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Le Rouge et Le Noir : Guillaume de Prémare, vous êtes délégué général d’Ichtus, pourquoi vous semble-t-il intéressant d’aborder le thème « catholique et citoyen : est-ce encore possible » ?
Guillaume de Prémare : J’ai observé une profusion d’essais sur la manière d’être catholique dans la société aujourd’hui. Parfois, je me demande pourquoi cette question se pose. En effet, je pense souvent que, comme héritiers d’une civilisation profondément civique, les catholiques français ne sont pas citoyens par l’intermédiation de leur communauté religieuse, comme c’est le cas en Orient, mais directement membres de la cité, comme les autres citoyens. Je me demande donc parfois si les catholiques ne se regardent pas trop le nombril ! Après tout, pourquoi ne se posent-ils pas davantage les questions : « Comment être citoyen dans un contexte de crise civique ? Comment faire vivre la grande communauté civique ? » Cependant, j’ai compris que la question « catholique » n’arrive pas par hasard, par le simple fait d’une obsession religieuse. En effet, le processus de sécularisation relié à celui de la perte de socle commun dans la société pose une problématique spécifique aux catholiques. Nous pensons porter un discours universel, fondé sur la raison, et la société sécularisée nous renvoie à notre condition de catholiques, comme si nous voulions imposer notre vision religieuse, un peu comme une « charia catholique », alors que ce n’est pas le cas. D’autre part, j’ai compris, notamment en observant la jeune génération, que le besoin d’enracinement dans une identité catholique était puissant dans ce contexte de dilution des identités collectives. Par ailleurs, je vois bien que l’enjeu de transmission de la foi devient très complexe dans cette société sécularisée. Je vois que les catholiques ont besoin de lieux nouveaux où puissent se vivre l’enracinement et la transmission. J’ai donc accepté l’idée que la manière d’être catholique était un enjeu réel et non le fruit d’une obsession religieuse. Puisque cette question se pose, il faut l’aborder.
Le R&N : Hervé Béligné, vous êtes l’éditeur en France de Rod Dreher et vous avez participé à la publication du dernier livre de Martin Steffens. En quoi trouvez-vous pertinent de faire dialoguer ces deux personnalités ?
Hervé Béligné : L’un et l’autre ont cette qualité de « dire ce qu’ils voient » mais plus encore de « voir ce qu’ils voient » selon le mot de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Ces deux auteurs ont chacun dans leur registre – l’un comme journaliste, l’autre comme philosophe – le cran de faire « ce qui est difficile ». Aujourd’hui ce qui est difficile c’est d’encourager à une vie radicale – j’emploie ce mot volontairement – basée sur l’union à Dieu vécue dans la prière, c’est d’encourager à vivre chrétiennement, c’est-à-dire d’une manière chrétienne qui transforme le monde, qui ne se limite pas à une façon abstraite d’être dans le monde qui nous entoure.
Ce qui m’intéresse dans cette rencontre c’est de voir si, finalement, Martin Steffens n’est pas un penseur politique et Rod Dreher un auteur mystique ! Quand Steffens donne ses « repères pour le martyre qui vient » il pense l’aujourd’hui et la fin, il est de plain-pied en politique. Quand Dreher invite à faire « le pari bénédictin » il recherche les conditions du maintien de la prière – de cette union à Dieu – dans nos vies quotidiennes, quoi de plus mystique ?
Le R&N : Comment percevez-vous la réception du livre de Rod Dreher en France ?
Hervé Béligné : Il y a un enthousiasme, c’est évident. Nous avons reçu de nombreuses sollicitations pour organiser des rencontres après son premier voyage lors de la publication en septembre dernier de son livre. Je sais que le livre est lu, il y a beaucoup de recommandations par bouche à oreille.
Je perçois aussi une certaine méfiance, voire une certaine défiance. On entend souvent dire que le propos de Rod Dreher est « très américain », que ce qu’il propose comporte un risque de « communautarisme ». En fait, cela est révélateur de deux tabous français : la façon d’envisager et de vivre la communauté et la notion de centre en référence aux « périphéries » souvent évoquées par le pape François. Dans la vision de Dreher la communauté ne s’oppose pas à ce qui l’entoure et n’est pas close sur elle-même, elle est le point de départ ou « l’oasis spirituel » dont parle justement Steffens. Quant au centre – entendu comme les catholiques soucieux d’annoncer le Christ – il doit être le lieu d’une plus grande attention de la transmission de la Foi, de la découverte de la vie intérieure et une école de charité concrète : si l’hôpital n’a plus de poche de « sang d’amour » pour transfuser les hommes de notre temps qu’aurons-nous à offrir ? Bien sûr il faut aller aux périphéries mais pour cela il ne faut pas cesser de revenir au centre, à la source.
