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Jean-Pierre Maugendre : « L’islam n’est pas soluble dans la laïcité »

La 24e Université d’été de Renaissance Catholique aura lieu du samedi 11 au mardi 14 juillet au Carrousel de Baronville (28) sur le thème « La France au risque de l’islam ». Son président, Jean-Pierre Maugendre, a bien voulu répondre au R&N.

R&N : En quoi l’Université d’été de Renaissance catholique se distingue-t-elle des autres propositions de formation qui, chaque été, se multiplient dans le monde catholique ? Quel en est le mode opératoire ?

Jean-Pierre Maugendre : Ce que nous faisons n’est pas excessivement original : d’autres associations organisent des activités analogues. Je crois néanmoins que la particularité de ce que nous faisons peut se résumer en trois mots : qualité, pluralité, pérennité.
Nous insistons sur la qualité des conférences prononcées lors de notre université d’été. C’est la raison pour laquelle nous choisissons d’abord un sujet général que nous déclinons en plusieurs conférences puis nous faisons ensuite appel à une personnalité reconnue qui interviendra dans son domaine de compétence.
Une autre originalité est la pluralité, j’allais écrire la diversité, des participants. Nous ne sommes l’émanation ni d’un parti politique ni d’une chapelle spécifique, ce qui permet à tout le monde de se sentir à l’aise, même si les gens ne votent pas pour la même personne ni ne vont à la messe, pour ceux qui y vont, dans la même chapelle ou église.
Enfin, la pérennité : notre première université d’été a eu lieu en 1992. Nous assurons une continuité dans le temps et un suivi autour de nos conférences.

R&N : Quel est concrètement le mode opératoire de l’université d’été de Renaissance catholique ?

Jean-Pierre Maugendre : Tout est essentiellement orienté autour des conférences (plus d’une dizaine). Le conférencier expose son sujet pendant environ une heure, puis suivent les questions du public et les réponses du conférencier. Cela est complété par des activités spirituelles, puisque la messe est célébrée chaque jour, mais aussi culturelles. Nous serons, cette année encore, situés non loin de Chartres et nous visiterons le château de Maintenon. Sera également présentée la très belle exposition conçue par la DRAC (Droits du religieux ancien combattant) sur le rôle des religieux durant la guerre de 14.
En définitive, l’aspect intellectuel est prédominant, mais les éléments spirituels, culturels et amicaux sont également marquants.

R&N : Evoquons les invités de votre université d’été : on y compte, entre autres, un général, un philosophe, le directeur d’une revue prestigieuse, un abbé, un théologien, un député européen. La rencontre entre l’Islam d’une part, et la France d’autre part, est un sujet aux multiples facettes (civilisation, foi, laïcité, identité, transmission, politique étrangère, etc.). Entendez-vous donner à penser sur l’ensemble de ces facettes ?

Jean-Pierre Maugendre : Il n’est pas possible d’être exhaustif sur ce sujet en quatre jours. Et ce d’autant plus que nous sommes déjà intervenus sur la question de l’Islam lors de précédentes universités d’été. En 1995, à l’occasion de l’anniversaire de la prédication de la première croisade par le pape Urbain II à Clermont-Ferrand en 1095, nous avions consacré nos échanges aux relations conflictuelles entre l’Islam et la Chrétienté, sous le titre «  La Croix et le croissant ». En 2000, nous avons publié « Le XXIè siècle sera-t-il musulman ? », en 2003 « Le choc des civilisations : mythes et réalités » puis en 2004, «  Le piège de la laïcité », qui traitait également, en partie, de la question de l’Islam.
Cette année, nous nous sommes attachés à trois axes majeurs. Le premier est de revenir sur les réalités démographiques. Nous avons demandé à Jean-Paul Gourévitch de nous exposer la manière dont il est possible de connaître le nombre de musulmans qui vivent en France. Le chiffre de sept millions de personnes était récemment avancé par Dalil Boubakeur, président du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman). Observons de plus que ce n’est parce qu’un musulman étranger devient citoyen français que tous les problèmes disparaissent. Les questions de civilisation ne sont pas réductibles à la simple possession ou non d’une carte nationale d’identité française.
Deuxième axe de réflexion : Où se situe la ligne de partage, voire de fracture – s’il en existe une – entre islam et islamisme ? En effet si chacun s’accorde à critiquer l’islamisme peu s’interrogent sur son éventuelle frontière avec l’islam La question mérite d’autant plus d’être posée qu’à chaque attentat plus ou moins spectaculaire- de l’attaque à main armée à l’irruption d’une voiture folle dans une foule- les médias évoquent systématiquement l’action d’un « déséquilibré » ou d’un « malade ». Nous souhaitons revenir à la réalité et aux faits, dans une démarche anti-idéologique, et tout simplement constater qu’il existe des personnes qui fonctionnent avec un autre système de valeurs que le nôtre, des paradigmes différents. La première chose à faire c’est de comprendre comment fonctionne l’autre. Sinon, il est évident que nous allons vers des drames.
Enfin on ne peut pas faire l’impasse sur le concept de laïcité qui est présenté comme la martingale qui permettrait de résoudre toutes les difficultés.

