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Le premier entretien, avec l’abbé Desaint, curé de la paroisse Saint Nicolas de Crèvecoeur-le-Grand (Diocèse de Beauvais) est à lire ici. À travers ces deux entretiens parallèles se dessinent les réalités différentes d’un ministère sacerdotal dans une paroisse urbaine et dans une paroisse rurale.
R&N : Vous êtes prêtre, l’un dans une paroisse rurale, l’autre dans une paroisse urbaine. Est-ce un choix volontaire ? Pourquoi avoir choisi ce diocèse et non un autre ?
Abbé Sütterlin : J’ai toujours été parisien et j’ai demandé à l’Église de m’accueillir au séminaire diocésain de Paris. Je me suis posé la question d’aller éventuellement dans un autre diocèse, mais puisque j’étais parisien, il était tout naturel, dans cette vocation surnaturelle, que je reste à Paris.
Être prêtre à Paris demande de connaitre la vie parisienne. Il y a un rythme de vie, un mode de vie parisiens, qui me sont familiers. Je ne sais pas si je tiendrais longtemps dans un village !
Cependant, il arrive que des prêtres de Paris soient envoyés, en accord avec les évêques, dans d’autres diocèses où manquent cruellement les vocations.
R&N : De combien d’églises et de paroissiens avez-vous la charge ?
Abbé Sütterlin : À Paris, une paroisse, c’est une église. À Saint-Léon, il y a un curé, deux vicaires, deux prêtres étudiants étrangers, ainsi que deux diacres permanents. Depuis le 3 octobre, nous en avons un troisième !
La paroisse Saint-Léon regroupe environ trente mille habitants. Parmi eux, entre deux mille cinq cent et trois mille fréquentent l’une des cinq messes dominicales. En semaine, quatre messes sont célébrées chaque jour.
R&N : Quelles sont les différences concrètes entre paroisse rurale et paroisse urbaine ? L’une des deux est-elle a votre avis préférable à l’autre ?
Abbé Sütterlin : Il me semble que l’avantage d’une paroisse urbaine vient de ce que nous exerçons notre ministère sur place. Nous n’avons pas besoin de nous déplacer en voiture ! Notre paroisse forme une partie du 15e arrondissement ; nous en connaissons le territoire et nous pouvons en faire le tour en vingt minutes. Nous pouvons aller visiter une personne malade ou mourante à l’autre bout de la paroisse en cinq ou dix minutes. Je n’ai donc pas besoin de voiture, de vélo ou de scooter. Et lorsque je prends le métro c’est pour sortir de ma paroisse !
Sans doute ne pouvons-nous pas connaître tous les habitants de la paroisse ; il faudrait plusieurs dizaines de prêtres pour établir un contact personnel avec chacun, ainsi qu’avec les commerçants qui sont nombreux dans le quartier. Je pense qu’un prêtre de campagne, sauf s’il est responsable de trente clochers – ce qui est souvent le cas aujourd’hui – peut mieux connaître ses paroissiens.
Le danger de la vie parisienne, et partant de la vie du prêtre à Paris, puisque nous ne sommes pas du monde mais dans le monde, est d’être affecté par les pathologies de notre époque. Il court le risque d’être perpétuellement stressé, d’avoir un agenda rempli trois mois à l’avance. Or un prêtre doit chercher à être disponible en gérant bien ses priorités. Il peut très vite se laisser déborder en se créant toutes sortes d’obligations pastorales.
R&N : Quel est votre quotidien de prêtre ? Quelle place y donnez-vous à la liturgie et aux sacrements ?
Abbé Sütterlin : La journée type d’un prêtre... dépend du prêtre. Certains sont lève-tôt, d’autres sont couche-tard. Je suis plutôt lève-tôt. J’essaie de me lever vers 6 h, parce qu’il me semble important, pour la vie de prière, de trouver le moment le plus calme possible pour faire oraison et réciter des offices. Puis, à 8h15, du mardi au samedi, nous chantons les Laudes avec les paroissiens avant la messe.
Nous essayons de déjeuner presque tous les jours ensemble entre prêtres, en récitant l’office de Sexte après le déjeuner. Les autres offices, le matin et le soir, comme le chapelet, sont récités durant la journée, en fonction des moments libres de chacun.
