L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Monseigneur Leonard, archevêque de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, a rédigé une longue analyse de cette première semaine de Synode. Elle a été mise à disposition sur les réseaux sociaux.
Jusqu’à ce 10 octobre au soir, mes impressions dominantes sont les suivantes :
1. Il y a un accord fondamental sur les points essentiels : la beauté de la famille, l’indissolubilité du mariage et l’urgence d’une pastorale renouvelée et dynamique pour aider les jeunes à s’engager dans le mariage chrétien et les couples à y persévérer.
2. Les différences culturelles sont énormes selon les continents. Les évêques occidentaux, par exemple, sont souvent très préoccupés par le drame des échecs conjugaux et soucieux de la pastorale qui doit les accompagner. Par contre, confrontés aux coutumes ancestrales ou aux pratiques de l’Islam, les évêques africains sont prioritairement confrontés au problème de la polygamie. Et, comme beaucoup d’évêques latino-américains et asiatiques, ils considèrent que la pauvreté, avec toutes les contraintes qu’elle impose, est le principal phénomène qui fragilise, voire disloque les couples et les familles.
3. Autre clivage important. Avec une liberté d’expression qu’on trouve rarement en Occident, beaucoup d’épiscopats africains, certains épiscopats latino-américains et même océaniens, dénoncent les agences liées à l’ONU qui veulent leur imposer, par une sorte de dictature idéologique, des pratiques contraires à leur culture et à leurs convictions morales (contraception systématique, avortement, « mariage » homosexuel, etc.), en conditionnant l’aide économique à la promotion de ces pratiques. Réaction typique d’un évêque africain : « Gardez votre argent et nous garderons nos valeurs ! ». Réaction assortie d’un appel aux évêques occidentaux pour soutenir leurs confrères dans leur résistance à la pensée unique.
4. Face à cette diversité des expériences et des approches selon les continents, la proposition a été faite plusieurs fois de décentraliser le traitement de certaines questions. Mais avec le risque, souligné par d’autres intervenants, de divergences risquant de porter atteinte à l’unité de l’unité de l’Église et de son enseignement.
5. Sur les sujets brûlants (en Occident du moins), comme l’accès des divorcés remariés aux sacrements de la réconciliation et de la communion eucharistique, les positions sont très contrastées et, à ce stade, on voit mal comment une unité de vue pourra se dégager.
6. Par contre, beaucoup de Pères synodaux, surtout occidentaux, s’interrogent sur la validité de nombreux mariages religieux conclus avec des motivations de foi si faibles qu’on peut se demander si le minimum requis est présent pour un engagement conjugal tel que l’Église l’entend et le propose. Je note au passage l’étonnement des évêques orientaux apprenant que beaucoup de mariages se célèbrent en Occident sans eucharistie et sans aucune pratique habituelle de l’Eucharistie par les fiancés, alors que, pour nos confrères d’Orient, et à juste titre, le lien est étroit entre le sacrement du mariage et celui de l’Eucharistie, tous deux sacrements de l’alliance nouvelle et éternelle.
7. Les interrogations sont également nombreuses, et en sens divers, concernant les procédures canoniques en vue d’une déclaration de nullité de mariages ayant abouti à un échec. Certains voudraient accélérer les procédures, les alléger, voire les décentraliser. D’autres, au contraire, plaident pour le maintien des éléments exigeants qui garantissent, à leurs yeux, l’authentique recherche de la vérité. Je note que, dans les pays où l’Église catholique est minoritaire par rapport à l’Église orthodoxe, la diversité des pratiques crée de fortes tensions, certains fidèles catholiques étant tentés de passer à l’orthodoxie simplement pour voir obtenir plus facilement la dissolution d’un mariage antérieur.
8. Je termine ces échos par un point qui fait l’unanimité. À savoir l’action de grâce pour la présence d’auditeurs laïcs, hommes et femmes (et souvent des couples), dans la salle du Synode. Leur témoignage est parfois plus éloquent que beaucoup de discours. Je note spécialement le témoignage des retrouvailles de certains couples en passe de rupture grâce à l’accompagnement proposé par la pastorale familiale et l’hommage, à la fois convaincu et réaliste, rendu à l’efficacité et à l’humanité du planning familial naturel pour gérer la fécondité du couple et impliquer l’homme et la femme à part égale dans cette responsabilité.
Si vous vous demandez ce que j’ai moi-même exprimé à l’occasion du Synode, je spécifie que, dans mon texte écrit, j’ai fait largement référence aux interrogations de beaucoup de catholiques et d’évêques de Belgique et d’ailleurs concernant les sujets sensibles, en faisant référence aux points développés par Mgr Bonny, évêque d’Anvers, dans une lettre ouverte bien connue, y compris à Rome. Dans la partie orale de mon intervention (4 minutes !), j’ai rappelé que le fossé dénoncé par de nombreux évêques entre l’enseignement de l’Église, tel en tout cas qu’il est perçu, et ce que vivent les familles et les personnes est, effectivement, inquiétant. Mais un décalage se réfère toujours à deux pôles, à savoir, en l’occurrence, l’enseignement, plus ou moins bien connu, de l’Église catholique, d’une part, et, d’autre part, l’expérience effective vécue dans la société et même parmi les catholiques. Il y a donc deux principales manières de combler ce décalage malsain entre doctrine et pratique.
La première consisterait à adapter l’enseignement de l’Église et, en tout cas, sa discipline à la pratique ambiante en révisant l’un et l’autre à des degrés divers. L’autre manière consiste plutôt à mieux présenter l’enseignement de l’Église, en en soignant l’expression à tous niveaux et toujours de manière positive, jamais sous forme de simples interdits. Cette meilleure présentation devrait, bien sûr, s’accompagner de la proximité pastorale aidant les fidèles à vivre l’idéal moral chrétien le mieux possible, en se laissant inspirer en profondeur par lui.
