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[EX-LIBRIS] « Le complexe occidental » : quel chemin vers la déculpabilisation ?

Fin mars dernier paraissait le dernier ouvrage « géopolitiquement incorrect » d’Alexandre del Valle, géopolitologue international, Professeur à Sup de Co la Rochelle ou à l’Université européenne de Rome, essai décapant intitulé Le complexe occidental et au sous-titre révélateur : « Petit traité de déculpabilisation ». Le thème central du livre est la grande question du « mal-être de l’Occident » et de sa culpabilité pathologique dans le contexte géopolitique global de l’émergence d’un « monde multipolaire de moins en moins occidental »... Tout un programme ! Dans une interview parue dans le Figaro Vox, le journaliste Alexandre de Vecchio présente l’ouvrage comme « un essai tonique et volontairement clivant qui dépeint la culpabilité de l’Occident comme la cause première du malaise de nos sociétés ». Dans sa recension parue cette fois-ci au Figaro magazine en avril dernier, Charles-Henri d’Andigné qualifie l’ouvrage d’ « audacieux et tonique ».

On ne saurait mieux qualifier la nature de cette œuvre présentée par l’éditeur de Del Valle comme « un manuel de contre-désinformation ». Chroniqueur et géopoliticien classé à la « droite libérale dure » » mais libre d’esprit et souverainiste, jugé polémique, mais auteur d’analyses en réalité assez mesurées et très documentées ; consultant à Bruxelles mais eurosceptique, Del Valle est avant tout un chercheur libre, inclassable, jugé souvent polémiste, mais sa démarche n’est jamais pamphlétaire ou simpliste, car elle emprunte à plusieurs disciplines : la géopolitique d’abord, puis la science politique, la stratégie, la philosophe et même la psychologique sociale, mélange des genres qui rend son essai passionnant et fort original.

Del Valle part tout d’abord du constat que l’homme occidental se morfond dans sa « culpabilité pathologique » qui le conduit à une véritable « dépression collective », fruit d’un permanent « enseignement du mépris de soi » inculqué depuis la tendre enfance. Or l’auteur rappelle que dans le cadre du nouveau monde multipolaire qui vient et qui est fait de nationalisme, d’hyper-concurrence et de Realpolitik, la culpabilisation et le complexe sont des « luxes » que l’on ne peut plus se permettre de s’offrir…, sauf à s’auto-détruire face à des nations émergentes décomplexées, fières de leur identité et prêtes à en découdre… Del Valle affirme donc tout net que « les nations occidentales ne pourront retrouver l’estime des autres civilisations qui les rejettent et ne pourront conserver un véritable poids sur l’échiquier international que si elles assument leur identité, leur histoire et renouent avec la Realpolitik en rompant avec leur complexe ». Alexandre Del Valle cite l’exemple français pour montrer combien la « dépression collective » est réelle dans la Vieille Europe traumatisée par les « guerres civiles » passées dont elle n’est pas encore remise.
Cette « dépression » se manifeste essentiellement par la perte de confiance en soi et le déracinement, fruit de la « haine de sa propre Histoire », source de « peur de l’avenir » et de « désorientation généralisée, d’anomie et d’auto-dissolution », voire de « suicide collectif ». L’auteur cite d’ailleurs à ce propos le grand sociologue Durkheim qui expliquait le suicide par l’anomie, la perte de valeurs et de normes. Il est donc clair que la « pire menace » pour les démocraties européennes affaiblies et dépressives est psychologique, et que la « dépression collective » est une véritable « pathologie sociale qu’il faut soigner au plus vite ». Il est donc urgent de « relancer une véritable politique d’intégration ambitieuse fondée sur l’auto-estime collective et le réapprentissage de notre Histoire et de notre identité revalorisées ».