R&N : Toujours parmi vos invités, on note la présence de François-Xavier Bellamy (adjoint au maire de Versailles) et du député européen (FN) Aymeric Chauprade. Cela signifie-t-il qu’au-delà des étiquettes partisanes, il est possible pour des hommes de droite de se réunir afin de délibérer, d’échanger, et ce en vue du Bien commun ?

Jean-Pierre Maugendre : Tous deux sont déjà venus à de précédentes universités – certes, pas en même temps – et leur présence n’est donc pas une surprise. Léon XIII, à la fin du XIXè s dans son encyclique sur le Ralliement, évoquait : « la politique qui divise et la religion unit ».
En outre le livre de Jacques Heers, Chute et mort de Constantinople, nous livre un certain nombre de leçons pour notre temps. Le 29 mai 1453, contrairement à ce qu’on dit souvent, les Byzantins ne sont pas en train de discuter du sexe des anges. En revanche, la ville est violemment divisée entre adversaires et partisans de la réconciliation avec le Saint-Siège conclue quelques années auparavant. La division des Byzantins entre eux est une réalité, d’autant plus qu’à l’époque, les grandes puissances occidentales de la région (Gênes et Venise) refusent d’intervenir pour sauver la ville afin de préserver leurs intérêts économiques avec les pays musulmans. Il y a beaucoup de leçons à retirer de cette chute de Constantinople, qui est morte, en partie, des divisions qui l’ont minée.
Maurras nous donne aussi à réfléchir : « Quand Syracuse est prise, Archimède est égorgé et tant pis pour le théorème ». Je crois qu’aujourd’hui, nous sommes dans cette situation : au service du bien commun et de la pérennité de notre pays et de notre civilisation, certaines attaches partisanes doivent, en fin de compte, s’effacer. N’est-il pas malheureusement dans la nature d’un parti d’avoir du mal à prendre en compte le bien commun ?
L’heure est aujourd’hui au dépassement de certains clivages qui, souvent, plongent leurs racines dans une histoire douloureuse qui n’évoque plus rien pour les jeunes générations.

R&N : Le thème de cet été sera " La France au risque de l’Islam ". En quelques mots, quel est ce risque ? Ne s’agit-il pas plutôt de risques, au pluriel ?

Jean-Pierre Maugendre : Tout repose d’abord sur des données démographiques. Nous vivons dans un pays où, en l’espace de quarante années, sont venus s’installer, avec intention d’y rester, environ sept millions de musulmans, comme nous l’évoquions au début de cet entretien. Un phénomène de cette ampleur est radicalement nouveau. Or ces personnes procèdent d’une autre civilisation que la nôtre, à laquelle ils n’ont pas du tout l’intention de renoncer, radicalement étrangère à nos us et à nos coutumes,.

R&N : S’agit-il donc d’une question culturelle, plus que cultuelle ?

