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Résumé : Les droits de l’Homme sont le produit contingent des systèmes religieux et publicistes propres à chaque époque. Cet article tente de soulever l’articulation de ces données, évolutives. Certains lecteurs y verront des religions régulières et d’autres séculières, non sans raison. La question des droits de l’Homme est originellement celle de leur capacité à servir et à défendre ces libertés face au pouvoir politique en face. Or, chaque étape de leur affirmation autonome, de leur revendication finaliste, a fait l’objet d’une mobilisation idéologique visant à affermir le Pouvoir face aux Hommes. Néanmoins, cette mobilisation a finalement tourné au détriment du pouvoir -peut être à son insu- : la question des droits de l’Homme et des libertés est aujourd’hui avant tout celle de la capacité de l’État à les servir.
Sans exception ni distinction, dès l’origine et intrinsèquement, le christianisme fait de l’Homme un sujet conscient. Cette conscience, supérieure à toute chose dans le monde humain, rend le chrétien insoumis et ce jusqu’au martyr de la croix. Sa conscience est inaccessible, ce qui explique qu’aux yeux de la Rome antique et païenne, Christ est un objecteur de conscience, un zélote selon certains, un agitateur politique (soldé par « Iesus Nazarenus Rex Judeorum »), porteur de contestation NB. Si certains voient en Socrate un « précédent » -dans le meilleur des cas-, nous ne saurions en tirer de conséquences ici. : Si le devoir envers la cité est grand, celui envers Dieu -par le truchement de sa conscience- ne souffre aucune contradiction. En réalité, en refusant d’avoir une pensée politique Christ aurait déjà fait de la politique. De manière incidente, transcender la question du roi et du politique revient à ménager une part de rebelle dans chaque citoyen qui obéit à Dieu plutôt qu’à l’Homme. Dès lors, cette part irréductible de liberté-indépendance tentera d’être mobilisée tour à tour par chacun des deux « glaives » que forment les pouvoirs spirituels et temporels. L’essentiel de cette période originelle consiste donc dans le recentrement de l’individu, par le christianisme, dans un ordre divin qui transcende celui politique.
« Moi, Constantin Auguste (…) avons cru devoir (…) donner aux Chrétiens comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix » Édit de Milan de Constantin Ier, 313
« Nous voulons que tous les peuples que régit la modération de Notre Clémence s’engagent dans cette religion que le divin Pierre Apôtre a donné aux Romains » Édit de Thessalonique de Théodose Ier, 380
Après avoir ajouté son propre autel à côté de ceux des autres dieux de l’antiquité, l’Empereur romain a donc condamné le christianisme lorsqu’il y a vu un germe de contestation de son autorité, puis l’a rendu licite avant d’en faire la religion d’État, y voyant sans doute le moyen de refonder une autorité absolue sur les citoyens. Malheureusement, après avoir feint d’être l’investigateur des évènements le dépassant, l’Empereur romain a vu cette autorité fraichement vernie s’effondrer en même temps que son Empire. La lutte des théocraties pontificale et royale s’est alors réappropriée la distinction entre les deux pouvoirs non plus comme une transcendance, mais comme une lutte d’ascendance entre ces deux pouvoirs : l’individu n’était plus l’enjeu de libertés (comme le postule le christianisme), mais bien de pouvoir (comme le postule la théocratie). Aussi, nous ne reviendrons pas ici sur ce qui est fréquemment perçu tantôt comme une immixtion dans le pouvoir temporel, tantôt comme un fondement absolutiste de droit divin.
Initialement libérale, cette transcendance a donc in fine été réutilisée par le politique pour raffermir son autorité. Mais, comme à l’origine, l’évolution de la revendication des droits et libertés vint de la réflexion religieuse.
Seul Dieu sortit indemne d’une querelle dont les chrétiens furent sans doute les perdants et les réformateurs sans doute les gagnants : ceux-ci venaient de gagner l’alibi absolutiste pour réformer l’État à travers l’Église -à moins que ce ne soit l’inverse. Jusqu’au violent Luther et en passant par l’austère Calvin notamment, on mis fin à cette immunité divine et l’on voulu laïciser le rapport politique. Nous nous abstiendrons d’étudier les conséquences que peuvent produire les efforts doctrinaux d’une minorité religieuse pour s’insérer dans une société. Cependant, quels furent ceux développés au tournant du XVIe siècle ? La substitution consista pour les légistes à faire de l’ordre naturel le successeur de celui divin. Ruine de la pensée théologico-politique, l’ordre naturel s’est trouvé inscrit dans la théorie contractualiste presque en tant qu’incise, là où il s’agissant de limiter le despotisme et le pouvoir royal. Fondant le déplacement de la souveraineté, l’individu y gagnait également des libertés, que le contrat social rendaient en partie exigibles au moins : même dans les théories absolutistes (Hobbes pour la royauté), dont on ne tarda pas à se séparer au profit d’autres plus ‘convenables’ (Rousseau pour la démocratie), des droits et libertés survivent au contrat social. Les monarchomaques naquirent, ainsi, avec de Mornay et de Bèze notamment, de la Religion Prétendue Réformée, précédant les constructivistes et les contractualistes.
Néanmoins, ce changement ne tarde pas à ployer sous poids nouveau : celui du volontarisme rationnel que suppose le contrat social. Devenu à nouveau disponible pour la masse des individus représentée, la transcendance naturelle -de l’état de nature- s’est trouvée prolongée par celle artificielle -de l’état social. Changements de titulaires, donc, ce qui satisfait sans doute le plus grand nombre, sans pour autant nous convaincre réellement. Si le principe politique scellé dans le contrat social semble être la protection de l’individu ou de quelques garanties, les formes politiques stipulées par ces contrats putatifs ont toujours variées et n’ont conservé que très peu d’avance sur les réformes, les révolutions.
La gestation de dix-neuf siècles des droits de l’Homme arrivée à terme, quelle expression lui a-t-on réservée ? La théorie héritée des libéraux minarchiste fut en réalité d’une portée assez limitée et tendit à réaliser l’opposé de ses ambitions. L’objection de conscience se fit liberté de conscience, opposable au spirituel comme au temporel. Les libertés subsistant à l’état social se firent devoirs de l’État envers le citoyen. Le bien commun se fit bien individuel : l’État, voire la communauté nationale, n’est plus que l’obligée de l’individu. Les siècles d’oppression étatique cédèrent leur place à autant d’oppression individuelle, qui consacrent avec avidité les droits-créance. Chaque génération de droits accroit le poids que l’individu fait peser sur l’État et renouvelle les exigences de l’Homme envers le Pouvoir.
On s’est plaint d’un État absolutiste, on réclame à présent un État interventionniste. N’est-ce pas contradictoire d’attendre plus d’un État que l’on veut limiter ? Non, nous répondra-t-on : l’un viole les libertés et les droits que l’autre accomplit. Pourtant, ce n’est pas de notre avis. L’objet de toutes ces revendications nous semble plutôt s’orienter vers des formes de sécurité et non de liberté. C’est à Hobbes que l’on doit d’avoir très tôt analysé cette soif, cette avidité croissante de jouissances dans la sécurité. Et comme le relève Jacques Mourgeon cf. Les droits de l’Homme Puf, 1988., Hobbes savait que, paradoxalement, « le Pouvoir s’enrichit de ses prodigalités, parce que l’exigence de sécurité détruit l’appétence de liberté ».
La suite dans le second volet de notre série consacrée au libéralisme individuel.
Don Quichotte
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