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R&N : Les Poissons roses viennent de publier aux éditions du Cerf « A contre courant », un manifeste politique pour la France. Quelles en sont les grandes lignes ?
Étienne et Nathanaël : Nous constatons que la démocratie représentative ne représente plus, la politique tourne à vide. Les électeurs voient avec inquiétude, voire angoisse, une présidentielle de 2017 avec les mêmes acteurs qu’en 2012. Au-delà de cet aspect conjoncturel et malgré la vitalité de nombreuses initiatives, l’ultra-individualisme contemporain a bousculé l’espérance dans les projets communs. Or une vision collective de l’avenir se fonde sur des projets communs qui donnent à chacun l’envie de se lever le matin. Aujourd’hui, quel projet collectif peut donner à nos concitoyens le goût de se rassembler ? Certains proposent une France à la grand-papa, une monarchie républicaine qui serait menée par un leader charismatique. C’est une vision illusoire dans un monde trop complexe où doit jouer à plein la subsidiarité. D’autres se contentent de gérer le présent, dans un entre-soi devenu insupportable, et sans comprendre que les temps ont changé, ni saisir les ressorts profonds de la personne humaine, qui est bien plus qu’un consommateur interchangeable.
"Nous sommes reliés, donc je suis" déclarons-nous dans notre "petit livre rose". C’est en soi révolutionnaire dans notre culture du "no limit" solitaire, qui laisse se développer de profondes failles, sources de puissantes injustices. Or, le moteur premier des Poissons roses est la recherche de la justice concrète, dans tous les champs de l’existence. C’est d’ailleurs l’ADN politique de la gauche.
Mais ce combat pour la justice ne peut se découper en tranches. Il sera global ou il ne sera pas : "tout est lié" pour reprendre l’antienne de Laudato Si’. Notre combat s’appuie sur l’expérience du réel, l’engagement concret de nombre de nos membres. Et il doit porter sur toutes les injustices à l’œuvre dans notre monde : des conditions de travail de l’ouvrière textile au Bangladesh, à l’usine à bébés en Inde pour les GPA des riches, en passant par l’insertion professionnelle de chômeurs désespérés, tentés par le vote FN, la protection de l’enfant trisomique à naître, dont les glaciales statistiques montrent que 96 % sont avortés ou la personne précaire en fin de vie, dans un hôpital sous pression financière, à qui on fera croire que l’injection létale est l’ultime soin palliatif...
C’est en défendant la justice dans tous les champs de l’existence que nous guérirons la gauche, que nous lui redonnerons une cohérence et que nous relancerons la France, dans l’Europe. C’est pourquoi avec George Orwell, l’auteur de 1984, lui aussi passionnément socialiste, nous affirmons que « Pour défendre le socialisme, il est absolument nécessaire de commencer par l’attaquer ». Hier, il fallait se battre contre sa tendance totalitaire. Aujourd’hui, il faut le guérir de sa tentation libertaire. Et le recentrer sur les réformes prioritaires. Notre « petit livre rose » en est la "potion magique". Car nous sommes persuadés que lorsque la gauche est malade, c’est tout le pays qui trinque...
R&N : Vous aviez apporté votre soutien à François Hollande en 2012. Quel regard portez-vous quatre ans après sur ce soutien, notamment suite à la promulgation de la loi Taubira et à la promesse non remplie de François Hollande de lutter contre son ennemi, c’est à dire la Finance ?
E.F. et N.M. : En 2012, les Poissons Roses ont voulu participer au débat au sein de la gauche. Nous avions formulé des propositions cohérentes, fondées sur la justice, l’éthique et l’écologie. Une partie de ces aspirations profondes semblaient portées par le candidat de la gauche. François Hollande candidat avait annoncé sa volonté de mettre la finance au pas dans ce qu’elle pouvait avoir d’excessif, c’est vrai. Mais aussi la priorité qu’il comptait donner à la jeunesse et à l’écologie. Sans compter les promesses de réforme cohérente et en profondeur de la fiscalité. Ces différents points, nous continuons à penser qu’ils sont essentiels. Nous ne revenons donc pas dessus. En revanche, notre déception est grande quant à la manière dont ces engagements ont été traités durant ces quatre années.