Del Valle affirme parallèlement, dans ce même préambule fort instructif qui plante le décor, que la définition identitaire de l’Occident, fondée sur « l’apport gréco-latin et judéo-chrétien », a été totalement faussée depuis que nos élites déracinées et subjuguées par l’Utopie dangereuse du « Village mondial » ont défini l’Occident à travers « les valeurs abstraites de l’individualisme et des droits de l’Homme », puis à l’aune des « choix atlantistes et libre-échangistes » dans lesquelles peuvent très bien se retrouver des pays non-occidentaux au sens civilisationnel, comme la Turquie, candidate pour cela à son intégration dans l’Union européenne, ou le Japon ou la Corée du Sud, alliés des États-Unis et adeptes de l’économie de marché. A contrario, Alexandre Del Valle déplore que cette seconde définition « désincarnée » de l’Occident rejette un pays incontestablement « occidental » au sens « gréco-chrétien » du terme : la Russie slavo-orthodoxe, qu’il défend malgré les dérives néo-impériales de Poutine et malgré la crise ukrainienne, selon une solidarité « panoccidentale », expression qu’il a créée et dans laquelle il réconcilie l’Occident et la Russie orthodoxe…

Revenant sur les racines de la « culpabilisation collective », l’auteur explique que le réel problème n’est pas tant la reconnaissance de « fautes » passées, certes selon lui exagérées et jugées de façon anachronique avec le regard du présent, que le fait que celle-ci se fasse à sens unique, car les pays non-occidentaux, à commencer par l’ennemi historique de l’Europe qu’est le monde arabo-musulman et turc-ottoman, n’ont quant à eux jamais manifesté le moindre remords d’avoir « razzié Rome en 846 » au nom du jihad, conquis l’Espagne et la Sicile, ou pratiqué les pirateries barbaresques et l’esclavagisme des blancs slaves ou latins comme des noirs... Dans ce contexte d’enseignement permanent du « mépris de soi », d’autoflagellation et de critique à sens unique, l’Occidental semble être devenu « l’héritier d’une culture qui n’a plus de sens pour lui », puisqu’il la dénigre et la méconnaît tout en en assumant des fautes passées exagérées ou inventées. Il en va ainsi pour les dirigeants européens. L’auteur décrit ce qu’il nomme le « cosmopolitiquement correct » ou nouveau « terrorisme intellectuel », qui procède d’abord par la guerre des mots, la « logomachie », c’est-à-dire « l’instauration d’un carcan lexical auquel toute expression d’une opinion doit se conformer sous peine d’être accusé d’intolérance et discrédité ». Dans ce contexte de « guerre des représentations », le but ultime des tenants de l’idéologie « cosmopolitiquement correcte » est d’arriver, par un ensemble d’outils ou arsenaux psychologiques, sémantiques et législatifs, à mettre en déroute tout adversaire, tout récalcitrant à l’ordre cosmopolitique anti-national et anti-traditionnel, après lui avoir fait perdre ses repères et son « socle de légitimité même », retourné contre lui puis remplacé par des valeurs antagonistes introduites à la façon de « virus sémantiques » que l’auteur analyse dans un chapitre dédié à la désinformation et aux techniques de manipulation de masse. Dans cette partie, probablement la plus originale de l’ouvrage, citant Vladimir Volkoff et Bruno Lussato, ses « amis et maîtres regrettés », il explique que la « guerre des représentations » passe par quatre étapes phares : diabolisation, culpabilisation, ridiculisation, renversement.

Ces « virus sémantiques » déployés dans le cadre des « guerres de représentations » se fondent sur dix principaux mythes fondateurs du comsopolitiquement correct, que sont : les croisades, le Moyen-âge « obscurantiste », l’occident chrétien « esclavagiste », « l’âge d’or de l’Espagne musulmane » ( Al-Andalus ), la « dette occidentale » envers la « science arabe », la « complicité de l’Église et du nazisme », la « rédemption par la mondialisation heureuse », la chimère dangereuse de « l’euro fort et de la finance » et finalement le mythe du « bon étranger » ( immigrationnisme » face à un « mauvais autochtone » diabolisé et ringardisé ). Que l’on partage ou non ces idées, force est de constater que les médias et élites de nos sociétés libérales d’Occident véhiculent en permanence dans les discours politiques comme dans les productions hollywoodiennes ou les émissions TV grand public et les universités gangrénées par le marxisme ce même message d’une Église coupable, d’un autochtone raciste-ringard, et d’une « mondialisation bienfaitrice » car porteuse de l’idéal néo-babélien du cosmopolitisme et du métissage général.

