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R&N : Vos travaux s’opposent à la vision classique de l’historiographie sur la continuité entre l’organisation territoriale romaine et les diocèses médiévaux. Dans quelle mesure cette approche est-elle donc désormais dépassée ?
Florian Mazel : À vrai dire, il ne m’appartient pas de déclarer que cette approche est dépassée. Mon ouvrage propose une autre interprétation du processus de fabrique du diocèse que la conception traditionnelle d’une grande continuité entre les structures territoriales de l’Empire romain tardif et les diocèses médiévaux, mais il revient à la communauté scientifique, française et internationale, d’apprécier si cette interprétation est convaincante… ou pas.
Sur le fond, mon propos repose sur deux argumentations de nature différente. Une première argumentation s’efforce de démontrer que les circonscriptions diocésaines, lorsqu’on en connaît de manière relativement fiable l’étendue et les limites – ce qui ne se produit qu’à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, sur la base de documents fiscaux comme les pouillés ou les comptes des dîmes –, ne coïncident que partiellement avec les quelques limites de cités antiques bien connues par les sources archéologiques ou épigraphiques romaines. On a en effet désormais connaissance de très nombreuses variations locales, y compris dans les régions les plus romanisées comme le sud de la France, l’Italie ou l’Espagne. Sans parler des nombreux réaménagements de la carte des sièges diocésains (par exemple en Bretagne, en Gascogne, en Bourgogne, en Flandre…) et des créations médiévales dans les espaces nouvellement christianisés (au nord et à l’est de l’Europe notamment).
Mais au-delà de cette révision de la géographie historique traditionnelle, mon analyse repose plus fondamentalement – c’est la deuxième argumentation – sur l’étude dans la longue durée du rapport à l’espace entretenu par l’évêque et plus largement l’institution ecclésiale. Car c’est parce que la géographie historique a toujours supposé que l’Église avait conservé tout au long du Moyen Âge le rapport administratif et territorialisé à l’espace qui était celui de l’État romain qu’elle a supposé du même coup la conservation des formes territoriales antiques dans la géographie ecclésiastique médiévale et moderne. Or, passé le VIe siècle, la fonction épiscopale ne se définit plus à travers la reprise partielle des attributs des magistrats romains (essentiellement la juridiction et la fiscalité), mais à partir d’un pouvoir d’ordre qui repose sur les relations personnelles (avec les desservants, les patrons des églises, les fidèles), les réseaux sociaux (au sein du clergé ou de l’aristocratie) et des lieux spécifiques (lieux de culte et sanctuaires à reliques). En outre, l’évêque doit faire face à de nombreux concurrents qui minent son autorité aussi bien juridictionnelle que sacramentelle jusque sur le plan spatial : évêques voisins, maîtres aristocratiques des grands domaines, monastères en quête d’exemption… Dans ce cadre, le diocèse n’est le plus souvent qu’une « enveloppe spatiale » (E . Zadora Rio) dessinant une zone à l’homogénéité relative et aux périphéries inégalement maîtrisées : au-delà du chef-lieu de cité, l’emprise épiscopale prend la forme d’un archipel reliant principalement les zones où il est aussi reconnu comme seigneur et les grandes abbayes qui lui demeurent soumises.
R&N : Outre cette remise en cause de l’espace, votre ouvrage divise le temps médiéval non en trois mais en deux périodes. Cette nouvelle division doit-elle être appliquée, de manière restreinte, uniquement à l’histoire des diocèses ou est-elle une remise en cause plus large de la périodisation du Moyen Âge ?