En ce qui concerne les questions éthiques et plus spécifiquement la loi Taubira, nous gardons la même exigence. Une vision libertaire des personnes, réduites à des individus dépositaires de droits, mène à prendre des décisions précipitées. Cela entraîne des risques éthiques et des risques pour la justice. Nous nous sommes donc prononcés contre la loi Taubira sur le mariage entre personnes de même sexe en 2013. Proposée dans une intention très politique, cette loi a été une source de dissensions profondes dans la société française. Pour autant il nous semble mensonger de prétendre aujourd’hui revenir sur l’intégralité du texte de la loi Taubira, notamment en ce qui concerne le mariage pour les personnes de même sexe. Mais plus que jamais, les Poissons Roses sont attachés à un engagement ferme contre la GPA et la PMA sans père.
Le vote de cette loi a surtout laissé passer l’occasion de provoquer une grande réflexion de fond sur les évolutions de la famille en France. Nous le savons pour le constater chaque jour, nos modèles familiaux ont changé depuis plusieurs décennies. Pour le moment, le droit ne suit pas. L’État ne remplit plus son rôle de protection et d’accompagnement des plus faibles dans le domaine familial. C’est pourquoi nous proposons une vaste concertation, apaisée, qui prendrait la forme d’états généraux sur la famille.
R&N : Vous défendez l’écologie. Quelles sont vos positions sur l’écologie intégrale, c’est-à-dire la défense de la vie de sa conception jusqu’à sa fin naturelle ainsi que les enjeux que posent désormais à notre société le développement du transhumanisme ?
E.F. et N.M. : « Socialistes et papistes », nous nous reconnaissons dans l’idée vulgarisée par le Pape François selon laquelle « tout est lié ». Les premières victimes du réchauffement climatique sont les plus pauvres. Les premières victimes de la « gestation pour autrui » (nous préférons l’expression de « location d’un ventre pour une grossesse »), avant même les enfants que leurs « parents » refusent lorsqu’ils ne sont pas conformes à leurs attentes, sont ces mères porteuses des pays en développement comme l’Inde, quasiment réduites à l’esclavage dans des « usines à bébés ». Les premiers à payer le prix de la libéralisation de l’agriculture sont les petits producteurs, que la volatilité des prix asphyxie, la paysannerie dans les pays du Sud, dont la concurrence des industries agroalimentaires empêche le développement, et nos enfants, pollués dès la naissance du fait des perturbateurs endocriniens que nous ingérons.
Ainsi, l’écologie intégrale, ce n’est pas seulement la défense de la vie de sa conception à sa fin naturelle. C’est un discours cohérent selon lequel la défense de notre maison commune mêle des préoccupations sociales, environnementales et éthiques. Par ce concept, le pape appelle la Gauche à la raison, elle qui n’est pas cohérente lorsqu’elle défend des positions sociétales qui ne servent en rien l’émancipation de la personne mais prônent plutôt un individu sans attaches, isolé. De même, il appelle les libéraux à la raison lorsqu’ils disent d’un côté défendre la vie, alors que le modèle économique qu’ils soutiennent génère des conséquences catastrophiques, tant sociales qu’environnementales.
R&N : Comment la France peut-elle résoudre la question migratoire, qui devient de plus en plus présente dans le débat politique, sans toutefois faire l’impasse sur les valeurs chrétiennes et l’accueil de ceux qui ont réellement besoin de notre aide ?
E.F. et N.M. : Vaste question ! Nous ne prétendons pas ignorer la complexité de ce débat. Il est normal qu’un État contrôle ses frontières et gère le flux de personnes en fonction de ses capacités. Mais il faut aussi prendre en compte que ces capacités sont en général sous-évaluées. A titre d’exemple, le Liban accueille 45% de migrants. De plus, il faut évacuer la tentation facile du bouc-émissaire, du mal qui vient du dehors.
