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Le Rouge & le Noir : Comment s’organise la vie au sein d’un monastère bénédictin ? En quoi se différencie-t-elle de la vie au sein des autres ordres religieux, particulièrement monastiques ?
Dom Jean-Philippe Lemaire : Elle est organisée par la Règle de saint Benoît précisée, interprétée par des déclarations ou des constitutions. Celles-ci sont diverses selon les temps et les lieux, mais elles doivent toujours être approuvées par l’Église. La Règle prévoit la structure du monastère au point de vue des bâtiments centrés sur l’église où les moines prient ensemble, au point de vue de l’horaire rythmé par la célébration des Heures du jour et de la nuit, au point de vue des personnes centrées sur l’Abbé, nom hébreu qui signifie « le Père ».
Les ordres religieux en général se divisent en deux grandes catégories, d’après leur finalité :
a/ Les ordres religieux contemplatifs, les plus anciens, moines et moniales, qui sont voués uniquement à la recherche de Dieu. Ils se divisent en deux groupes : les ermites qui vivent seuls au désert (ce que signifie le mot grec « ermite ») : les Chartreux sont des ermites (chacun vit dans une maison séparée) ; les cénobites qui vivent en communauté (ce que signifie le mot grec « cénobion »). Ils sont plus nombreux. En occident, la plupart se rattachent à la Règle de saint Benoît. Elle exige l’engagement à la stabilité si bien que la communauté est stable : quand un jeune est appelé dans un monastère, une communauté, il entre dans une famille où il vivra normalement jusqu’au jour où il la quittera pour le ciel. Le monastère de saint Benoît est comparable à l’Église de Notre Seigneur Jésus Christ : comme celle-ci est fondée sur Pierre qui tient la place du Christ, le monastère est fondé sur l’Abbé en qui tous voient par la foi celui qui représente le Chris, à qui tous sans exception obéissent comme au Christ. La spiritualité bénédictine est elle-même vécue sous diverses formes : en continuité avec la source, les bénédictins ; selon la réforme de saint Bernard de Clairvaux, les cisterciens, selon la réforme de l’abbé de Rancé à la Grande Trappe, les Trappistes. Tous suivent la règle de saint Benoît, avec de petites différences.
b/ Les ordres religieux actifs qui ont comme finalité un apostolat dans l’Eglise : les jésuites, les dominicains, les franciscains etc. Tous suivent Jésus chaste, pauvre, obéissant, mais cette obéissance à un supérieur est elle-même subordonnée à un apostolat : soin des malades, éducation des jeunes, prédication etc. Ils vivent tantôt en communauté, tantôt en mission, la communauté est pour chacun ce que le port est pour le navire. Ils peuvent changer de communauté.
En conclusion, le bénédictin est comme un arbre fruitier bien enraciné dans un verger. Il porte du fruit mais jamais seul. Le bénédictin vit dans une double joie : celle d’appartenir au Christ totalement et celle d’une vie fraternelle dont le psalmiste chante : « voyez comment il est bon et comme il est doux pour des frères d’habiter ensemble » (Ps 133, 1).
R&N : Quel est le rôle du Père Abbé au sein d’une abbaye ?
DJPL : C’est celui du cœur dans le corps : il est principe de la vie de la communauté. Supprimez le père abbé, il n’y a plus de principe vivant d’unité dans le monastère. La Règle de Saint Benoît est principe structurel mais elle est mise en œuvre par le père abbé, principe vital, signe et instrument visible de la présence active du Christ. L’Abbé est élu à vie. A Solesmes, l’usage est d’élire un abbé dont l’âge permettra un long abbatiat. Le père abbé actuel a été élu en 1992 à 45 ans.
Le rôle de l’abbé est d’organiser le monastère avec l’aide de son conseil : le choix des personnes responsables est important pour la paix de la communauté et relève surtout de lui, sur le Père Prieur, son second qui assure l’intérim en son absence. Au quotidien, le Père abbé préside toutes les réunions communautaires : au chœur pour célébrer la liturgie, au chapitre où il donne un enseignement qui nourrit la vie spirituelle des moines, au réfectoire où les moines prennent tous leurs repas. L’abbé garde le contact avec chaque moine en particulier, veillant à ce qu’il ait le nécessaire selon ses besoins de santé, de travail manuel ou intellectuel. Il est attentif à toujours maintenir les conditions fondamentales de la vie monastique : séparation du monde, esprit de silence, rythme de vie sans stress. L’abbé visite chaque soir les anciens ou malades qu’il bénit. Le rôle de l’abbé est l’expression de ce qu’il est : père, présent à la communauté et accompagnant chacun de ses membres depuis le jour où il reçoit l’habit de moins jusqu’au jour de la grande rencontre avec le Christ. L’abbé de Solesmes est aussi président des 31 monastères de la congrégation de Solesmes qu’il visite régulièrement en Europe, en Afrique, aux Antilles, en Amériques du Nord. Il veille à maintenir partout l’unité de l’observance monastique en tenant compte de la diversité des situations.
R&N : Quelle est la place de la formation intellectuelle et théologique dans la vie monastique ?
