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Du danger d’une lecture littéraliste de la Bible

10 février 2012 Contributeurs extérieurs

Le snake handling, un exemple de la dérive de certains pentecôtistes...

Au détour d’une réflexion sur le fanatisme que me demandait mon école, je me suis souvenu d’une pratique religieuse singulière, à dire vrai mortelle. Elle a cours depuis plus d’un siècle au Sud des États-Unis. Je me fais fort de vous l’expliquer dans le présent article. Il s’agit du « snake handling », maniement de serpents dans la langue de Racine. Elle se concrétise ainsi dans les faits : les participants au rituel dansent et frappent dans leurs mains à l’unisson d’un rock chrétien aux accents sudistes. Ils brandissent un serpent dans chaque main et le secouent pour mieux l’exciter. N’allez pas croire que ces reptiles soient inoffensifs. Leur morsure peut amener le trépas plus vite qu’il n’en faut à un journaliste pour réécrire une dépêche AFP. Mais le danger n’effraie pas ces fidèles de l’extrême. Ils estiment que l’Esprit saint de Jésus-Christ les gardera du poison.

Pourquoi se livrer à une telle pratique, je vous le demande ? Tout est parti de ces quelques paroles de Jésus-Christ : « Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles, ils saisiront des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera pas de mal  ; ils imposeront les mains aux infirmes, et ceux-ci seront guéris. » (Mc XVI,17-18).

Cette tirade est la dernière prononcée par Jésus avant son ascension aux cieux. Pour cette raison, elle revêt une importance quasi-prophétique pour les adeptes du « snake handling ». «  En tant que dévôts de la Bible, ils expérimentent le désir d’obéir à l’ultime commandement de Jésus avant son départ au ciel » confirment Ralf Hood, professeur de l’université de Tennessee, et Paul Williamson, professeur de l’université de l’Arkansas. Les deux chercheurs ont abattu un travail de bénédictin pour illustrer ce phénomène, synthétisé dans leur livre « « Them that believe : the power and meaning of the Christian Serpent-Handling Traduction  » (Berkeley University of California Press, 2008). Je vous en résume les points qui m’ont parus les plus frappants.

La pratique a toujours cours dans une dizaine de paroisses du Sud des Etats-Unis

La pratique du « snake handling » s’est développée dans les années 1910 au sein d’Églises pentecôtistes du sud des Appalaches, en premier lieu le Tennessee. Elle s’est depuis répandue dans les états d’Alabama, du Kentucky, de Georgie, de Caroline du Sud et de Virginie Occidentale.

Elle toucherait aujourd’hui une petite douzaine de congrégations religieuses dans le pays, soit moitié moins qu’au faîte de sa gloire dans les années 40. Toutefois, une liste exhaustive des lieux de culte ou du nombre de fidèles est impossible à établir, en raison de son illégalité. Elle est interdite dans de nombreux états des États-Unis, dont le Tennessee, l’Alabama ou le Kentucky. Certains fidèles pratiquent les rites chez eux, de manière souterraine, sans se manifester. Hood et Williamson soulignent ainsi que sur les 105 différentes cérémonies citées par les fidèles interrogés, 22 s’étaient déroulés en dehors de l’Eglise.

Le livre des deux chercheur explique que cet acte est, aux yeux des fidèles, un impératif sacré comme un autre. Les pratiquants le comparent à celui de la communion pratiqué par les chrétiens. Le « snake handling » est pourtant à nul autre pareil : il a entraîné la mort d’au moins 99 personnes depuis le début du XXe siècle. J’ai du mal à croire qu’un nombre équivalent de fidèles se soit mortellement étouffé avec une hostie durant ce laps de temps.

Si la pratique est illégale, les sanctions prévues par la loi restent mineures : le Kentucky prévoit des amendes allant de 50 à 100$. Autant dire qu’elles sont aussi dissuasives qu’Hadopi. Dans les faits, la loi n’est quasiment pas appliquée. Elle en aurait pourtant grand besoin ; le dernier cas connu de décès des suites de cette pratique remontait à 2006, au Kentucky justement. La personne en question avait 48 ans.

Une pratique qui s’enracine dans la théologie pentecôtiste

L’analogie tirée par Hood et Williamson entre cette pratique et la religion protestante est enrichissante à bien des égards. Le rituel apparaît tout d’abord comme un signe d’élection par Dieu. Les protestants sont attachés au concept de prédestination, dont j’avais déjà parlé dans un autre article sur le rapport des protestants avec le capitalisme et que je reprends ici brièvement. Dieu aurait déjà décidé du salut de chaque homme à leur naissance, sans leur en référer. L’homme est donc condamné à errer sur Terre sans être certain du sort que lui réservera Dieu dans l’au-delà. Il ne peut que récolter les indices que leur enverrait le Démiurge. La morsure de serpent est, à ce titre, un indice radical. Elle permet de faire le tri entre les élus et les bannis. Les participants au rituel s’approprient, en quelque sorte, cette expression qu’aurait prononcé au XIIIe siècle Arnaud Alméric, légat du Pape Innocent III, au cours d’un pillage : «  Tuer les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! ».

