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La une de Libé annonce en pétaradant qu’il faut que les « religions », de moins en moins représentatives de la société française, cessent de vouloir interférer dans le débat public. En ligne de mire, bien sûr, l’opposition marquée des chefs religieux à la loi du « mariage pour tous ». Le tout relève d’une conception de la laïcité que certains grands enfants n’ont pas encore fini de louer de toutes leurs forces, conception qui consiste à considérer que pour ne pas obliger les uns à subir les croyances auxquelles ils n’adhèrent pas, il faut s’abstenir de faire valoir dans l’espace public des opinions qui découleraient des croyances religieuses. Seule une pensée privée de croyance peut s’installer tranquillement. Passons, naturellement, sur les remarques que cela appelle quand à certaines associations bien subventionnées qui, pour n’avoir pas de liturgie propre, agissent en suivant des doctrines et des croyances pour le moins contestables.
Intéressons-nous plutôt au postulat de base de cette affirmation : c’est dire que, pour parvenir à une sorte d’absolu, pour réunifier toutes les intelligences dans la possible adhésion à une pensée, il ne faut rien poser qui soit capable de diviser. On n’aurait jusqu’ici rien trouvé de mieux pour ce faire que de repousser l’existence de Dieu du débat. Seulement, je m’interroge : si, pour éviter d’imposer aux athées une pensée qui prend l’existence de Dieu comme principe, il faut imposer aux croyants de penser que Dieu n’existe pas pour pouvoir s’exprimer, on déshabille Pierre pour habiller Paul. Il faut admettre que l’existence de Dieu n’est pas un ajout farfelu que font les croyants sur la base athée de la raison humaine. À l’inverse, un croyant pourrait répondre qu’il considère comme un excès humain et égocentrique le refus de croire en Dieu. Nous, croyants, vous refusons simplement de poser le débat dans vos propres termes et sur le fondement de votre unique opinion.
Par-delà cela, cet impératif du « débat républicain » (appellation d’origine non contrôlée) suppose que notre civilisation, tout en s’étant construite dans le christianisme, s’en serait « libérée », et, étant guidée par des principes « universels », a besoin de dépasser les « déterminismes » issus de la religion pour pouvoir accomplir vraiment son aspiration à l’universel. Malheureusement pour les doux rêveurs qui soutiennent cette pensée, il semble que l’Occident ne soit pas l’espace d’universalisme athée qu’ils vantent.
Les droits de l’homme sont, à ce titre, l’excellent exemple d’une pensée qui prend sa source exclusivement dans la vision chrétienne de la dignité humaine. Pour un chrétien, tous les hommes sont frères, et sont égaux, parce que tous ont reçu la même vie humaine et la même âme éternelle de leur Père divin. Le rêve d’une fraternité universelle que manifestait l’idéologie à l’œuvre lors de la Révolution ne vient pas d’autre chose. Il avait juste fallu faire des hommes des frères, en oubliant le Père dans tout ça. Il doit être douloureux pour un « droit-de-l’hommiste » d’apprendre que cette conception de l’être humain lui vient tout droit de la Parole du Christ, expliquée et développée des siècles de pensée chrétienne.
On aura beau, de même, opposer l’idée de République laïque à une monarchie catholique par essence, il n’en restera pas moins que ce clivage lui-même est directement issu de la pensée ecclésiale chrétienne. L’historien Kantorowicz, dans son ouvrage Les deux corps du Roi, montre bien que la lutte qui opposait les patriarcats d’Orient, partisans d’un fonctionnement conciliaire, et celui de Rome, qui désirait la primauté d’un seul chef pour toute l’Église, et qui a mené (bien plus que le filioque, d’ailleurs) au malheureux schisme de 1054, est à l’origine directe de l’alternative occidentale entre royauté et République représentative. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été stupide de la part de l’Occident de reprocher à l’Afrique postcoloniale d’instaurer le système du « parti unique » : c’était le moyen que ces nouveaux états avaient de concilier la démocratie et la structure traditionnelle de l’organisation du pouvoir dans le passé dans ces terres. Les résultats de la construction de la civilisation occidentale n’avaient pas vocation à se calquer à l’identique sur des peuples aux histoires si différentes.
De la même manière, c’est un plaisir de fin gourmet que d’entendre un laïcard vanter le droit de vote comme une victoire de l’individu sur « l’obscurantisme religieux de l’Ancien Régime », lorsque l’on sait que ce sont les abbés de l’Assemblée Constituante qui ont proposé comme système de vote direct ce qui se pratiquait dans leurs monastères depuis des temps immémoriaux. Et non pas, comme en a répandu l’idée la IIIe République en mal de sécularisation, une réminiscence fort improbable du système de vote athénien, redécouvert archéologiquement des années plus tard.
Aucune pensée, aucune culture n’est « universelle ». Toutes les évolutions d’une civilisation peuvent se ramener à une base que constitue une pensée religieuse, ou l’héritage d’une civilisation passée. Les gréco-romains et le christianisme ne nous ont pas laissé seulement des amphores en morceaux et des églises à vitraux : ils nous ont transmis ce qui fait notre civilisation. Notre système de pensée, la structure même de notre philosophie politique et l’ensemble de nos repères se sont construits le long du tuteur qu’auront été le christianisme, puis exclusivement le catholicisme. Si la Révolution a bien fondé un État dans lequel l’existence de Dieu n’est plus reconnue officiellement, la pensée occidentale ne peut pas pour autant faire comme si elle était athée.
On peut toujours être favorable à des lois qui sont contraire à la Loi Divine, cela tient à la liberté de conscience. En revanche, je doute qu’il soit très pertinent d’établir comme absolument nécessaire de bannir tout ce qui découle de près ou de loin de l’idée de Dieu du champ de la réflexion. Parce que si l’on veut faire de notre société un ensemble cohérent et harmonieux, il serait absurde de renier par principe ce qui provient visiblement du fait culturel qui structure désormais invisiblement nos rapports humains. Cela n’implique pas de réduire toute question à un débat sur l’existence de Dieu : considérant aussi que Dieu a créé un monde suffisant, les croyants peuvent aussi tenir un discours sur le monde, qui, issu de la Parole divine, n’en revient pas pour autant toujours à cette question. En toute honnêteté intellectuelle, et pour ne pas couper la raison de ses racines, face à l’universalisme, ou ce qui se prétend tel, il serait bon de laisser de la place à la pensée qui, fondant la civilisation occidentale, aura au moins l’avantage de proposer des idées en cohérence avec le tissu fondamental de notre société.
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