DJPL : C’est logiquement la première place. Comme l’initiation de la vie de foi est nécessaire avant le baptême, comme le catéchisme prépare aux autres sacrements de la foi, ainsi il faut que la vie de foi du moine soit préparée par des études solides qui ouvrent l’intelligence à la vérité reçue par la Révélation. L’objet de ces études est une initiation :
Ces études s’étendent sur les dix premières années. Elles se font dans la fidélité aux Écritures, à la Tradition de l’Église catholique qui interprète les Écritures, à la philosophie réalise reçue des Grecs, à la théologie de saint Thomas d’Aquin ouverte aux autres théologiens, au Magistère vivant de l’Église.
R&N : Existe-il des différences notables entre les monastères bénédictins à travers le monde ?
DJPL : Non et oui.
Non, car tous vivent de l’esprit de la Règle de saint Benoît : esprit d’humilité et d’adoration, esprit d’amour et de pénitence, esprit de joie et d’espérance en Jésus.
Oui car ils pratiquent diversement la lettre de la règle de saint Benoît. La congrégation de Solesmes est la seule qui n’a pas d’apostolat extérieur. La couleur et la forme de l’habit varient, etc.
R&N : Solesmes est réputée pour son chant grégorien. Comment conciliez-vous la recherche historique sur la musique et son usage dans la prière monastique ?
DJPL : Bonne question qui se pose aujourd’hui dans de multiples domaines : le rapport entre la recherche scientifique ou technique et l’usage simple et universel. La recherche historique est du domaine de l’atelier de paléographie auquel sont assignés quelques moines compétents et spécialisés dans tel ou tel domaine, par exemple l’étude des manuscrits eux-mêmes ou la recherche des sources du chant grégorien ou sa transmission. Ces chercheurs échangent entre eux par les revues, les colloques, etc. Leurs découvertes sur l’interprétation musicale des données musicales des manuscrits passent ensuite d’une part dans les éditions des libres de chant grégorien à l’usage des moines ou des fidèles, d’autre part dans les sessions de formation des maîtres de chœur. La conciliation entre science et chant choral se fait ainsi dans une continuité logique et aussi chronologique qui n’exclut pas les tensions ou les discussions entre les scientifiques et les praticiens.
Au niveau du simple moine que je suis, qui n’a ni la science ni les dons musicaux, l’apport des livres liturgiques, objectif, et du maître de chœur, subjectif, me comble : les classes de chant régulières, normalement hebdomadaires, et les célébrations au chœur quotidiennes m’aident à « accorder » au sens musical mon oreille, ma voix et mon cœur au chant d’amour de l’Église.
R&N : Les monastères n’ont pas vocation initiale à être des paroisses. Le changement de la pratique religieuse et la réduction du nombre de prêtres en France impactent-ils la vie monastique ?
DJPL : Il est vrai qu’un monastère n’est pas une paroisse, surtout dans notre congrégation de Solesmes qui exclut l’apostolat paroissial. A Solesmes même il y a côte à côte l’église des moines et l’église paroissiale : le dimanche matin il y a la messe en grégorien pour les moines – où sont accueillis les fidèles qui veulent y participer – et la messe en français pour les paroissiens.
Non, pour l’essentiel, il n’y a pas d’effet sur la vie monastique dans ce changement, car la liturgie monastique telle que la dessine saint Benoît dans sa règle ne change pas dans ses grandes lignes. La vie monastique – y compris la liturgie monastique – est continue, sans interruption ni rupture, elle a donc la solidité et la résistance du quotidien. Dans les années 1880 quand le gouvernement français a décidé d’expulser les moines parce que c’étaient des bouches inutiles, l’armée est venue prendre les moines un par un, en terminant par l’abbé, pour les conduire du chœur où ils chantaient à la place du village. C’est un beau symbole de la stabilité du moine, qui croit en Dieu et reçoit de Dieu, comme tout fidèle, la force de témoigner de sa foi jusqu’au martyre s’il le faut, comme c’est arrivé au cours de la Révolution en France, en Espagne.
Il y a cependant certaines adaptations nécessitées par les circonstances : le manque de prêtres dans le diocèse fait que le dimanche plusieurs moines célèbrent la messe dans une paroisse des environs. De même les fidèles peuvent venir demander chaque jour à rencontrer un moine pour l’accompagnement spirituel et/ou le sacrement de la Réconciliation. Cela se pratique beaucoup, à la demande des hôtes, dans le cadre de l’hôtellerie. En lien avec cette hôtellerie, il y a aussi l’accueil des groupes divers qui viennent chercher au monastère un lieu de silence, d’écoute de la Parole de Dieu, d’enseignement théologique ou pastoral.
Le nombre de moines lui-même diminue. C’est une raison pour moi de remercier Dieu qui m’a appelé à devenir moine, à vivre en moine sous son regard chaque jour, à demeurer heureux dans son amour. A qui lira ces lignes je demande deux choses : aidez-moi à remercier Dieu pour ce don d’une eau vive dont Il me comble – qu’Il est bon ! Aidez-moi par votre prière à persévérer dans cet amour, car je ne suis pas meilleur qu’un autre, pécheur comme tous ; mais ma confiance c’est Jésus Sauveur qui me pose à moi pécheur, comme à saint Pierre, la question de la confiance : « M’aimes-tu plus ? » Pécheur, j’aime regarder vers la seule qui est pleine de grâce, pleine de bonté, conçue sans péché. Les moines ont une femme dans leur vie, une Mère qui les conduit, par l’Esprit, à Jésus, au Père.
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