Aux Poissons Roses, nous tentons d’aborder chaque enjeu à travers le prisme de la personne. Aussi nous proposons que l’accueil des familles de migrants se fasse dans des communautés. Car si chacun peut avoir peur des chiffres considérables, des millions de personnes apparemment jetées comme des barbares aux portes de l’Europe, le visage d’une personne connue change la donne. Quelles que soient les difficultés, nous ne pouvons pas écarter le cri de l’humanité, celui qui nous saisit au moment de voir ces familles entières jetées sur les routes de l’exil par la guerre. La lucidité voire la prudence face à la complexité ne doivent pas étouffer l’élan de la solidarité.
En tout cas la France, pas plus qu’un autre pays européen, ne peut faire face seule à ce défi considérable. La détérioration des conditions climatiques, entre autres, pourrait bien accentuer le problème dans les décennies qui viennent. La gestion de l’urgence ne doit pas s’affranchir d’une vision à long terme. Celle-ci passe par une diplomatie efficace avec les pays voisins des zones en guerre. Mais aussi par une réflexion réelle et sans concession sur la pertinence et la forme de nos engagements économiques et militaires dans ces zones de conflit.
R&N : N’êtes-vous pas minoritaire à gauche, vous qui vous désignez justement comme « à contre courant » ?
E.F. et N.M. : C’est vrai et c’est loin d’être une faiblesse. Au contraire, nous tirons de cette position une grande force !
Nous sommes minoritaires car nous osons aller à contre-courant sur les questions sociétales telles que la fin de vie, le mariage pour tous et la GPA. Mais nous ne nous focalisons pas sur les questions éthiques. Nous sommes également à contre-courant lorsque nous affirmons que la Gauche n’en fait pas assez pour les plus pauvres, qui doivent être au cœur de son programme politique. A contre courant si nécessaire, mais pas isolés : nombreux sont celles et ceux qui nous rejoignent sur ces positions, à l’instar par exemple de Benoît Hamon, José Bové ou le collectif CoRP sur la gestation pour autrui. Plusieurs députés de la majorité se sont également abstenus lors du vote de la loi Taubira. Et la loi « Zéro chômeurs de longue durée », portée par le député Laurent Grandguillaume à l’initiative d’ATD Quart Monde et récemment adoptée par le Parlement va dans le sens de notre proposition pour un revenu d’activité universel.
Il n’est donc pas grave d’être minoritaires. D’ailleurs, les courants actuels du PS, qui sont de fait plus des écuries que des mouvements d’idées, sont constitués de peu de personnes. Et nous avons des sympathisants aux quatre coins de la France.
Cette position minoritaire nous permet une grande liberté de parole et nous libère des clivages. Nous échangeons ainsi avec toutes celles et ceux qui acceptent de nous rencontrer et se reconnaissent dans l’écologie intégrale que nous défendons. Force est de croire que ce discours porte, car nos sympathisants sont toujours plus nombreux. Serons-nous bientôt majoritaires ? C’est notre projet.
R&N : Comment entendez-vous peser sur la ligne politique lors de l’élection présidentielle de 2017 ? Pouvez-vous compter sur des élus pour défendre vos idées ?
