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[J. OUSSET] L’autorité est-elle une entrave à la liberté ?

17 décembre 2014 Thibault Corsaire

Il est interdit d’interdire. On prétend privilégier aujourd’hui la liberté absolue tout en cultivant une méfiance, voir une opposition, vis-à-vis du principe d’autorité. Quelle est la liberté des enfants de Dieu ? L’amour a-besoin de la liberté parce qu’il ne peut y avoir d’amour directement contraint.
Chaque mercredi, le Rouge & le Noir publie un extrait de Jean Ousset (1914-1994). Ces extraits ont pour objectif de répondre à une question, en se fondant sur les Ecritures. (Source : « Le couple Liberté-Autorité », in Verbe Supplément n° 8, août-septembre 1955, p. 24, 32-34, 39)
Pour se former et agir à l’école de Jean Ousset, ces publications sont diffusées en collaboration avec Ichtus, organisation héritière de la pensée et de son œuvre.
Ichtus propose des formations « Anthropologie et Politique » à l’école de JP II avec Bruno de Saint Chamas, « Faire aimer la Civilisation » par l’Art avec Nicole Buron, « Les ateliers de l’Histoire » avec Martin Dauch.

L’autorité est-elle une entrave à la liberté ?

Saint Jean 8,31-36 « la vérité vous rendra libre  »
31 Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ;
32 alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »

Ce thème d’un accord fondamental entre l’autorité, entre l’obéissance même, et la vraie liberté est un des plus familiers à son enseignement. On le trouve dans l’Ancien Testament, on le retrouve dans le Nouveau, on le trouve dans la Liturgie et il est peu de saints qui ne l’aient repris plus ou moins. Les images peuvent varier. L’idée reste la même.
« Veritas liberavit nos - La vérité vous rendra libres ».
La vérité, c’est-à-dire, pourtant, cet objet qui exige l’assentiment, la soumission de nos intelligences, et que le Seigneur prétend libératrice malgré tout.
« ... liberam servitutem  », lisons-nous dans la collecte pour les ordinands. « Que nous puissions apporter toujours à votre service notre libre dépendance. Nous vous en prions par Jésus-Christ Notre Seigneur ». « Servir Dieu, c’est régner », dit également saint Grégoire dans son commentaire du psaume CI, v. 23 . Et, dans la postcommunion de la messe de saint Irénée, au 28 juin, la même formule est reprise : « Dieu, qui êtes l’auteur de la paix et qui l’aimez, Vous que connaître est vivre et servir régner... » C’est, enfin, sous la formule plus directe encore de « Tibi servire libertas » « Te servir, c’est la liberté - Te servir, c’est être libre » que saint Louis-Marie Grignion de Montfort a voulu terminer son célèbre Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge.

Deuxième lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens ; III ; 17 : «  Or, le Seigneur, c’est l’Esprit et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. »
17 Or, le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté
.

Car, nous explique saint Paul dans sa Deuxième lettre aux Corinthiens (III, 17), « le Seigneur est esprit et, là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté  ».
Autant dire que cet Esprit, auquel il faut pourtant obéir absolument, cet Esprit, qui n’est autre que le Souverain Maître et Ordonnateur de toutes choses, le Souverain par excellence et l’Autorité infinie, le Roi de rois et le Seigneur des Seigneurs, cet Esprit est, malgré cela, présenté par l’Apôtre comme un Esprit de liberté, un Esprit qui libère.
Et nous n’aurions, pour multiplier ces références, que l’embarras du choix, tant l’idée qu’elles expriment est fréquente dans les Ecritures, l’enseignement de l’Eglise et les innombrables textes des saints. (p. 24) (…) La liberté des enfants de Dieu (…) La formule est rigoureuse, et plus rigoureuse, peut-être, qu’on ne pense. (…) Dans le langage de l’Ecriture, comme dans celui des peuples anciens, la condition libre par excellence, à l’opposé de la condition d’esclave, n’est-ce point la condition filiale ? (…) c’est tout à la fois le devoir d’être soumis au père autant que l’assurance de régner avec lui. (…)(p. 32) Mais, « liberté des enfants de Dieu », qu’est-ce à dire encore si ce n’est que Dieu est père, « notre père » ? Et nul n’est plus père que Lui, « nemo tam pater », enseigne saint Augustin. Or, si Dieu peut être ainsi déclaré le père par excellence, n’est-ce point parce qu’il est amour ?

Première Lettre de St Jean ; IV ; 16 : « Dieu est amour »
16 Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

« Deus caritas est », nous dit saint Jean.

