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Le Christ ne nous indique pas le chemin comme un instructeur qui nous délivrerait un mode d’emploi mais comme un pédagogue qui nous sauve de la déchéance, comme un divin sauveur. Pour connaître l’amour du Père pour son Fils, il faut que le Fils nous révèle sa filiation. Jésus-Christ nous montre l’exemple pour que nous soyons comme le fils prodigue qui s’en retourne, misérable et pauvre, auprès de son père, où l’attend l’amour certain et l’abondance.
Il dit encore : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part du bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour un pays lointain, et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à sentir le besoin. S’en allant donc, il se mit au service d’un habitant du pays, qui l’envoya à sa maison des champs pour garder les pourceaux. Il eût bien voulu se rassasier des gousses que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Alors, rentrant en lui-même, il dit : Combien de mercenaires de mon père ont du pain en abondance, et moi, je meurs ici de faim ! Je me lèverai et j’irai à mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils : traite-moi comme l’un de tes mercenaires. Il se leva et il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit, et, tout ému, il accourut, se jeta à son cou, et le couvrit de baisers. Son fils lui dit : Mon père, j’ai péché contre le ciel et envers toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez la plus belle robe et l’en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds. Amenez aussi le beau gras et tuez-le ; et faisons un festin de réjouissance : car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils se mirent à faire fête » (Luc 15, 11-24).
Le fils prodigue a beau eu exiger l’héritage paternel pour le dilapider dans des jouissances éphémères, le père n’en demeure pas moins une source infinie de miséricorde et de biens. Quand le fils, contrit, se confesse à son père d’avoir péché contre lui et reconnaît par là son indignité, le père, touché, demande à ses serviteurs qu’on apporte vite une belle robe à ce fils ressuscité et qu’on tue le veau gras pour fêter cette résurrection. Point de remontrances, point de « je te l’avais bien dit ! ». Que celui qui redoute le confessionnal relise cette somptueuse parabole de l’enfant prodigue. Le bon Dieu n’est pas un législateur froid qui attend du sauvageon qu’il fasse amande honorable, mais un Père touché de compassion par le pécheur contrit qui lui ouvre son cœur. Plus encore : Dieu ne veut pas que l’homme porte le poids de ses péchés. Il veut oublier les péchés commis contre lui. « Quel Dieu est semblable à toi, qui ôtes l’iniquité et qui pardonnes la rébellion au reste de ton héritage ? Il ne maintient pas à toujours sa colère, car il se plaît à faire grâce » (Michée 7, 18). Quand nous péchons contre lui, Dieu a déjà hâte de nous accorder sa miséricorde, pour peu que nous soyons contrits, prêts à demander pardon.
Si notre Père céleste sait ce dont on a besoin avant qu’on le lui demande (Matthieu 6, 8), autrement dit si, en tant que créateur, il sait ce qui convient et ne convient pas à sa créature, on peut se demander pourquoi il nous laisse parfois errer dans l’erreur. Le père savait que son ingrat de fils, dépenseur compulsif, jouisseur incorrigible, jetterait l’argent par la fenêtre et mènerait une vie de débauches. Il savait que ce sale gosse, peu soucieux de son salut, deviendrait l’esclave d’un étranger qui lui offrirait un travail dégradant : faire paître des porcs. Il savait que son fils, ruiné, crevant de faim, en viendrait même à vouloir manger les gousses dont se régalent les porcs.
Aussi douloureux que soit de voir se corrompre la chair de sa chair, le père laisse son fils libre de vivre sa déchéance. Pourquoi ? Parce que cette liberté donnée, c’est l’unique moyen pour le fils de prendre conscience que s’il est blessé, ce n’est ni de la faute de son père, ni de la faute de son frère, ni de la faute de son employeur, ni même la faute des porcs qui se goinfrent de gousses sous ses yeux. Il pourrait passer sa vie à chercher des coupables à sa misère, des boucs-émissaires ; ce qui l’a perdu, c’est son péché, son ingratitude, son infidélité. Le laisse s’abîmer dans sa fausse prodigalité, c’est lui offrir la grâce de se reconnaître lui-même pécheur, ingrat, infidèle. St Thomas d’Aquin le rappelle dans la Somme contre les Gentils : « Nous n’offensions Dieu en effet que dans la mesure où nous agissons contre notre bien ». Le fils blesse son père car qu’il se blesse lui-même, parce qu’il offre au père le spectacle de sa propre désolation.