Florian Mazel : La question qui me retient, et plus globalement l’ensemble des études récentes, historiques ou archéologiques, qui s’intéressent aux questions spatiales et territoriales, contribuent à cette redéfinition de la périodisation interne du Moyen Âge (cf notamment les travaux de Dominique Iogna Prat sur le lieu de culte, de Didier Méhu sur la congrégation clunisienne et de Michel Lauwers sur le cimetière). Mais de nombreux autres secteurs des études médiévales œuvrent depuis quelques années dans le même sens. En archéologie, le XIIe siècle constitue un véritable seuil entre deux Moyen Âge, en relation avec le décollage urbain (rôle de la pierre dans le bâti, amélioration du confort des habitations), la stabilisation des pôles villageois autour des églises et des cimetières, le développement technologique (moulin hydraulique, métallurgie, verrerie), le niveau de maîtrise environnementale (zones humides, cours d’eau), enfin la culture matérielle (amplification en volume et diversification typologique du vaisselier). Dans un tout autre domaine, les études consacrées au rôle de l’écrit dans le traitement de l’information, les modes de communication et l’émergence de formes de rationalité et de domination que l’on appellera faute de mieux administratives, soulignent également l’existence d’un tournant du XIIe siècle, parfois enraciné dans la réforme « grégorienne », parfois prolongé jusqu’à l’essor des écritures urbaines des premières décennies du XIIIe siècle. Une véritable « révolution documentaire » se serait alors produite, que manifesteraient d’une part l’explosion quantitative de la production écrite, à la fois dans l’Église (qui disposait jusque-là d’un quasi-monopole en la matière) et hors de l’Église, dans les chancelleries royales et princières et dans les milieux urbains (notariat, institutions communales, écoles et universités), d’autre part la diversification de cette production en raison de l’essor sans précédent des registres et plus généralement de « l’écrit pragmatique », à des fins d’archivage, de gestion, de comptabilité, de justice, de fiscalité, de mémoire.
La réévaluation en cours de la réforme dite « grégorienne », qui en suppose la redéfinition comme « phénomène social total » (M. Mauss), propose également d’y voir une profonde rupture entre deux Moyen Âge, voire entre deux christianismes. La réforme ne saurait en effet être réduite à un mouvement de « purification » ou de « libération » du clergé de l’emprise des pouvoirs laïques, dont la tutelle impériale sur la papauté et l’épiscopat aurait constitué l’archétype. Il s’agit bien plus profondément d’une véritable refondation non seulement de l’institution ecclésiale, mais de l’ensemble de la société chrétienne aux multiples implications seigneuriales, culturelles, institutionnelles… La promotion d’une nouvelle organisation sociale fondée sur la sexualité, la règle du célibat et le principe de filiation spirituelle des clercs s’opposant au mariage sacramentel et à la filiation charnelle des laïcs ; la scission des formes traditionnelles de la domination seigneuriale, en particulier l’appropriation par l’institution ecclésiale de tout ce que celle-ci définit comme sacré ou spirituel ; la dynamique d’exclusion et de persécution qui conduit la chrétienté latine à pourchasser hérétiques, juifs, lépreux et à se lancer à l’assaut du monde musulman, sont quelques-uns des phénomènes susceptibles de donner une idée de l’ampleur des mutations entraînées par la réforme.
On pourrait ajouter de nombreux autres domaines à ceux évoqués jusqu’à présent à l’appui d’une telle césure de part et d’autre du XIIe siècle, tels la mutation de l’ordre juridique, l’affirmation de pouvoirs étatiques, la « révolution anthroponymique » (M. Bourin) – c’est-à-dire l’apparition de notre système de dénomination à deux noms : nom propre et nom de famille –, ou le décollage urbain de l’Occident, un phénomène considérable d’ordre à la fois quantitatif (essor démographique des vieilles cités et apparition d’un « second réseau urbain ») et qualitatif (essor des activités productives, commerciales et intellectuelles et transformations des fonctions urbaines).
Celles et ceux qui voudraient aller plus loin peuvent consulter à ce sujet mon article « Un, deux, trois Moyen Âge… Enjeux et critères des périodisations internes de l’époque médiévale », dans Découper le temps ? Actualité de la périodisation en histoire, S. Gibert, J. Le Bihan, F. Mazel (dir.), Atala. Cultures et sciences humaines, n°17, 2014, p. 101-113 (prochainement en libre accès en ligne).
R&N : A quel moment le diocèse et ses sous-structures (archidiaconats, paroisses, ...) naît-il en tant que territoire ?