Tout est là ! Et rien n’existerait sans cela ! Voici, dans le principe comme dans la fin, la raison de tout et, donc, la raison de notre liberté.

Mais raison qui va nous apparaître d’une richesse, d’une force extraordinaire. Car, si l’amour de Dieu est, en effet, cause universelle, nous allons voir qu’en ce qui concerne notre liberté, cette causalité divine va se faire, si l’on peut dire, plus adorablement délicate, plus ineffablement tendre, et telle que nous ne pourrions certainement pas la découvrir si nous avions à parler de ce que l’univers minéral, végétal ou animal compte de plus exquis ou de plus précieux.

Il y a, en effet, au chapitre de la liberté, ce qu’on ne trouve nulle part ailleurs... : la convenance exacte de la liberté à l’amour. Autrement dit, l’amour de Dieu, pour se complaire vraiment dans une créature, devait la rendre libre. Car l’amour, en effet, selon le mot de sainte Thérèse de Lisieux, « ne se payant que par l’amour », il est clair que l’amour postule, par là-même, la liberté, parce qu’il n’y a pas, parce qu’il ne peut pas y avoir d’amour directement contraint.

Il n’est pas d’échange d’amour possible avec des robots. Donc, pour que Son Amour pût être effectivement payé par de l’amour, Dieu ne pouvait faire autrement que de créer des êtres libres, des êtres qui ne le paieraient ni avec de l’or ni avec de l’argent, mais par le libre élan vers Lui de tout leur être. Et n’est-ce point là vraiment le test suprême de l’amour ? Pour qu’Il pût être réellement payé par de l’amour, il était impossible que Dieu nous contraignît à l’aimer directement. (…)

Bien loin donc de se présenter à nous dans l’éclat d’une Toute Puissance qui ne pourrait que s’imposer, ce Dieu d’amour, tout au contraire, tendra à s’effacer ; il se fera « Deus absconditus - Dieu caché », un Dieu qui tient surtout à ne laisser parler, d’abord, si l’on peut dire, que les merveilles qu’il nous offre dans Sa Création dans Sa Rédemption, dans son Eglise...(
Il se fera « mendiant d’amour », comme ces «  soupirants » qui se consument et ne savent trop comment s’y prendre pour obtenir, dans le charme de sa spontanéité, une libre réponse d’amour de l’être aimé.

Toute la création (…) proclame la Puissance de Dieu. Il a suffi d’un éclair de Son Vouloir, et les mondes, les galaxies, ont pris docilement leur course dans l’espace. Univers physique ou chimique, végétal ou animal, tout a obtempéré et obtempère encore sans broncher aux prescriptions de la Souveraineté Infinie. Mais, s’agit-il des êtres libres que nous sommes, la Toute Puissance paraît s’évanouir. Et cela, non seulement parce qu’Elle nous a créés « le moins possible », selon le joli mot de Blanc de Saint-Bonnet, mais parce que Dieu semble vraiment tenu en échec devant la liberté de l’homme. Celui auquel les étoiles, autant que la mer et les vents, obéissent apparaît soudain comme ne sachant plus que faire, ni comment s’y prendre pour obtenir la libre réponse d’amour.

On sait jusqu’où est allé le paradoxe adorable... : jusqu’à l’humiliation d’un Dieu s’abaissant et souffrant, jusqu’à Sa mort et « mortem autem crucis », s’étonne saint Paul éperdu, et jusqu’à Sa mort sur la croix. Oui ! Telle est la force de notre liberté qu’on a pu voir un Dieu s’abaisser devant elle ; mais parce que telle est la loi de l’amour…

Première Lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens ; III ; 21-23 : « Vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu »
21 Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme. Car tout vous appartient,
22 que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous,
23 mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

(…) Notre volonté, comme telle, ne pouvant se porter qu’à des biens, notre liberté, par le fait même, ne peut s’exercer qu’à choisir entre plusieurs biens, non entre le bien et le mal. On comprend, dès lors, qu’un saint Thomas se plaise à voir dans un jugement droit comme le nerf de la sagesse. « Recta sapere », lisons-nous dans l’oraison au Saint-Esprit. Autrement dit : avoir le sens de la hiérarchie des êtres et des biens, et donc le sens de Dieu, pour que nous puissions certes, faire usage de tout, puisque « tout est à nous » (Saint Paul : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu  »), mais « autant que..., pas plus que...  », selon que l’indiquent la condition des personnes, les circonstances de temps, de lieu, etc.


Statue de S. Paul, Cité du Vatican.

17 décembre 2014 Thibault Corsaire

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