Imaginez ce brave père, soucieux du bonheur de ses enfants, voyant son fils revenir auprès de lui, les vêtements souillés, sentant le lisier, le corps amaigri, le visage émacié ? Notre premier réflexe, comme celui de ce père aimant, ne serait-il pas d’enlacer notre progéniture et de lui faire apporter de quoi se vêtir dignement ? L’orgueil ainsi brisé, le fils s’en retourne auprès du père, implorant son pardon. « J’ai péché contre toi » (Luc 15, 21). L’humilité, dont le Christ est la parfaite représentation, lui qui « s’est anéanti lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes » (Philippiens 2, 7), lui qui est venu au milieu de nous comme celui qui sert – l’humilité du Christ, disions-nous, est l’unique chemin vers la grandeur du Père.
C’est le Fils qui nous rappelle que le Père est la source de tout amour. « L’amour en Dieu, écrit le père Antonin-Gilbert Sertillanges, est une vision de source ; il faut ensuite, abordant le monde humain, observer à mi-chemin le bruissement des fontaines, la coulée des fleuves, la formation des lacs, la descente des torrents, en attendant le retour des eaux, après emploi, vers la Source qui est en même temps Océan, vu que toute recherche – et l’amour en est une – doit faire retour, par le moyen des finalités créatrices, à son point de départ divin » (L’amour chrétien).
La parabole du fils prodigue pourrait s’achever en happy end : le père heureux de retrouver son fiston, le fiston heureux de revenir au logis, le logis exhalant la bonne odeur du veau gras, le veau gras entouré des convives qui chantent et qui dansent. Mais ce n’est pas le cas. Jésus-Christ introduit un trouble-fête à la fin de sa parabole : le fils aîné, resté auprès du père.
Or, le fils aîné était dans les champs ; comme il revenait et approchait de la maison, il entendit de la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était. Le serviteur lui dit : Votre frère est arrivé, et votre père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré sain et sauf. Mais il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Le père sortir donc, et se mit à le prier. Il répondit à son père : Voilà tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné, à moi, un chevreau pour festoyer avec mes amis. Et quand cet autre fils, qui a dévoré ton bien avec des courtisanes, arrive, tu tues pour lui le veau gras ! Le père lui dit : Toi, mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi. Mais il fallait bien faire un festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà était mort, et qu’il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé (Luc 15, 25-32).
Revenant de sa journée de labeur et entendant que l’on festoie, l’aîné apprend, par un serviteur, que son père a fait tuer le veau gras parce qu’il a recouvré son fils cadet, sain et sauf. Plutôt que se réjouir avec le père, l’aîné, en colère, refuse d’assister aux festivités. À son père venu le supplier, il adresse même des reproches. Comment peut-il avoir le toupet de tuer le veau gras pour un morveux qui a gaspillé son argent avec les prostituées alors qu’à lui, l’aîné qui le sert depuis des années, sans avoir jamais transgressé les ordres, le père n’a jamais offert même un chevreau pour festoyer avec ses amis ?
On voit ici la différence entre le cadet et l’aîné. Le cadet a confessé son ingratitude et a reçu l’abondance d’amour de son père ; l’aîné exige de son père l’abondance et manifeste par là son ingratitude. Car auprès de son père, l’aîné n’a jamais manqué de rien. L’Écriture dit bien que quand le cadet a réclamé sa part d’héritage, « le père leur partagea son bien » (Luc 15, 12). L’aîné a hérité autant que le cadet.
