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Brève enquête sur le libertarisme

Le libertarisme, anarchisme de droite, est une théorie politique qui propose de réparer les torts de la bureaucratie par l’abolition de l’État et la restitution de tout pouvoir d’initiative aux individus. Nous étudierons les avantages qu’une société libertaire a sur une société bureaucratique et nous verrons que, si elle en a, elle présente aussi des défauts d’importance, que corrigerait une société organique ayant à sa tête un pouvoir souverain.

L’Économie selon le libertarisme

Du point de vue économique, la suppression de l’État permet l’abolition d’un appareil administratif coûteux et dispense les individus de tout impôt, en plus de supprimer tout frein légal à leurs initiatives. Or, outre que ce système interdit toute politique de redistribution – et, en fait, toute politique économique – et par conséquent fait fi de la justice sociale, il faut pour y adhérer être absolument certain, comme l’est Hayek, que les marchés sont efficaces et que toute intervention de l’État ne ferait que les troubler. C’est un point de vue audacieux que même Adam Smith et les premiers libéraux n’avaient pas adopté car ils pensaient que l’intervention de l’État était nécessaire pour garantir un minimum de services publiques. En outre, cette vision néoclassique de l’économie a sérieusement été remise en cause par la crise de 2008 qui a montré que la dérégulation des marchés financiers ne conduisait pas à une économie plus stable. Du reste, si les États – précisément ces États dénoncés par les ultralibéraux comme responsables par leurs interventions de toutes les crises – n’avaient pas sauver les banques de la faillite, qui l’aurait fait, et que serait devenue l’économie mondiale ?

En vérité, le principal péché des économistes libéraux est de faire de la croissance un objectif en soi. Elle est considérée indépendamment du bien commun et se retrouve idolâtrée tant dans le cas d’un État dirigé selon des principes néoclassiques que dans celui d’une société sans État où ne compterait que l’enrichissement des agents. L’Économie doit être remise à sa place et n’être considérée qu’en fonction du bien qu’elle permet. Les mercantilistes, qui subordonnaient la croissance à la puissance du prince et donc, à la sécurité de la nation, avaient compris ce principe, et les corporations des sociétés organiques d’Ancien Régime, si elles ne favorisaient ni l’innovation ni la croissance, prévenaient du moins contre tous les abus du libéralisme et de la concurrence, de l’exploitation des salariés à l’obsolescence programmée.

La politique selon les libertariens

En matière de politique, l’élimination de l’État épargne de la lenteur d’une institution bureaucratique et rend l’initiative aux agents, supposés plus efficaces. Ils sont de ce fait plus libres d’agir selon leur intérêt, ce qui contribuerait naturellement à la poursuite de l’intérêt général. Cette vision suppose que l’intérêt général est la somme des intérêts particuliers, ce qui est tout à fait contestable – on pensera notamment au paradoxe de Condorcet. En outre, elle suppose que les individus savent où est leur intérêt, ce qui est tout aussi douteux. Prenons un exemple simple : les agents ont intérêt – ou du moins cela leur apparaît-il ainsi – à investir leurs ressources pour développer leurs propres activités économiques. Il est donc fort peu probable, qu’ils cotisent naturellement pour constituer une armée puissante : chacun paierait le moins possible et pensera qu’il suffit de garantir un peu de sécurité intérieure. Or, il est de l’intérêt de tous d’être défendu de la menace d’une invasion étrangère, ce qui ne peut se faire avec efficacité qu’avec une armée bien équipée et bien commandée, ou par un système d’alliances diplomatiques, donc grâce à une politique étrangère, deux choses impossibles à obtenir sans État. Car sans État, pas de politique étrangère, et pas de politique tout court. Pas non plus de politique écologique : qui, sans contrainte, réduirait son impact environnemental ? Et pourtant, il est dans l’intérêt de tous d’éviter une catastrophe écologique ou l’épuisement des ressources de la terre. On répondra que la vision court-termiste de nos présidents gouvernant par quinquennat empêche aussi ces œuvres de longue haleine. C’est que seul un pouvoir détenu à vie et transmis héréditairement peut être aussi soucieux du futur.

Corneille, dans Le Cid, nous montre comment seul un pouvoir monarchique accorde les passions des sujets dans leur intérêt commun : au lieu de se battre entre eux, le Comte et Don Rodrigue feraient mieux de repousser les Maures, qui les menacent tous deux. En outre, le roi réussit à agir dans l’intérêt de Rodrigue contre lui-même en le contraignant : Rodrigue veut épouser Chimène, mais son code d’honneur l’en empêche : seule la contrainte du roi lui permet d’accomplir son désir :

« Pour vaincre un point d’honneur qui combat contre toi,
Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi »
.

La Morale libertarienne

Certains libertariens considèrent que seule l’abolition de l’État et de son administration permet la garantie du respect du droit naturel, alors que dans un État bureaucratique, les agents financent malgré eux l’immoralité. Cet argument peut sembler séduisant lorsqu’on pense qu’aujourd’hui, nos impôts financent des projets artistiques douteux tandis que l’avortement est remboursé par la sécurité sociale : la suppression de l’État-Providence presse les individus à compter sur leur famille et évite l’éclatement de celle-ci. Toutefois, il est douteux qu’il suffise de supprimer l’État pour que les agents se comportent moralement. Cette idée repose sur le mythe rousseauiste de l’homme naturellement bon et corrompu par la société. C’est oublier qu’il est marqué par le péché originel et que, s’il est capable par sa raison d’accéder à la loi morale naturelle, ses passions le freinent et le poussent à pécher. Qui nous garantira que les hommes libérés du joug des lois n’aient pas recours à l’esclavage ou à la polygamie ?

En réalité, seule une société mauvaise corrompt et l’homme a besoin d’être contraint et comme encadré pour faire le bien. Une société qui oriente les individus vers un comportement moral doit elle-même être fondée sur le droit naturel, comme l’est une monarchie dont l’origine du pouvoir repose sur le sacré. La démocratie ne peut garantir le respect du droit naturel car elle accepte qu’on en discute, pas plus que l’anarchie qui laisse les agents agir selon leur raison corrompue. Une société organique fondée sur la famille permet d’éviter les désordres que nous connaissons aujourd’hui, mais il est nécessaire au respect de l’ordre et de la morale qu’un pouvoir souverain châtie les infractions au droit naturel.

Ainsi, le libertarisme, qui reste fondamentalement un libéralisme, propose une dénonciation intéressante des tares la bureaucratie, mais n’apporte pas de solution convaincante à ceux-ci. Une société organique, en revanche, et un pouvoir sacré d’origine divine, permettent à la fois la remise à sa place de l’économie, la défense du bien commun et celle de la morale naturelle.

Jules Charpentier

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