Jean-Pierre Maugendre : Les deux aspects sont liés. En effet, si une civilisation ne se réduit pas exlusivement à une religion, ou à l’irréligion, qui l’anime, chaque civilisation repose sur une conception et une idée de l’homme qui renvoient toujours à des notions religieuses ou anti-religieuses, ce qui est le cas de notre société actuelle. Il est bien évident que si l’homme est créé à l’image de Dieu son destin et les motifs de sa dignité sont d’une autre nature que s’il est le simple résultat du hasard et de la nécessité, le fruit plus ou moins indéterminé d’une évolution matérialiste, le descendant des grands singes.

R&N : Au cours de cette université d’été, de quelle manière le "risque de l’Islam" sera-t-il appréhendé ? S’agira-t-il de mises en garde, de constats, de solutions éventuelles ?

Jean-Pierre Maugendre : Nous ne disposons pas de l’autorité requise pour faire des mises en garde. En revanche nous sommes attachés à revenir à la réalité de certains faits parfois occultés, et nous chercherons à dégager des pistes de réflexion avec des observateurs qualifiés et des hommes de terrain. Ainsi nous aborderons la question de l’Islam dans l’Armée française, ou à l’école. Des propositions concrètes pourront émerger de ces interventions.

R&N : Quelles différences apporterez-vous avec le traitement réservé à l’Islam dans la grande presse par exemple, qui traite souvent de la question islamique, ne serait-ce que par les couvertures de grands hebdomadaires ?

Jean-Pierre Maugendre : La première différence, de taille, est que nous chercherons à regarder la réalité telle qu’elle est, loin des lunettes déformantes de la Pensée unique. La seconde est que nous passerons la laïcité au crible de l’histoire, de la philosophie et de la théologie afin de discerner si elle est vraiment « l’arme fatale » susceptible de résoudre toutes les difficultés que pose l’Islam en France. Or l’enseignement de l’histoire est implacable. Il n’a jamais existé, à l’exception de la Tunisie qui est un pays de taille modeste, de pays musulmans durablement laïcisés. Toutes les tentatives de laïcisation de pays musulmans, menées depuis le XXè siècle en Turquie (avec Ataturk), en Irak ou en Syrie (avec le Parti Baas), en Iran (avec le shah) ou en Egypte (avec Nasser) ont échoué. Ces populations, superficiellement laïcisées par la force, se sont, à l’issue d’une période plus ou moins longue ralliées à un islam fondamentaliste. L’islam n’est pas soluble dans la laïcité. C’est un fait. S’il existe des contre-exemples significatifs, je suis disposé à les connaître, mais aujourd’hui, cela n’existe pas. On voit mal comment ce qui a échoué depuis maintenant 150 ans réussirait dans les vingt années qui viennent. Cela d’autant plus que ce phénomène de laïcisation a échoué alors que l’Occident dominait le monde musulman. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. L’Islam est en position dominante, d’abord pour des raisons financières – les pétromonarchies du Golfe disposent de moyens financiers considérables– ensuite pour des raisons démographiques. On voit mal comment, aujourd’hui, on pourrait « laïciser » l’Islam.
A cet égard je vous conseille, à propos des relations complexes qu’entretient le monde musulman avec l’Occident, le film remarquable d’Abderrahmane Sissoko : « Timbuktu ». Il décrit admirablement les sentiments contradictoires des musulmans vis-à-vis de l’Occident. A la fois attraction vers le mode de vie occidental, son aisance matérielle, sa liberté, et en même temps répulsion devant les marques de sa décadence en particulier à cause du laxisme moral.

R&N : Quelles réponses les catholiques français peuvent-ils apporter à la question musulmane ? L’assimilation républicaine est en panne, et les générations de dirigeants qui se succèdent ne semblent pas décidés, face à l’Islam, à opposer une affirmation claire des principes de notre civilisation chrétienne.