Florian Mazel : Il s’agit d’un processus qui s’étale sur plusieurs siècles, entre le Xe et le XIIIe siècle, mais dont le moment décisif est lié à la réforme dite « grégorienne » entre les années 1060 et 1120. Ce moment apparaît décisif car plusieurs phénomènes étroitement articulés les uns aux autres contribuent alors à la naissance du diocèse en tant que territoire, c’est-à-dire une étendue homogène pourvue de limites reconnues et elle-même subdivisée en une série de circonscriptions subalternes hiérarchisées. Quels sont ces phénomènes ? Tout d’abord la dissociation des sphères laïque et ecclésiastique se traduit sur le plan territorial par la destinée désormais distincte du diocèse et du comté qui jusque-là se recouvraient largement. Au XIIe siècle, les frontières des principautés évoluent sans que cela n’affecte plus la géographie diocésaine et réciproquement. Logiquement, la géographie ecclésiastique se dote alors progressivement d’une terminologie propre : c’est le moment où le diocèse gagne son nom définitif – diocesis/diocèse était jusque-là utilisé concurremment avec plusieurs autres termes, en particulier episcopatus/évêché et parrochia/paroisse –, tandis que le terme traditionnel de paroisse est désormais réservé à l’échelon local où œuvre celui qu’on appellera, à partir de la fin du Moyen Âge, le curé.
Ensuite, c’est le moment où le pape impose son autorité pour tous les remaniements de la géographie ecclésiastique (déplacement de siège, érection d’un nouveau siège, modification de limites...) aux dépens des pouvoirs laïques et notamment du pouvoir de l’empereur dont c’était pourtant une prérogative depuis l’Antiquité et qui en avait largement fait usage aux Xe et XIe siècles lorsqu’il avait fallu créer de nouveaux diocèses dans les marges orientales du Saint-Empire et en pays slave.
Surtout, c’est le moment où le pouvoir de l’évêque sur le clergé et les lieux de culte de son diocèse s’accroit fortement. Peu à peu l’évêque obtient des patrons laïques et surtout monastiques des églises locales qu’ils reconnaissent son droit de regard sur la nomination des desservants, la gestion des biens et droits ecclésiastiques – à commencer par la dîme – et un certain nombre de prérogatives juridictionnelles. Les évêques, appuyés par les chapitres cathédraux qui jouent désormais un rôle croissant à la tête de l’église diocésaine, développent à la fois leur seigneurie, une fiscalité spécifique et leur juridiction, au point de se doter à partir de la fin du XIIe siècle d’une cour de justice spécifique, l’officialité. La reconstruction de nombreuses cathédrales selon les nouveaux canons de l’esthétique gothique contribue à doter cette affirmation du pouvoir épiscopal et canonial d’une puissante dimension symbolique.
Enfin, les entourages épiscopaux et les chapitres se développent au point de constituer des embryons d’administrations diocésaines, en charge notamment de la collecte des revenus et du contrôle des desservants. Ce développement passe également par l’essor de la pratique de l’écrit gestionnaire (tenue de comptes) et surtout par la création de circonscriptions subalternes du diocèse : archidiaconats, archiprêtrés, doyennés… au nombre et à la complexité variable selon les régions mais qui partout permettent un meilleur encadrement du clergé et des fidèles et une meilleure connaissance du territoire diocésain par ceux qui en ont la charge.
R&N : Certains grands ordres monastiques (comme l’ordre de Cluny) forment des enclaves territoriales autonomes. Ces enclaves monastiques furent-elles en concurrence avec les diocèses ?
Florian Mazel : Dès le VIIe siècle, quelques monastères tentent de se soustraire à la juridiction de l’évêque, avec parfois des conséquences territoriales et la création de sortes d’enclaves monastiques extra-diocésaines. À partir de la fin du Xe siècle, ce phénomène est accentué par l’apparition de congrégations très offensives sur le plan seigneurial (Fleury, Cluny, Saint-Victor de Marseille, Saint-Florent de Saumur…) dont certaines entendent soustraire une partie de seigneuries à l’emprise de l’évêque jusque sur le plan des pouvoirs d’ordre et de juridiction. Certaines de ces zones à la fois immunistes et exemptes peuvent en outre faire l’objet de délimitations précises, à l’initiative de la papauté ou de ses représentants, comme le fameux « ban sacré de Cluny » institué à la fin du XIe siècle. Cependant, dès le XIIe siècle, ces zones ont tendance à se réduire et à être réintégrées aux diocèses (ne serait-ce que par le biais des documents épiscopaux enregistrant les exemptions dont elles bénéficient) dans le cadre de la réaffirmation des prérogatives de l’évêque et de la normalisation des particularismes monastiques, c’est-à-dire, au sens propre, de l’établissement d’une norme canonique régissant les relations entre moines et évêque.