Plus spécifiquement, que le mouvement se soit développé au sein de paroisses pentecôtistes, certes en très petit nombre, n’a rien de trop étonnant. Le pentecôtisme, qui émerge au XVIIIe siècle en Angleterre, prône dès ses débuts une réactualisation des charismes (dons particuliers que confère la grâce divine) de l’Eglise chrétienne des origines. Ces charismes comprennent le baptême du Saint-Esprit comme au jour de la Pentecôte, le don des langues (glossolalie) ainsi que l’accomplissement de miracles, particulièrement celui de guérison. C’est bien de ce dernier dont il est question chez les partisans du « snake handling ». L’homme qui se fait mordre par un serpent doit être capable de se guérir de lui-même. Le pentecôtiste croit en effet que « Dieu vient visiter le chrétien en le dotant de dons miraculeux » (encyclopédie universalis). Si le croyant survit à la morsure, la preuve en est, pour les croyants, que Dieu les a choisi.

Les fidèles, en choisissant le sacrifice conscient de leur vie pour mieux affirmer leur foi, peuvent être apparentés à des fanatiques

George Went Hensley (1880-1955), pasteur pentecôtiste, est considéré comme le père du mouvement. L’homme, natif du Tennessee, a un parcours atypique : il ne savait pas lire (une assistante se chargeait de lui lire la Bible), avait un penchant pour la boisson, s’était marié plusieurs fois et avait été notamment arrêté pour s’être livré au commerce d’alcool illégalement distillé. Sa croyance du « snake handling » lui viendra d’une expérience mystique vécue entre 1908 et 1914. Dès lors, il s’acharnera à diffuser la pratique. Il finira par mourir d’une énième morsure de serpent lors d’une célébration religieuse. Il refusera tout soin, même à l’article de la mort.

C’est là un point essentiel du fanatisme : être prêt au sacrifice de sa vie pour accomplir ce en quoi l’on croit. Et ceci en toute connaissance de cause. « La conscience de la mort était toujours présente chez les participants interrogés, contrairement aux stéréotypes en usage. Jamais nous n’avons rencontré de pratiquant qui n’étaient pas conscient que les serpents signifiaient la mort  », racontent Hood et Williamson. Les deux chercheurs soulignent ensuite que 16 des 17 participants interrogés connaissaient au moins une personne morte des suites du rituel. Certaines les ont même vu mourir. L’on ne peut donc parler d’inconscience du danger à proprement parler. L’instinct de conservation est refoulé par les dévôts.

L’étymologie du terme « fanatisme » se rattache du reste aisément au mouvement du « snake handling ». Le mot fanatique désigne originellement un prêtre du culte de Bellone (déesse de la Guerre sous l’Antiquité romaine) qui, à l’issue d’une révélation mystique, se mutilait. C’est également au terme d’un rituel constitué de chansons, de danse et d’applaudissements scandés que les adeptes du « snake handling » poussent les serpents à les mordre. Donc à les mutiler. Le fanatique, dans le sens premier du terme, est un homme inspiré, en proie au délire au cours d’une cérémonie religieuse. Les pratiquants du snake handling n’ont rien à leur envier sur ce point.

« Beaucoup de familles pratiquantes vivent dans de belles maisons et ont des enfants qui vont à l’université »

Le dernier point est à mon goût le plus frappant, ainsi que le plus effrayant. Hood et Williamson ont découvert que les dévots s’adonnant au « snake handling » n’étaient pas forcément pauvres et/ou manquant d’éducation. «  Il est vrai que le mouvement, à ses débuts, a émergé dans les classes inférieures. Mais le mouvement s’est diffusé sur quatre générations. Aujourd’hui, beaucoup de familles pratiquantes vivent dans de belles maisons et ont des enfants qui vont à l’université et en sortent diplômés ».

La corrélation entre fanatisme et manque d’éducation n’est donc pas aussi évidente qu’elle n’y paraît. C’est du reste l’un des enseignements tirés par d’autres études antérieures sur le fanatisme, par exemple le livre « Croire et détruire, les intellectuels dans la machine de guerre SS » (2010), de l’historien Christian Ingrao. Le chercheur y montrait que nombre de chercheurs allemands des années 30, qui juristes, qui historiens, qui philosophes, ont adhéré à l’idéologie du IIIe Reich sans coup férir. Donnons le mot de la fin à Sartre, qui écrivait dans Les Mots (1964) : «  La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas  ». Ce n’est malheureusement pas au pied de la culture que l’on mesure la bêtise.

Pierre Wolf-Mandroux

10 février 2012 Contributeurs extérieurs

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