Jean-Pierre Maugendre : La France est un pays d’immigration massive depuis la fin du XIXe. Il y a trois raisons à ce phénomène : le Code civil, les guerres napoléoniennes et la déchristianisation.
Le Code civil a instauré l’obligation, au moment des successions, de diviser tout patrimoine familial équitablement entre les enfants, ce qui, dans une société rurale, est toujours un drame. Les familles paysanes ont donc réduit leur natalité afin de ne pas disperser leurs biens.
Les guerres napoléoniennes ont tué des centaines de milliers de jeunes hommes. Démographiquement, l’impact n’est pas le même que si ces victimes avaient été réparties entre des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards.
Enfin la déchristianisation amorcée en France dès le siècle des Lumières a débouché sur une transition démographique qui a débuté dans notre pays plus tôt qu’ailleurs.
Ainsi, à la fin du XIXè s, la France devient un pays d’immigration. Viennent alors s’installer en France des populations appartenant à la même civilisation (européenne) et partageant la même religion catholique(Italiens ou Polonais). Ces populations seront pris en main par trois instruments d’intégration qui, aujourd’hui, ne fonctionnent plus : l’école (publique ou confessionnelle) qui exalte le « roman national », l’armée ( le service militaire dure trois années) et enfin l’Eglise. Si les communautés étrangères disposaient parfois de leurs propres aumôniers, la vie religieuse se développait dans le cadre du diocèse, et restait un puissant facteur d’assimilation.
Aujourd’hui, ces trois instruments d’intégration sont en panne. Pour l’avenir, il faudrait adapter et actualiser ce qui a fonctionné par le passé. Restaurer une école où on transmet l’amour de la France et non la repentance permanente ; établir à nouveau un service militaire ou civique proposant à la jeunesse un véritable cadre ; enfin, faire en sorte que l’Eglise retrouve un rôle assimilateur, à ceci près qu’aujourd’hui, les populations étrangères présentes sur notre territoire national ne sont plus majoritairement chrétiennes. Les données ont donc fondamentalement changé.

R&N : La conversion des musulmans, enjeu majeur et défi ô combien difficile, sera-t-elle évoquée lors de vos débats ?

Jean-Pierre Maugendre : Nous consacrerons une table ronde à cette question, animée par Philippe Maxence. Seront présents l’abbé Pagès qui a écrit plusieurs livres sur l’Islam, Mohamed Christophe Bilek de l’association Notre-Dame de Kabylie, Jean-Yves Nerriec de l’association Angelus ainsi que l’abbé Loiseau des Missionnaires de la Miséricorde, congrégation religieuse dédiée à la conversion des musulmans. Toutes ces personnes témoigneront de la nécessité et des moyens d’évangéliser les populations musulmanes. Nous tâcherons de cerner les enjeux et de discerner ce qui est possible.

R&N : Où peut-on consulter le fruit des précédentes universités d’été ?

Jean-Pierre Maugendre : Sur notre site, renaissance catholique.org vous pouvez retrouver l’ensemble des Actes, reprenant les conférences déjà publiées.

Aujourd’hui, nous avons publié seize ouvrages. Cela représente plus de 250 contributions dont 110 auteurs différents et une diffusion de plus de 20 000 livres. Le 17e ouvrage : A quoi sert l’histoire ? sortira cet été. Mais peut-être aurons-nous l’occasion d’en parler à ce moment là.

R&N : Quel message d’espoir souhaiteriez-vous adresser aux Français ayant l’impression de perdre pied, pris en tenaille entre un Islam conquérant et le matérialisme occidental ?

Jean-Pierre Maugendre : Le message d’espoir est que rien n’est jamais écrit. La situation est difficile, mais pas moins que celle de la France de Jeanne d’Arc, au temps du « honteux Traité de Troyes ». L’avenir appartient à ceux qui savent transmettre et qui ont la mémoire la plus longue. L’Eglise a les paroles de la vie éternelle, et de nombreuses prédictions de papes annoncent le redressement de la France. Bien sur, nous y croyons. A chaque fois, cependant, ces promesses de renouveau sont conditionnées par la nécessité pour la France de renouer avec sa vocation et les promesses de son baptême. C’est cet esprit qui anime notre œuvre de réforme intellectuelle et morale depuis nos origines.

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