En dehors de la messe quotidienne, nous célébrons les autres sacrements : les baptêmes, généralement le dimanche à 15 h, repartis entre les prêtres et les diacres ; le sacrement de pénitence est proposé durant les temps d’accueil que nous nous partageons, à l’église, dans l’après-midi ou dans la soirée. Mais il peut arriver que des gens demandent à se confesser en dehors de ces horaires. Je fais donc toujours en sorte de répondre, dès que possible, à leur sollicitation. Il y a aussi un prêtre qui s’occupe du sacrement de l’onction des malades ainsi que des visites aux personnes âgées ou malades. Là encore, nous nous répartissons la charge entre prêtres. Pour les mariages, nous proposons chaque année trois sessions de préparation spirituelle à plus de cinquante couples. Les mariages sont cependant très souvent célébrés en province.
Pour revenir à la liturgie, la préparation de la messe du dimanche occupe pour moi toute la semaine : préparation de l’homélie, de la feuille de chants, ... Ce travail est présent à mon esprit dès le lundi, car la messe dominicale est le rassemblement le plus important de la communauté paroissiale.
Lors des enterrements à la campagne, tous les habitants du village sont présents. À Paris, où les gens se connaissent moins, c’est très différent : seuls la famille, les amis du défunt et quelques voisins sont présents aux obsèques mais toute la paroisse ne se déplace pas. À Saint-Léon, nous célébrons une ou deux cérémonies d’obsèques par semaine.
R&N : Comment garder un véritable lien au sein de la communauté paroissiale alors que dans un cas elle s’étend sur un ensemble géographique aussi vaste, et dans l’autre, Paris, qu’un grand nombre de ses paroissiens se renouvèle chaque année ?
Abbé Sütterlin : Saint-Léon est effectivement une paroisse dynamique. Comme dans toute paroisse parisienne, il y a des paroissiens de cœur qui n’habitent pas dans le quartier. De plus, c’est aussi une paroisse de militaires qui déménagent tous les deux ou trois ans. Cela entraîne un renouvellement des paroissiens, renouvellement sans doute plus important que dans d’autres paroisses parisiennes. Les jeunes professionnels et les étudiants bougent beaucoup aussi. Nous avons une maison où logent quatre-vingt étudiants pendant un ou deux ans.
Mais il y a un grand nombre de paroissiens fidèles, qui aiment leur paroisse, qui habitent dans le quartier depuis toujours. Cette base de la paroisse est très importante. Elle est complétée par les familles de militaires, même si nous savons que ce n’est que pour peu de temps. Mais quand certains partent d’autres arrivent. Cela donne à Saint-Léon d’être une paroisse assez vivante et dynamique, avec beaucoup de monde et de familles nombreuses.
R&N : Quels sont les besoin les plus cruciaux des paroissiens dont vous avez la charge ?
Abbé Sütterlin : Le danger est de vouloir faire beaucoup de choses, de créer de nombreux groupes et de s’éparpiller. Il nous faut sans cesse garder à l’esprit la triple mission du prêtre : enseigner, sanctifier et gouverner - gouverner dans le sens de servir, de guider les âmes vers Dieu.
Cette triple mission se vit fondamentalement dans la célébration de la messe. La première chose à offrir aux paroissiens est la célébration de la messe, source et sommet de la vie chrétienne. C’est pourquoi, il faut que nous soyons attentifs à souligner la dimension sacrée de la messe par une liturgie digne. Le grand drame d’une paroisse de campagne est de ne pas avoir la messe chaque jour, ni même chaque dimanche.
Cette triple mission du prêtre, qui se vit essentiellement dans la célébration de l’eucharistie, se déploie encore dans toute sa vie : être disponible pour rencontrer les paroissiens, les aider à vivre leurs épreuves dans le Seigneur, à garder l’espérance chrétienne. L’éducation est aussi un des besoins les plus importants, surtout aujourd’hui, où tous les repères sont brouillés… Il y a tant de choses aujourd’hui qui mettent les enfants en danger ! Le prêtre, sur ce point, a un rôle très important à jouer comme pasteur : non seulement il doit enseigner le catéchisme aux enfants mais aussi aider les parents à éduquer leurs enfants.
