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Philippe Pichot-Bravard : « La présidentielle est un spectacle de gladiateurs » (1/3)

Docteur en droit, Philippe Pichot-Bravard est spécialiste de l’Histoire du droit public et l’Histoire des idées politiques. Il enseigne notamment à l’Université de Bretagne occidentale (Brest) et à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES, La Roche-sur-Yon).
À l’approche de la campagne présidentielle, il a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.
Voici la première partie de cet entretien en trois volets.

R&N : La France peut-elle espérer de l’élection présidentielle le sursaut national nécessaire à sa survie ?

Philippe Pichot-Bravard : La France entre cet automne dans une nouvelle bataille présidentielle. Il s’agit toujours d’un moment dangereux et coûteux pour notre pays. Il s’agit, pour notre société, d’un poison toxique, d’autant plus nocif qu’il exerce sur les esprits une certaine séduction, réveillant de vieilles passions gauloises : le goût de l’empoignade et de la jactance, l’illusion d’avoir de l’importance en participant à la nomination du chef de l’État. Chaque bataille présidentielle affaiblit un peu plus la société française.

R&N : Pourquoi l’élection présidentielle est-elle nocive pour la France ?

Philippe Pichot-Bravard : Elle est un obstacle au bien commun. D’une part, le pays est suspendu au résultat de l’élection, ce qui paralyse l’action. Les décisions importantes sont repoussées ; les investissements majeurs, différés. Ceux qui prétendent nous gouverner se contentent d’expédier les affaires courantes, de crainte qu’une décision impopulaire aliène à leur camp une fraction de l’électorat. Plus que jamais, les déclarations et les actes politiques sont mesurés à l’aune de leur efficacité électorale et non à celle de leur nécessité politique. Ce qui compte, ce n’est pas le bien de la France et des Français, mais le nombre de voix susceptibles d’être gagnées, ou perdues. Dans le même temps, une énergie considérable est dépensée dans la compétition, de haut en bas de la société, énergie qui aurait pu être bien mieux employée, à la vie de famille, au développement d’entreprises, à l’enrichissement de l’esprit, à l’entraide caritative…
D’autre part, les écuries présidentielles s’affrontent férocement, non pas sur des idées et des projets, comme il est dit trop souvent, mais sur des promesses, presque toujours dolosives, sur des slogans racoleurs, sur des postures fugitives qui ne visent qu’à faire exister ceux qui les adoptent (Qu’on se souvienne du grotesque et narcissique « Moi, Président ! »). La foire d’empoigne de la primaire républicaine l’illustre jusqu’à la caricature. Les champions, pour attirer à eux les électeurs, emploient toutes les ressources de la communication, en particulier le mensonge, ou la déformation des faits objectifs. Chaque élection présidentielle divise pendant plusieurs mois le pays en trois, quatre ou cinq camps antagonistes qui s’affrontent sans merci, non pour l’intérêt du pays mais pour l’intérêt du parti et de ceux qui le soutiennent, lesquels espèrent recueillir après la victoire la rétribution de leur engagement.

R&N : Peut-on affirmer qu’elle nuit à l’unité des Français ?

Philippe Pichot-Bravard : L’élection présidentielle sème aux quatre coins de la société la discorde ; elle la divise profondément, et durablement ; elle divise même les familles. Pendant plusieurs mois, il n’est plus possible de converser sereinement de quoi que ce soit. Chacun est tenu de prendre parti. L’élection présidentielle s’infiltre partout. La rivalité électorale sépare des hommes qui auraient pu, qui auraient dû, sans cela, travailler ensemble à des projets utiles au bien commun.

R&N : La compétition présidentielle permet-elle de réfléchir à l’avenir de notre pays ?

Philippe Pichot-Bravard : L’élection présidentielle est un spectacle de gladiateurs autour duquel tourne toute la vie politique. C’est un jeu ; un jeu particulièrement pervers. Il suffit d’entendre les analystes officiels et les journalistes pour s’en convaincre : ils commentent la partie comme s’il s’agissait d’un championnat de football, prenant part eux-mêmes au jeu par leurs commentaires. Répondre aux difficultés concrètes des Français ne les intéresse pas. Réfléchir à l’avenir de la France ne les intéresse pas. Définir les conditions de la recherche du bien commun ne les intéresse pas. Ce sont là des sujets trop ardus pour leurs petites cervelles asséchées par l’immédiateté médiatique. Ils sont incapables d’y répondre. Seul les intéresse, le spectacle du combat des gladiateurs présidentiels.

R&N : Quelles seront les conséquences de cette élection pour notre pays ?

Philippe Pichot-Bravard : À chaque fois, quel que soit le vainqueur, la France est la première perdante ; la France sort un peu plus abîmée de l’épreuve, abîmée par la guerre électorale, abîmée par les mensonges et la tromperie qui l’ont accompagnée. Après chaque élection présidentielle, l’unité du pays est un peu plus fragile, la confiance des gouvernés pour les gouvernants un peu plus faible et donc le pays un peu moins gouvernable qu’il n’était.

R&N : Vous remettez en cause l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel…

Philippe Pichot-Bravard : L’élection du chef de l’État au suffrage universel est un mode défectueux qui ne permet pas de porter à la tête de l’État un bon chef d’État. Pourquoi ? Les qualités qui sont nécessaires pour être un bon chef de l’État ne sont pas les mêmes que celles qui permettent d’être élu à la fonction suprême. Ceux qui auraient les qualités nécessaires pour gouverner le pays n’ont pas les qualités pour attirer à eux un grand nombre de suffrages, et ne sont que rarement élus. Résultat : nous avons à la tête de l’État des personnalités qui sont des bons et parfois même de très bons candidats (Giscard en 1974, Chirac en 1995, Sarkozy en 2007), mais qui, très vite, montrent leur insuffisance, et leur incapacité à assumer convenablement la fonction de chef de l’État.
Signe d’une dégradation préoccupante de la situation, en 2012 fut élu un homme qui n’était même pas un bon candidat mais qui avait, aux yeux des Français, la qualité d’être l’adversaire d’un président sortant copieusement détesté en raison de son incapacité à se conduire en chef d’État. L’insuffisance de Nicolas Sarkozy a occulté l’insuffisance de François Hollande. Il est grand temps de sortir d’un système aussi pernicieux, et aussi usé.

R&N : L’élection présidentielle n’est-elle pas souvent présentée comme l’occasion de débattre des choix politiques majeurs de notre pays ?

Philippe Pichot-Bravard : Alors que notre pays est confronté à une crise d’une gravité inouïe, que la société française est menacée de disparaître, la compétition présidentielle ne permettra pas de définir ni de préparer les décisions nécessaires au relèvement de la France. Bien entendu, hommes politiques et journalistes n’auront à la bouche que l’expression de « débat démocratique ». C’est là une tromperie. Le mot « débat » désigne ici un exercice purement rhétorique de compétition verbale, un enchaînement de postures sophistiques destinées à gagner des suffrages, et non une réflexion véritable nourrie par une analyse de la réalité, une vision du monde et un souci de rechercher le bien commun. Il n’y aura pas de vrai débat. Il ne peut pas y en avoir. L’emprise de la pensée unique qui enferme la parole, et la pensée elle-même, dans un petit enclos d’opinions autorisées, chaque année un peu plus resserré, interdit qu’il puisse y en avoir un sur toutes les questions essentielles.

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