Le R&N : Qu’attendez-vous de cette rencontre en termes d’enjeu pour les catholiques en France ?
Hervé Béligné : La question dépasse mes compétences, l’avenir nous dira ce que chacun fera des éléments reçus lors de cette rencontre. Entrons dans un débat serein sur les enjeux des vingt-cinq prochaines années, ayons la lucidité de regarder la situation et notamment les chiffres de la pratique, du nombre d’enfants catéchisés, des baptêmes, des mariages, des « conversions »… N’ayons pas peur de désirer une croissance numérique du nombre de catholiques français pour le bien de tous ! Je note que cet échange entre Martin Steffens et Rod Dreher a lieu au tout début du Carême : si cette période offerte par l’Église est la plus favorable « pour revenir à Dieu » alors espérons que les propos inviteront à vivre profondément ce temps liturgique pour une croissance personnelle et spirituelle pour la croissance du Corps entier…
Le R&N : Guillaume de Prémare, pourquoi estimez-vous intéressant de discuter de tout cela avec Martin Steffens et Rod Dreher ?
Guillaume de Prémare : J’ai abordé le livre de Rod Dreher avec une certaine méfiance parce que j’ai toujours cette crainte de « sortie de la Cité », de communautarisation. Cependant, la lecture du livre m’a convaincu que je ne pouvais réduire sa vision à une communautarisation, mais qu’il abordait un enjeu réel, en termes de mode de vie, de transmission, etc... Cependant, j’ai besoin de comprendre en quoi les pistes qu’il propose sont praticables, et en quoi elles ne risquent pas tout de même de nous entraîner sur une certaine pente de retrait de la cité. On parle beaucoup aujourd’hui de « repli identitaire ». C’est vrai que l’atomisation tribale de la société peut toucher aussi les catholiques, qui pourraient être tentés de construire une « citadelle identitaire ». Cependant, il existe peut-être aussi une autre forme de repli vers ce que je pourrais appeler une « citadelle spirituelle ». S’inspirer de la règle de saint Benoît, cela peut sembler troublant pour des laïcs. Ce sera à Rod Dreher de nous dire comment il voit les choses à cet égard.
Le R&N : Et concernant Martin Steffens ?
Guillaume de Prémare : Pour tout vous dire, je suis allé voir Martin Steffens à Metz en septembre 2017 parce qu’après avoir lu « Rien que l’amour : repères pour le martyre qui vient » durant l’été, j’ai eu la conviction qu’il avait compris des clés essentielles de l’avenir, sans pourtant aborder directement les questions sous l’angle politique. J’ai découvert un philosophe existentiel, en ce sens où il donne des repères pour répondre à ce défi qu’est la « difficulté d’être », notamment à ce moment précis de l’Histoire. Personnellement, un aspect essentiel de ma « difficulté d’être », c’est d’être un homme engagé qui vit l’angoisse existentielle de voir ce monde tourner à l’inverse de ce qu’il en espère, en ayant le sentiment de ne pouvoir rien faire pour l’en empêcher. C’est pour cette raison que je l’ai interpellé sur des thèmes qu’il abordait peu, comme cette question de l’action, de l’engagement, du résultat, de la politique, de la marche de l’histoire, de la civilisation qui semble s’échapper. Je l’ai rencontré et j’ai publié un long entretien dans la revue Permanences. Lorsque l’équipe d’Ichtus a eu cette idée de faire dialoguer Martin Steffens et Rod Dreher, je me suis dit qu’il y avait matière pour aller plus loin sur toutes ces questions. Je suis convaincu que nous n’avons pas besoin aujourd’hui seulement de réponses conceptuelles au défi de l’articulation de notre vie de chrétien et de citoyen, ce qui est parfois la limite de certains essais actuels, mais aussi et surtout d’approches concrètes des modes de vie, ce que fait Rod Dreher, et d’une philosophie existentielle qui puisse rejoindre la grande peur de l’homme contemporain face au vertige de l’Histoire.
Table ronde ce jeudi 15 février, à 20h30, dans la crypte de Saint-Ferdinand des Ternes. Inscriptions
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