R&N : Vous faites vôtre la présentation wébérienne du territoire comme « l’espace de projection d’une institution ». En quoi les moyens mis en œuvre par l’Église à partir de la réforme grégorienne pour se structurer et se hiérarchiser confirment-ils cette vision ? Est-ce le cas avant le Xe-XIe siècle ?
Florian Mazel : Je suis parti d’une définition simple du territoire de manière à bien circonscrire l’objet de mon enquête dans un contexte où, aujourd’hui, le terme de territoire est utilisé à tord et à travers avec de nombreux sens différents par de multiples acteurs (géographes, sociologues, anthropologues, politistes, collectivités territoriales, milieux politiques, journalistes, monde du tourisme…) qui ne se soucient généralement pas d’expliciter celui qu’ils retiennent. Cette définition, empruntée à Max Weber mais qui est très proche de celle du droit romain classique, est simple, mais elle est également étroite, privilégiant – c’est un choix épistémologique – la dimension politique du territoire, par opposition à la dimension identitaire ou culturelle qui est souvent privilégiée dans le discours commun aujourd’hui. C’est donc le territoire conçu comme un espace borné, homogène et subdivisé, à travers lequel une institution (et au sein de cette institution une figure particulière, l’évêque, et ses assesseurs, auxiliaires et chanoines de la cathédrale) exerce sa domination sur la société et la « gouverne », qui est l’objet de mon enquête.
Il est évident que l’Église a toujours été pourvue d’une projection spatiale : les évêques, en particulier, ont toujours eu une ou plusieurs résidences, des domaines fonciers et des seigneuries, des droits politiques et économiques assis sur des lieux, et même une projection proprement ecclésiastique qui se réalisait dans des lieux et des espaces : églises locales, abbayes épiscopales… Cependant, contrôle des lieux et projection spatiale ne font pas le territoire au sens que j’ai retenu. Ce n’est en effet qu’à partir de la réforme « grégorienne » que l’Église non seulement pense (ce qu’elle a pu commencer à faire dès l’époque carolingienne) mais modèle véritablement son emprise spatiale en termes territoriaux, parce qu’elle devient alors une institution définie par le droit canonique avant tout comme un clergé – et plus comme une communauté de fidèles –, une institution soumise à l’autorité supérieure de la papauté, qui en favorise la hiérarchisation et l’homogénéité, et une institution distincte des pouvoirs laïques (même si perdurent de très nombreuses connivences sociales et politiques avec l’aristocratie et les pouvoirs royaux et princiers).
Si l’on replace ces évolutions dans la longue durée, on peut in fine distinguer trois étapes dans le rapport de l’Église à l’espace : un premier moment où l’Église se pense avant tout comme communauté et privilégie les liens sociaux sur les liens spatiaux ; un deuxième moment que l’on peut dire de localisation ou de polarisation, où l’Église favorise la promotion de certains lieux et objets spécifiques qu’elle contrôle et qui polarisent les relations avec le sacré (les autels, les reliques, puis à partir de l’époque carolingienne, l’église-bâtiment, puis à partir des Xe-XIe siècles les cimetières) ; enfin un troisième moment, les XIe-XIIIe siècles, où l’Église se territorialise : c’est ce moment qui figure à l’horizon de mon enquête.
R&N : Quels sont les liens entre les grandes familles nobles, les sièges épiscopaux et les grands monastères ? Comment cela évolue-t-il entre le premier Moyen Âge et le second ?
