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L’homme qui, par définition, est né quelque part contracte une dette infinie envers le monde qui l’accueille et ses congénères. L’être individualiste et capricieux qui se dit « moderne » a beau protester et refuser cette dette, il ne peut pas l’effacer. Qui, en effet, pourra contredire le fait que la naissance et les soins nécessaires à la survie de l’enfant, dont nous avons tous profité, ne nous engagent pas devant le genre humain ? Même l’enfant abandonné, voire sauvage, contracte cette dette, ou ce devoir si vous préférez, car la seule survie d’un enfant suffit à la faire contracter. Il n’y a effectivement rien de plus faible et de plus impuissant qu’un bébé qui ne peut survivre puis vivre que parce qu’il reçoit des autres. Je n’invente rien : le lecteur averti saura bien reconnaître l’origine de cette dette envers ses parents et sa civilisation.
Il se trouve que la dette, déjà infinie, n’en devient que plus lourde à proportion de l’éducation et de la culture que l’on a reçues de ses parents. Être enfant n’est pas autre chose que recevoir infiniment sans avoir conscience de la dette que nous portons. Et, là, la famille est essentielle et vitale pour le genre humain. Sans les parents qui montrent l’exemple en donnant à leur mesure en reconnaissance de tout ce qu’ils ont reçu, l’enfant aura difficilement la conscience du service : il est tellement plus facile de penser à ses droits qu’à ses devoirs ! Tous les parents doivent le savoir : le mystère de l’enfantement change tout dans leur vie et implique une charge immense, si grande qu’elle est peut-être à la mesure de la dette contractée à la naissance. Certes, tous les hommes ne fondent pas une famille, mais ceux qui prennent une autre voie supportent toujours des charges extrêmes – je pense évidemment aux religieux qui servent Dieu au sacrifice zélé de leur personnes, et j’exclus radicalement ceux qui sont à la dérive, ni enfants ni adultes, qui ne veulent rien sacrifier, rien engager, rien donner et tout recevoir... La république sait les produire en séries.
L’enfant qui reçoit l’amour et l’éducation de ses parents a toutes les chances de devenir un jour adulte. Il faut néanmoins se demander ce que signifie « devenir adulte ». Qu’est-ce que « grandir » ? En un certain sens, grandir c’est mourir. L’on est adulte lorsque l’on fait le deuil de son enfance et que l’on commence à mourir. Ce sens profond du passage à la vie adulte est illustré dans toutes les cultures par les rites de passage à la vie adulte. Il en existait encore de nombreux naguère en Afrique ou en Australie. Au Japon aussi, il y a des restes plus impressionnants que le baccalauréat occidental – ou, maintenant, le doctorat, depuis que l’on a inventé l’adolescence et qe celle-ci aime à s’attarder ? Les mythes liés à ces rites possèdent apparemment un point commun pour le moins déconcertant, quels que soient l’époque et le peuple considérés : l’homme qui devient adulte meurt puis ressuscite pour commencer une nouvelle vie. Les anciens considéraient que devenir adulte revenait à disparaître puis à resurgir afin de mener une vie renouvelée. De façon analogue, on pourrait dire que « devenir adulte », c’est prendre conscience de sa dette et commencer à l’honorer. On donne enfin plus que l’on reçoit. En un mot : grandir, c’est servir.
Certains diront peut-être : « Dis donc, c’est pas la joie son discours ! Il rigole ou quoi, je ne veux pas être soumis à de si dures conditions ! ». Malheureusement pour ces gens-là, mais heureusement pour le genre humain, cette histoire de dette n’est pas une histoire de volonté ou de décision, c’est un fait auquel nous sommes soumis. Notre seule marge de liberté, c’est la rapidité à laquelle on la reconnaît et la décision de s’y soumettre. L’homme peut toujours la nier, la refuser, se battre contre elle : il ne la supprimera jamais. Ce genre d’hommes est condamné à l’errance et à la tristesse. Au niveau de la civilisation, cela se traduit par la décadence généralisée que nous connaissons. Grandir, c’est tout de même un peu mourir. Grandir, n’est-ce pas choisir, s’engager et servir ? Et le choix, l’engagement et le service, n’est-ce pas la décision d’abandonner tout le reste ? Lorsque je me marie, je renonce à toutes les autres femmes. Lorsque je promets, je renonce à faire autrement que ce que j’ai promis. Lorsque je sers, je sacrifie mon bien-être à celui de mes enfants ou de mon maître. Si je sers ma famille, je peux mourir pour elle, par sacrifice. À tous les niveaux : renonciations et sacrifices. Malgré la gravité apparente de tout cela, il ne faut pas le prendre à contrecœur, c’est juste la vie. Et comme nous sommes des hommes, nous avons besoin de renoncer et de nous sacrifier, pour pouvoir nous consacrer au mieux à nos engagements et à nos choix.
Je tiens cependant à souligner un point important : les mots ne contiennent jamais tout le sens de la réalité. Croire le contraire est l’une des causes de la décadence occidentale : cela mène aux idéologies et à l’hubris démesuré de l’Occident. Il est vrai que l’homme est toujours soumis à cette dette, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a qu’une seule façon de la remettre.
Nous sommes tout de même des hommes qui avons besoin de mots pour nous guider. Il serait cruel de laisser l’homme seul devant cette immense dette qui semble écrasante, sans indication aucune. En fait, malgré les apparences, cette dette est notre plus grande chance, une fois qu’elle est acceptée. Elle correspond à un comportement foncièrement humain. Il ne faut pas croire qu’il faille être un surhomme ou que, du jour au lendemain, on peut être capable de rembourser cette dette. Évidemment non : cette dette implique surtout de diriger ses efforts vers cette particularité tout humaine qu’est le service. On peut l’appeler « Bien », voire « Vérité ». Mais notre époque a besoin du vocable « service », car c’est cet aspect – qui paraissait pourtant évident aux anciens – qui s’est complètement perdu.
Il suffit de servir. Servir, toujours un peu mieux et un peu plus tous les jours, à notre mesure. Il suffit de penser à ses devoirs. Cela est somme toute assez naturel pour l’homme. La société est un tissu de services réciproques – mais certainement pas égaux, puisque personne ne sert de la même façon : ni en nature, ni en qualité. Tout cela est naturel et commence dans la famille. Ayez des enfants, et vous verrez qu’il n’est pas forcément ni si difficile, ni si contre-nature de servir – bien au contraire.
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