La clé serait-elle finalement la réconciliation nationale ? L’acceptation de son passé ? La fierté de son identité ? Pour l’auteur, ceci est plus qu’évident, car si oublier son passé rend amnésique et empêche d’appréhender le futur et de savoir qui l’on est, le diaboliser et culpabiliser collectivement en le jugeant de façon impitoyable et sans recul, c’est-à-dire avec les lunettes du présent, est à la fois injuste, stupide et suicidaire. En effet, « personne n’est coupable d’une faute commise par d’autres en d’autres époques » ; par ailleurs, la « responsabilité collective et éternelle » est foncièrement clanique et barbare et contraire à l’humanisme moderne ; enfin, « le travail de mémoire ne doit en aucun cas déboucher sur une perversion de la culpabilité muée en culpabilisation pathologique collective et donc en syndrome autodestructeur collectif ». L’auteur cite Mandela, De Gaulle, Mitterrand, Sarkozy, qui ont, contrairement à Jacques Chirac dans les années 1990, refusé de juger la France et les Français collectivement coupables de Vichy. Face à la « reductio ad Hitlerum » que Del Valle décortique et anéantit dans des passages dont nombre de lecteurs se délecteront, l’auteur prône une « thérapie générale de Déculpabilisation et d’auto-estime ». Car « le culpabilisateur n’est performant que si en face de lui un culpabilisé joue le jeu »… L’auteur insiste finalement sur l’importance de réhabiliter le politique, l’identité occidentale chrétienne - dont il montre les innombrables mérites dans un dernier chapitre fort convaincant et qui redonne le moral -, puis bien sûr, l’État-nation, « seul obstacle au nouvel impérialisme cosmopolitique » et acteur majeur des relations internationales qui revient en force partout dans le monde en dépit de la globalisation qui n’est qu’un « champ de lutte entre nations concurrentes »… L’auteur assume sa vision « réaliste » et sa préférence pour la Realpolitik. Del Valle conclut d’ailleurs comme il a commencé, en prônant la constitution d’un vaste ensemble « panoccidental » qui réconcilierait les nations occidentales redevenues souveraines avec la Russie orthodoxe post-soviétique qu’il ne faut pas rejeter et risquer de voir se jeter en réaction dans les bras faussement amicaux des Chinois…

Que l’on soit en accord avec les propos de l’auteur, il est clair que celui-ci ne laisse jamais indifférent ses lecteurs, habitués à des livres toujours documentés et souvent prémonitoires, puisque Del Valle avait été l’un des premiers à décrire la menace islamiste dans les années 1990 puis la réislamisation de la Turquie et les erreurs de la diplomatie américaine et européenne en ex-Yougoslavie et en Irak qui ont conduit aux catastrophes que l’on sait, notamment l’expansion d’Al-Qaïda, fruit d’une alliance coupable et contre-nature entre l’Occident atlantiste et les « parrains du totalitarisme islamiste »… Del Valle pousse donc comme à son habitude ses lecteurs à se poser des questions pertinentes et à éveiller l’esprit critique face aux sentiers battus et aux conditionnements de toute sorte. Il soulève avec moult détails, exemples frappants et arguments historiques les problèmes inhérents à nos sociétés en pleine mutation. Mais il montre surtout à la fin de son ouvrage que tout n’est pas perdu, que l’Europe (et la France) peut se relever, et que les pessimistes sont les « meilleurs alliés de nos ennemis », sans oublier bien sûr notre culpabilité, qui nous pousse à agir dans un sens contraire au Bien commun et à nos intérêts mais que nous pouvons parfaitement vaincre.

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