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La beauté du lien conjugal dans la pensée Classique [Partie IV]

Voici le quatrième et dernier volet d’une contemplative d’Ambroise Savatier consacrée à la beauté du lien conjugal dans la pensée classique.
Après avoir successivement présenté la vision gréco-latine du mariage, évoqué la splendeur du mariage catholique comme expression sensible de l’étreinte du Christ avec l’humanité, l’auteur a analysé les attaques modernes envers l’institution du mariage. C’est aujourd’hui sur le mariage civil français qu’il se penche tout particulièrement.

Le mariage civil français : une consécration dans la loi de l’autonomie conjugale

Après le tumulte révolutionnaire les juristes se servent du droit privé pour rétablir l’ordre social. On entre dans l’ère du positivisme juridique, inspiré par Emmanuel Kant. La croyance en un ordre social naturel étant rejetée, l’organisation juridique est tout entière construite par l’homme, nommément par le législateur investi par le contrat social. Tout droit tient donc à présent des lois. Il faut des textes pour régénérer la société, et agencer les égoïstes intérêts de chacun.

Portalis crée le mariage civil en 1792. Ce juriste, formé sous l’Ancien-Régime, méprise la philosophie classique (autant d’ailleurs qu’il se méfie de la pensée des Lumières), mais n’en adhère pas moins à une forme d’essentialisme juridique. Pour lui, le mariage n’est pas une simple fabrication du législateur, car il porte en lui-même une réalité. Le législateur serait blâmable d’ignorer cette essence, mais il est vrai que la confusion régnait dans les années 1790 : « on ignorait ce que c’est que le mariage en soi, ce que les lois civiles ont ajouté aux lois naturelles, ce que les lois religieuses ont ajouté aux lois civiles ». Portalis entreprend alors de remonter à la véritable origine du mariage, reconnaissant « qu’il existait avant l’établissement du christianisme, qui a précédé toute loi positive, et qui dérive de la constitution même de notre être, n’est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel qui a fixé l’attention du législateur, et que la religion a sanctifié ».

C’est bien de droit naturel que l’on parle. Dans son Discours préliminaire du premier projet de Code civil (1801), Portalis s’attache à décrire dans la belle langue du XVIIIe siècle les tenants et aboutissants de l’union conjugale : « Le rapprochement de deux sexes que la nature n’a fait si différents que pour les unir, a bientôt des effets sensibles. La femme devient mère : un nouvel instinct se développe, de nouveaux sentiments, de nouveaux devoirs fortifient les premiers. La nature étend insensiblement la durée de l’union conjugale, en cimentant chaque année cette union par des jouissances nouvelles, et par de nouvelles obligations. Elle met à profit chaque situation, chaque événement, pour en faire sortir un nouvel ordre de plaisir et de vertus ». Il apparaît surprenant qu’une observation si idéaliste puisse émaner d’un esprit qui a vu les massacres de la Terreur (et qui lui-même était à peu de choses de les subir). Les atrocités connues de cette période ont rendu les intellectuels pessimistes sur l’espèce humaine. Détonnant pour son époque, Portalis se fait le chantre du mariage dans ce qu’il a de plus beau « le mari, la femme, les enfants réunis sous le même toit et par les plus chers intérêts contractent l’habitude des plus douces affections. Les deux époux sentent le besoin de s’aimer, et la nécessité de s’aimer toujours. On voit naître et s’affermir les plus doux sentiments qui soient connus des hommes, l’amour conjugal et l’amour paternel ».

Notons que Portalis nous ressort ici le credo utilitariste hérité des Lumières quand il parle du « besoin » de s’aimer (personne n’est parfait) même si en l’occurrence, ce credo apparaît chez lui plus léger que chez Voltaire. Caressant l’envolée lyrique, Portalis ajoute : «  la vieillesse, s’il est permis de le dire, n’arrive jamais pour des époux fidèles et vertueux. Au milieux des infirmités de cet âge, le fardeau d’une vie languissante est adouci par les souvenirs les plus touchants, et par les soins si nécessaires de la jeune famille dans laquelle on se voit renaître ». S’appuyant sur l’essence naturelle du lien conjugal, qu’il résume ainsi, nous l’avons vu en phrase d’accroche : « le mariage est la société de l’Homme et de la Femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels, à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée », Portalis rejoint la définition du droit romain et du droit canonique.