Devant la mauvaise foi de son fils aîné, le père rappelle sa grande bonté : « Toi, mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi. Mais il fallait bien faire un festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà était mort, et qu’il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé » (Luc 15, 31-32). Le cadet reçoit l’amour du père comme un don ; l’aîné exige l’amour du père comme un dû. Le cadet accorde de la valeur à ce qu’il reçoit ; l’aîné accorde de la valeur à ce qu’il donne. Le cadet reconnaît le père comme source d’amour, là où le second pense être la source de l’amour que le père lui porte.
Finalement, le fils aîné, qu’on eût pu croire plus fidèle à son père, se retrouve dans la même posture d’ingratitude que son petit frère venant réclamer sa part d’héritage, au début de la parabole. Mais pour saisir la profondeur de cette parabole, il faut aller un peu plus loin. Si l’on y réfléchit, le grand frère, qui passe désormais pour un ingrat alors que le petit frère est en train de s’enfiler des morceaux de veau, ce grand frère, dis-je, est une anomalie dans l’histoire.
On sait avec certitude de foi que le commencement de l’histoire de l’homme est marqué par la chute et que tous les fils d’Adam et Eve sont marqués par les conséquences de cette chute. Cette harmonie rompue avec le Père et avec la création, ce désordre introduit dans le cosmos, personne n’y échappe puisque, comme l’unique corps d’un homme unique, nous sommes impliqués par le péché commis par nos premiers parents. Mais alors, qui est cet aîné, dans la parabole, qui ne semble guère avoir été touché par le péché originel, qui vit auprès de son Père comme si de rien n’était ?
C’est là le fin mot de la parabole du fils prodigue. Ce qui cloche chez l’aîné, ce n’est pas qu’il reste fidèlement auprès de son Père, c’est qu’il vit comme si de rien n’était. Il vit comme si le péché originel n’avait jamais été commis, comme si lui n’en avait pas été affecté, comme s’il n’était pas déchu mais encore dans l’état adamique. Ainsi, il n’a le regard posé ni sur son Père, à qui il doit tout, ni sur sa misère, qu’il ne voit que chez son frère. Il ne voit ni le drame de la chute de l’homme, ni la joie de la rédemption. Il n’en a que pour son champ, comme les invités aux noces, dans une autre parabole, préfèrent s’occuper de leurs petites affaires plutôt que de se rendre aux noces (Matthieu 22, 1-14), dont Jésus-Christ nous dit pourtant qu’elles ne sont rien de moins que le royaume des cieux. Le piège qui guette chacun d’entre nous, fils prodigues, c’est de devenir des fils aînés. Tout fils de Dieu peut devenir véritablement ingrat. Celui à qui l’on a donné peut finir par exiger qu’on lui donne. Plutôt que de consentir à se laisser aimer, notre orgueil peut nous pousser à exiger d’être aimé. « Le primat absolu de l’amour de Dieu sur toute amabilité de la créature est sans doute une des vérités les plus essentielles pour la vie spirituelle mais aussi la plus difficile à intégrer, écrit le Père Serge-Thomas Bonino.
Si nous aimons être aimés, nous voudrions que cet amour soit un dû, qu’il soit la contrepartie méritée de nos qualités et de nos mérites. Pour le dire autrement, nous voudrions que l’amour de Dieu ne brise point notre orgueil. Mais justement, l’amour de Dieu ne se mérite pas. C’est un pur amour. Nous, créatures, nous aimons Dieu de tout notre cœur parce qu’il est « infiniment bon et infiniment aimable » ; Dieu, lui, nous aime sans conditions.
Mieux : c’est son amour qui nous rend bon et aimable. La bonté qui est en nous est le résultat de l’amour que Dieu a pour nous, parce que Dieu est au fondement de l’être. Comment pourrions-nous nous glorifier d’être bons, alors que nous sommes suspendus à Dieu comme par un fil d’amour ? « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (I Corinthiens 4, 7). C’est Dieu que nous devons glorifier pour la bonté qu’il a mise en nous, c’est à sa bonté que nous devons rendre grâce.
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