C’est pourquoi plusieurs de mes confrères évêques de Belgique ont souligné l’importance d’une approche spirituelle, et pas seulement morale, de l’éthique familiale, l’importance aussi de se laisser interpeller par les pratiques concrètes avant de vouloir les orienter, l’importance encore de tenir compte de l’évolution récente de la perception du mariage comme lieu d’épanouissement personnel des individus ainsi que de l’évolution du rôle de la femme dans la société.
Il nous faut donc d’abord être proches des gens à la manière de Jésus, avec accueil et bienveillance, si nous voulons que l’Évangile et l’Église soient prioritairement une Bonne Nouvelle pour la famille, une parole forte et encourageante.
Les deux enjeux principaux de nos débats me paraissent donc les suivants :
1. Comment allons-nous maintenir le tranchant de l’Évangile et l’extrême exigence de la parole de Jésus concernant le mariage avec l’accueil miséricordieux des personnes dans leurs situations concrètes ? Comment allons-nous allier amour et vérité sans décourager les accidentés de la route conjugale et sans démobiliser ceux et celles qui ont fait le pari d’être, jusqu’au bout, fidèles à l’alliance conjugale avec la grâce de Dieu ?
2. Comment allons-nous aborder les diverses problématiques, surtout les plus délicates, en sachant qu’elles se présentent de manière parfois fort différentes selon les continents, les nations et les cultures, mais en sachant aussi que, comme Église catholique et donc universelle, il nous faut néanmoins parler à toutes les nations en tenant un même langage sur le fond ? Comment cela serait-il possible sans un certain concept d’idéal moral lié à l’humanité même de l’homme à travers toutes les cultures et donc sans l’idée d’une certaine loi morale « naturelle », non dans un sens « naturaliste » ou « physiciste », mais au sens précis d’une loi « liée à l’humanité même de l’homme », c’est-à-dire à son « essence » ou à sa « nature ».
Enfin, dans une intervention dite « libre » (3 minutes !), j’ai donné le témoignage suivant. Depuis plus de 20 ans, avec l’aide de la pastorale familiale, j’organise plusieurs fois par an une journée entière d’accueil pour les personnes séparées, divorcées ou remariées. Au cours de ces journées, nous écoutons les personnes, soit individuellement soit en groupe, et nous accueillons leurs souffrances et leurs questions, car, comme l’a dit le Cardinal Danneels dans son intervention, l’écoute est déjà, par elle-même, thérapeutique. Nous prions aussi ensemble.
On me demande également un petit enseignement. Presque toujours, d’une manière ou d’une autre, le thème développé à partir d’un texte biblique est : « Le Seigneur offre à chacun, quelle que soit sa situation, un chemin de conversion et de sainteté ! » Et si, par la suite, on m’interroge sur les questions difficiles, je réponds toujours à partir de la doctrine et de la discipline actuelles de l’Église catholique, mais avec douceur, respect, bienveillance et patience. Nous prévoyons aussi quelques témoignages donnés par des personnes vivant dans ces diverses situations, au cœur desquelles le Seigneur a su les rejoindre. Au programme, il y a, bien sûr, la célébration de la réconciliation. Quand s’approchent de moi des personnes qui ne sont pas encore en état de recevoir l’absolution sacramentelle, parce qu’elles vivent maritalement avec une personne qui n’est pas vraiment leur conjoint, je les invite, si c’est possible, à se mettre à genoux avec moi et je formule, en résumé, la prière suivante : « Seigneur, nous voici devant toi, mon frère (ou ma sœur) et moi. Nous sommes tous deux des pécheurs. Fais-nous goûter, à l’un et à l’autre, la douceur de ta miséricorde et conduis-nous sur un chemin de vérité, selon ton désir ». Et la personne s’en va en paix, car le cœur de Dieu est plus grand que notre cœur. Et lors de la célébration de l’Eucharistie, j’accueille, au moment de la communion, des personnes qui viennent vers moi, les bras croisés, comme les enfants avant leur première communion. Elles me font ainsi comprendre qu’elles ne vont pas communier sacramentellement, en recevant l’hostie. Je prends alors le temps de les bénir lentement : « Que le Seigneur te donne d’éprouver intérieurement combien il t’aime, tel(le) que tu es ». En les voyant retourner à leur place, avec, parfois, une larme dans les yeux, mais le visage en paix, je me dis intérieurement que ces personnes, dans leur abstention même de la communion, ont peut-être « communié » plus profondément à Jésus miséricordieux que d’autres chrétiens, « en règle » sur le plan conjugal, mais qui – c’est du moins l’impression que j’ai parfois – consomment l’hostie distraitement, tout en marchant déjà vers leur place, d’un geste rapide et machinal, un peu comme on avale un biscuit dans une réception. La conviction monte alors en moi, avec beaucoup d’émotion, que le Seigneur n’est pas prisonnier de ses sacrements et sait se donner, à sa manière à Lui, même à ceux qui s’abstiennent de communier sacramentellement, et en sachant pourquoi, à savoir par respect pour le sacrement de mariage et pour celui de l’Eucharistie, tous deux sacrements de l’Alliance du Christ avec son Église. Et je me dis alors que si tous les prêtres d’un diocèse faisaient connaître autour d’eux cette démarche de leur évêque, ce n’est pas des dizaines ou des centaines que la pastorale familiale accueillerait annuellement à ce genre de journées, mais – qui sait ? – des milliers…
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