Florian Mazel : Même si elle était caractérisée par un ethos (le culte de la force, l’amour de la guerre, le goût des richesses…) qui pouvait être cause de tensions avec l’Église, l’aristocratie a toujours exercé une emprise sociale et politique considérable sur l’institution ecclésiale : évêques, papes, chanoines, abbés, la plupart des moines… sont issus de ses rangs de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge. La domination sociale de l’aristocratie reposant sur le principe d’hérédité et la transmission généalogique des statuts, des biens et des droits, elle a toujours favorisé une forme de captation des charges et des fonctions ecclésiales à son profit (captation qui n’a pas épargné la papauté, fréquemment sous l’emprise de l’aristocratie romaine). Au cœur de la réforme « grégorienne », les réseaux favorisant la réforme étaient eux-mêmes en partie structurés par les liens familiaux. Cependant, l’Église s’est aussi affirmée, à partir de la réforme « grégorienne » notamment, comme une institution propre, distincte, séparée de la société laïque en général et aristocratique en particulier, en se pensant comme une famille alternative, structurée par une parenté que l’on peut dire spirituelle si l’on reprend la terminologie religieuse ou artificielle si l’on reprend la terminologie anthropologique. Ce qui définit au premier chef cette parenté à partir de la réforme « grégorienne » (et c’est le sens sociologique et politique du combat contre la « simonie » et le « nicolaïsme », les deux mots d’ordre de la réforme) est qu’elle repose sur une filiation non charnelle mais spirituelle, exclusivement masculine et non mixte : on s’y transmet les charges et les biens non par le sang et la génération mais par le sacrement de l’ordre et un certain nombre de rituels spécifiques. La parenté charnelle reste cependant un modèle et tout le vocabulaire relationnel de l’Église décalque par exemple celui de la famille : on s’y appelle père et fils, mère et fille, on parle de filiation spirituelle pour les hommes comme pour les institutions (les abbayes cisterciennes par exemple), on développe le culte de Marie comme mère, on encourage le culte de la sainte famille… Il reste qu’au second Moyen Âge (XIIe-XVe siècle), cette distinction entre deux ordres de parenté ainsi que le tournant administratif et territorial de l’Église ont ouvert à des hommes non issus de l’aristocratie les possibilités d’une ascension sociale au sein de l’institution ecclésiale par l’étude ou la maîtrise de talents techniques. Les non nobles sont ainsi plus nombreux qu’au premier Moyen Âge parmi les clercs au service des rois, mais également des papes et des évêques – même si cela ne va pas sans tension car ces clercs sont souvent victimes des diatribes de ceux qui restent issus des rangs de l’aristocratie.
R&N : Vous montrez que c’est finalement l’Église qui a servit de modèle à l’État pour son organisation territoriale. Jusqu’à quel point ? Les autorités civiles de l’époque avaient-elles conscience de cela ?
Florian Mazel : Cela fait longtemps que les historiens soulignent combien l’Église a ouvert le chemin à l’État dans de multiples domaines. La fabrique territoriale en est un, même si en la matière les États royaux et princiers du second Moyen Âge ont aussi puisé à d’autres sources, à commencer par les seigneuries châtelaines qui structuraient la société et les domaines propres des rois et des princes. L’apport de l’Église est cependant notable. D’une part, car on constate que partout les circonscriptions ecclésiastiques ont été les premières structures territoriales utilisées par les pouvoirs civils pour leurs pratiques de gouvernement à grande échelle, en matière d’enquêtes judiciaires (pensons aux enquêtes de Louis IX dans le royaume capétien par exemple) et de fiscalité directe (le cadre de prélèvement du premier impôt direct en France ou en Bretagne, par exemple, est le diocèse et ses subdivisions). Dans le cas italien, le territoire du diocèse a même souvent constitué la matrice du contado des communes urbaines. D’autre part, car en levant des taxes (taxes de synode ou de visite, cens épiscopal, part des dîmes) et en exerçant une juridiction sur l’ensemble de leur diocèse, quels que soient les patrons, les seigneurs ou les propriétaires des églises et des terres, les évêques exerçaient un pouvoir de type souverain et non féodal, ouvrant la voie à l’exercice de prérogatives semblables par les rois, les princes et les communes urbaines sur l’ensemble du territoire et des populations d’un royaume, d’une principauté ou d’un contado par-delà les particularismes féodaux. Les rois et les princes en avaient pleinement conscience, ne serait-ce que parce qu’ils recouraient par ailleurs directement dans leur gouvernement et leur administration au service des évêques, des archidiacres, des chanoines ou même des curés.
Florian Mazel, L’Évêque et le Territoire. L’invention médiévale de l’espace (Ve-XIIIe siècle), Éditions du Seuil, col. « L’univers historique », mars 2016, 544 p.
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