Avec un peu d’espoir on y verrait presque une définition de droit naturel classique.
Malgré cet essentialisme, Portalis et ses pairs craignent l’insuffisance du droit naturel pour calmer les désordres de son époque. La société du XIXe siècle a besoin de fermeté juridique. On déterre cette vieille souche chrétienne du mariage, pour la séculariser, et l’enfermer dans la loi positive. Le tableau peint n’y est plus, mais le cadre demeure. Henri Savatier tire cette leçon en 1885 que « Le positivisme ne supporte l’idée du Beau qu’à la condition de l’emprisonner ».
Hors de la loi point de salut ! Le législateur exclut Dieu de l’union matrimoniale. C’est à présent la loi, et elle seule, qui marie les citoyens. L’article 54 du Concordat de 1801, ajouté par Napoléon est hautement symbolique : « les curés ne donneront la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l’officier civil ». La volonté de soumettre la religion à la toute-puissance législative est très nette. Reconnaître une réalité naturelle hors la loi, est presque devenu inconcevable pour les jurisconsultes de l’Empire, persuadés que tout est convention. A la rédaction du Code civil, Napoléon déclame dans un positivisme des plus extrêmes : « Qui tient lieu de Dieu sur terre ? Le législateur ! Qui est le fils de son père ? C’est la volonté du législateur ! Ignore-t-on que dans l’état de société, c’est la loi qui fait les pères ? ».

La loi du 30 août 1792, par laquelle l’Assemblée législative « déclare que le mariage est dissoluble par le divorce », consacre définitivement l’autonomie du mariage civil. Ce que l’homme a fait, il peut le défaire.

Il arrive parfois à l’Église de suivre les vents dominants, même de loin. En 1917, le Code de droit canonique ne définit pas le mariage comme une institution, mais comme un contrat par lequel les époux se transmettent un droit sur le corps de l’autre, qui leur donne un devoir de procréer et d’éduquer les enfants. Les fins logiques de l’union ainsi présentée rendent cette approche rationaliste et Moderne.
A la fin du XXe siècle, le nouveau Concile Vatican II rectifie le tir. Dans le Nouveau Code de droit canonique de 1983, l’Eglise se raccroche à la vision classique et remet en valeur l’aspect intime et existentiel. Le texte en parle comme d’une « communauté de vie et d’amour » au sein d’une « institution qu’elle vivifie et qui la protège en même temps, dans le même rapport que l’âme au corps ». Pour l’Église, le mariage demeure invariablement une réalité précédant l’ordre de la loi et la subjectivité des individus. En conséquence elle ne reconnaît pas le divorce.
Léon XIII dans son Encyclique Humanum Nenus de 1884 déclare « Il y a dans le mariage quelque chose de sacré et de religieux, non point surajouté, mais inné, qui ne lui vient pas des hommes, mais de la nature elle-même ».

Conclusion :

Le droit conjugal tel que conçu par les Modernes, comme l’émanation du sujet, n’a pour seule mesure que l’ego et les désirs individuels. A notre époque, cette surabondance de droit entretient tout un flot de revendications farfelues. Tous ont pris l’habitude de calculer leurs petits « droits » sur la seule considération narcissique d’eux-mêmes. Le Parlement se charge de faire enregistrer les créances-juridiques de chacun. Comme si le mariage n’était qu’une association de l’individualisme de l’un avec l’individualisme de l’autre. Et quand le contrat n’est pas rempli, on se quitte et on recommence. Il est vrai qu’à la mairie on déclare « Je te prends comme époux », quand à l’église on dit encore « Je te reçois comme époux ». 
Devenu autonome, le lien conjugal se désordonne.
Encore était-il jusque récemment suspendu à un certain ordre naturel, avant que les quasi-sectes d’organisations LGBT et Loges ne s’emploient à le dénaturer dans la loi civile.


Pourtant la Doctrine sociale de l’Église rappelle que la famille est le cristal de la société. Que, par ces temps troublés, elle apparaît comme le « lieu premier d’humanisation », où l’enfant prend conscience de lui-même comme d’autrui. Il y apprend la piété filiale et le partage. Il y reçoit les premières notions déterminantes de l’altérité et du Bien. Il s’y prépare à accomplir son destin unique et irremplaçable. Aussi pour ne pas laisser s’étioler de si précieuses lumières, voyons les choses à rebours.
Contemplons la vision classique du mariage, telle qu’Ulpien ou Saint Augustin la décrivaient. C’est à dire comme - une perfection du rapport telle qu’en parlait Saint Paul pour qui « les perfections visibles du monde font remonter aux perfections invisibles du Créateur  » - une harmonie des êtres comme chez Aristote, en laquelle les époux « mettent leur capacité propre au service de l’œuvre commune » - un achèvement de la nature, comme le soulevait Charles Maurras « aucune origine n’est belle, la beauté véritable est au terme des choses ».

Car le droit des Modernes est une impasse. À force de vouloir s’émanciper, l’homme est en cavale car il doit perpétuellement fuir ce qu’il est. A contrario le droit des Classiques est une valeur sûre, car il réside dans l’être véritable, et la nature nous trompe moins souvent que la raison. Quoi qu’une loi puisse en dire, le mariage demeurera l’union d’un homme et d’une femme comme reflet d’une nature ordonnée. 


« Quand le monde nous semble vaciller sur ses bases, un regard sur une fleur peut rétablir l’ordre  » (Ernst Jünger)


Ambroise Savatier

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