C’est sans doute pour cela que les patronages se développent à nouveau, à Paris comme en province. Lorsque je suis arrivé à Saint-Léon, en 2012, nous avons ouvert la cour pour les jeunes à la sortie des classes. Petit à petit quelques-uns sont venus jouer au foot et travailler. La première année il y avait cinq jeunes ; l’année suivante, ils étaient dix à quinze ; aujourd’hui, nous en avons entre trente et cinquante qui passent chaque jour. Cela va sans doute continuer à croitre parce que les parents ont confiance et voient que leurs enfants sont heureux de venir au foyer Don Bosco. Désormais, des jeunes et des étudiants nous aident pour le patronage, des parents et grands-parents viennent aussi pour aider les enfants à faire leurs devoirs.
R&N : L’engagement des jeunes de la génération Manif Pour Tous se ressent-il dans votre paroisse ?
Abbé Sütterlin : Le cas de Saint-Léon est assez particulier parce que, à l’époque de la Manif Pour Tous et encore aujourd’hui, c’est la paroisse de Virginie Tellenne (Frigide Barjot). Une majorité de paroissiens s’est impliquée dans ce projet.
L’engagement à long terme est plus minoritaire. Cependant, les jeunes de Saint-Léon, qui étaient volontaires lors des Manif Pour Tous, sont attentifs à l’actualité et particulièrement vigilants sur les questions « sociétales ». Depuis deux ans s’est opéré un profond changement. Tout cela peut se réveiller demain et se réveillera très vite si besoin car il y a désormais un immense réseau. Mais ceux qui ont compris les enjeux ont pris du temps et s’engagent maintenant dans des mouvements de réflexion qui préparent l’avenir.
Je ne sais pas si cela change les engagements paroissiaux. Je n’ai pas vu plus de jeunes issus de LMPT s’engager au catéchisme, à l’aumônerie, ou dans les activités paroissiales. Ils sont plutôt impliqués dans d’autres mouvements qui ne sont pas de la paroisse. Vous avez par exemple des jeunes de la paroisse qui ont fréquenté les Veilleurs, d’autres qui se sont engagés dans le mouvement Écologie Humaine de Tugdual Derville, d’autres encore qui ont rejoint Sens Commun ou bien d’autres associations, groupes de réflexion, conférences afin de se former sur l’anthropologie ou l’engagement en politique.
R&N : Le Pape François a mis l’accent sur l’évangélisation. Comment réussir à faire de l’évangélisation véritable et ne pas toucher uniquement les paroissiens déjà présents alors que la population de votre paroisse est aussi grande ?
Abbé Sütterlin : Je crois qu’il y a une force d’attraction de l’Église qui va attirer les habitants de la paroisse si l’on mène une vie vraiment chrétienne, si l’on forme une communauté de foi qui se soutient, qui s’écoute, qui est attentive, présente auprès des pauvres et des gens qui ont besoin d’aide ou qui se posent des questions. Le fait d’être visible est important – c’est une pastorale – comme le curé de campagne de toujours en quelque sorte. Car les gens nous disent bonjour, on les croise, on discute quelques instants et puis, à un moment, une question nous est posée, une demande de prière nous est adressée.
Bien souvent, ce sont aussi les enfants qui permettent à l’Église de recréer un lien avec les parents. Un enfant qui va au catéchisme ou qui reçoit sa première communion permet aux parents de revenir à la messe.
La plus grande partie de ma mission est auprès des sept-dix-sept ans. Je vais aux sorties des écoles publiques pour y saluer des parents et leur faire découvrir le foyer Don Bosco.
Et puis « la mixité sociale » est une réalité dans notre quartier où sont construits des logements sociaux. Notre but est donc de prolonger la vie scolaire par une éducation chrétienne. C’est là que le patronage joue un rôle important. Petit à petit, on gagne la confiance des familles.
Des jeunes non chrétiens qui viennent au foyer Don Bosco découvrent que l’Église les accueille. Certains posent des questions sur notre foi. L’Eglise a un rôle irremplaçable là-dessus. Ils jouent d’abord dans la cour et certains viennent au soutien scolaire. Ils viennent petit à petit aux camps de ski et au camp d’été que nous organisons.
Le pape François a dit lors d’une méditation que l’Église est une mère et pas une baby-sitter. Cela veut dire que l’Église est là pour éduquer, pour faire grandir. Elle n’est pas là pour endormir les gens. Les chrétiens doivent se réveiller et reprendre leurs responsabilités de baptisés pour faire grandir et attirer les habitants de la paroisse vers le Christ et l’Église. C’est aussi la mission du patronage : ne pas être une sorte de garderie, mais bien un moyen pour éduquer dans la foi.
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