E.F. et N.M. : D’abord en parlant de nos idées. Notre « Petit Livre Rose » a pour vocation de faire connaître nos propositions au plus grand nombre de personnes possible. Nous sommes convaincus que la cohérence et la constance sont nécessaires en politique, et qu’elles sont trop souvent reléguées à l’arrière-plan. Les électeurs ne veulent plus de la prise de pouvoir des « spin doctors » ! Aux États-Unis, déjouant les pronostics, Bernie Sanders triomphe face à Hillary Clinton dans le cadre des primaires démocrates, trouvant un large écho en particulier auprès des jeunes, alors même qu’il refuse de se soumettre aux canons actuels de la communication politique. C’est une excellente nouvelle ! En proposant une vision de la politique affranchie des contraintes de partis, et de courants !, nous pensons répondre à une aspiration toujours plus manifeste de la société française. Notre exigence est simple, mais sans concession : justice, éthique, écologie doivent marcher main dans la main pour avoir un sens. Si nos fondements sont justes, ils doivent pouvoir susciter l’adhésion, quitte à provoquer la discussion sur les conséquences que nous en tirons. Nous voulons provoquer ou participer à ce débat au sein de la gauche. Sur les valeurs de la gauche, sur la manière d’être de gauche aujourd’hui, sans choisir son « plus faible », mais en allant le chercher du début à la fin de la vie, en bas de chez soi et au bord de la Méditerranée, dans les camps de Roms et dans les appartements solitaires des grandes villes.
Nous avons proposé l’organisation d’une vaste primaire à gauche, seul moyen selon nous de porter une candidature forte en 2017. Depuis la rédaction de notre projet, de nombreuses voix ont pris position en faveur d’une telle initiative. Les Poissons Roses seront évidemment présents dans les débats d’une telle primaire. Cela pourrait passer par un candidat Poissons Roses, par le soutien d’un candidat dans lequel nous nous reconnaîtrions. Mais aussi par des discussions avec les différentes personnalités, politiques ou issues de la société civile, qui se présenteront.
Nous discutons déjà avec de nombreux élus depuis la création des Poissons Roses. Avec la rédaction et la parution de A Contre Courant, nous avons ravivé et renforcé ces liens.
R&N : Sens Commun, né après la loi Taubira souhaite lui aussi porter des valeurs éthiques et chrétiennes. Comment vous situez-vous vis-à-vis de ce courant ?
E.F. et N.M. : Précisons d’abord que dans toutes nos positions, nous défendons une ligne politique et non religieuse. Les Poissons roses sont de ce point de vue ouverts à toutes les croyances, pourvu que le socle soit commun, ainsi que le désir d’un combat pour la justice dans tous les champs de l’existence. Cela nous amène notamment à entretenir des contacts et débattre avec Sens commun, mais nous présentons plusieurs différences.
Contrairement à Sens Commun, notre engagement et notre programme ne sont pas nés de la Manif pour Tous. Ce mouvement se focalise trop sur la loi Taubira. Un projet politique ne peut se fonder sur l’abrogation d’une loi ! Nous regrettons que le parlement ait adopté la loi du « mariage pour tous » sans prendre le temps d’une véritable conversation anthropologique et sociale. Nos convictions n’ont pas changé, c’est aussi ce qui nous amène à proposer une vision cohérente de la famille, quel que soit son état. Nous voulons avant tout promouvoir l’engagement durable pour tous les couples, pour que la famille soit un lieu d’émancipation et d’engagement, et protéger les enfants, qui sont souvent les premières victimes des problèmes rencontrés au sein des familles.
Nous aimerions que Sens commun défende avec la même force les droits des plus pauvres, modère le discours à droite sur l’immigration, et prône davantage un modèle économique durable, c’est-à-dire soucieux de développement de l’Homme et de la protection de l’environnement. Nos convictions personnalistes nous amènent à critiquer l’ultra-libéralisme. La droite aussi a un immense travail à réaliser de mise en cohérence anthropologique de son discours. Elle doit aussi lutter contre la tentation bonapartiste ou du sauveur providentiel, qui semble inscrit dans l’ADN de ce parti. C’est pourquoi nous proposons une réforme des institutions et notamment, l’instauration du non-cumul des mandats dans le temps et l’espace.
Enfin, nous bénéficions d’une plus grande liberté de ton, car nous avons un pied au Parti socialiste (la moitié de nos membres sont adhérents) et l’autre en dehors. Sens Commun a choisi quant à lui de se lier aux Républicains.
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