes et sous les coupoles resplendissantes de couleurs et d’ors ! Un art où tous les saints, et surtout ceux de la toute récente Contre-réforme, sont mobilisés, représentés le plus souvent dans des attitudes de ravissement qui affirment la réalité efficace de la grâce sur l’homme qui n’est plus alors que réponse adorante.

Comme toute forme d’art vivant, le baroque s’est trouvé lié à une certaine expression du message chrétien en harmonie profonde avec la sensibilité d’une époque. Il est lié à une civilisation qui avait besoin d’une riche extériorité pour exister. Tant que cette harmonie a duré, son message spirituel a été compris. Quand cet ordre aristocratique s’est affaibli, il a cessé de toucher, il est devenu bizarre...

Prolongez la discussion

Le R&N a besoin de vous !
ContribuerFaire un don

Le R&N

Le Rouge & le Noir est un site internet d’information, de réflexion et d’analyse. Son identité est fondamentalement catholique. Il n’est point la voix officielle de l’Église, ni même un représentant de l’Église ou de son clergé. Les auteurs n’engagent que leur propre conscience. En revanche, cette gazette-en-ligne se veut dans l’Église. Son universalité ne se dément point car elle admet en son sein les diverses « tendances » qui sont en communion avec l’évêque de Rome : depuis les modérés de La Croix jusqu’aux traditionalistes intransigeants.

© 2011-2025 Le Rouge & le Noir v. 3.0, tous droits réservés.
Plan du siteContactRSS 2.0