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[EX-LIBRIS] Jean-Louis Harouel : Revenir à la nation

Jean-Louis Harouel, professeur d’histoire du droit à l’université Paris-II, publiait en 2014, aux éditions Jean-Cyrille Godefroy, un ouvrage de 168 pages intitulé Revenir à la nation.

Étrange objet que la nation. A l’instar de la patrie, à laquelle on l’oppose parfois, elle fut tour à tour exaltée, transformée, corrompue, malmenée, instrumentalisée. Pis, la nation est aujourd’hui niée.

Qu’est-ce qu’une nation ? Éternelle question, à laquelle s’essaya Renan en son temps. L’interrogation est essentielle : point de diagnostic ni de remède si l’on se garde d’analyser la nature du corps proposé à l’examen. Historien du droit, le Pr. Harouel propose une genèse de l’idée de nation, une analyse des maux qui rongent les réalités nationales et des pistes qui sont autant de solutions pour réintroduire les particularismes nationaux.

Le fait suivant s’impose : les nations sont nées en Europe, au cœur de la chrétienté médiévale. Harouel rappelle brièvement que la distinction chrétienne entre le temporel et le spirituel a permis l’émergence d’entités politiques articulées autour de particularismes nationaux. Et d’en tirer l’implacable conclusion : en Europe, l’« idéal national » s’est longtemps appuyé sur le christianisme.

Les nations européennes gangrenées par un millénarisme sécularisé

Les nations d’Europe, nous l’avons vu, sont en piètre santé. Elles sont rongées par des maux dont l’origine, d’après l’auteur, se trouve dans le millénarisme. Il s’agit d’un « post-christianisme », à l’image des « idées chrétiennes devenues folles » fustigées en son temps par G.K. Chesterton. S’il n’hésite pas à se réclamer du christianisme, le millénarisme n’est rien d’autre qu’une idéologie radicalement anti-chrétienne, visant à établir un paradis sur terre. Tel un communisme avant l’heure, le millénarisme est imposé de manière autoritaire, si besoin est.

Le XIXe siècle, ère de révolutions, vit le millénarisme se séculariser. Cette idéologie mutât, se réclamant non plus de Dieu mais de l’humanité ; d’une humanité abstraite. Jean-Louis Harouel établit un parallèle saisissant entre le millénarisme sécularisé et le communisme. Dans les deux cas, il s’agit de faire émerger une société mondiale, sans classes ni frontières, se confondant avec le genre humain.

Comme le marxisme, le millénarisme est historiciste : il existe un sens de l’histoire, chemin de rédemption collectif et terrestre s’imposant à tous. Ennemie des nations, cette idéologie est totalitaire.

Le culte des droits de l’homme, une contre-Église anti-nationale

Les nations subissent les coups de boutoir de ce millénarisme et de son corollaire plus récent : la « religion humanitaire », ou culte séculier des droits de l’homme. Cette nouvelle religion prône un prétendu amour de l’autre, charité dévoyée, exercée au mépris de soi. En divinisant l’humanité prise dans sa globalité et en érigeant la non-discrimination au rang de dogme, ce faux culte dévalorise des réalités terrestres telles que la préservation de l’identité ou l’amour de la patrie. Jean-Louis Harouel détermine la tête de ce nouveau culte : c’est l’État, qu’il qualifie d’ « État-Église », avec ses dogmes et son droit pénal propre ; mais aussi ses ministres du culte et son étrange liturgie.

Jean-Louis Harouel, Revenir à la nation
Le Pr Harouel propose une genèse de l’idée de nation, une analyse des maux qui rongent les réalités nationales et des pistes qui sont autant de solutions pour réintroduire les particularismes nationaux.

Église et nation

L’auteur aborde ensuite un point délicat : le prétendu rôle de l’Église dans la désagrégation des nations. Il tient l’Église catholique moderne - qu’il n’hésite pas, avec témérité, à qualifier de « post-chrétienne » pour responsable d’une partie de ce déclin national, au sein d’un Occident largement déchristianisé et acquis à la religion humanitaire. L’Europe fut le berceau des nations, elle est aujourd’hui leur tombeau. Or, Jean-Louis Harouel estime - le fait est à débattre - que la vieille Europe est devenue un sujet d’intérêt secondaire pour l’Eglise, dont les « gros bataillons de fidèles » sont essentiellement originaires du Tiers-Monde. L’auteur regrette ainsi la tendance de l’Eglise à se transformer peu à peu en « ONG droits-de-l’hommiste » : selon lui, elle serait ainsi contaminée par le post-christianisme, ce qui la rendrait « peu amie » avec les nations européennes. Cette analyse de l’auteur mérite évidemment d’être nuancée : rappelons qu’il n’existe pas d’Église « moderne », mais une seule Église, dont les chefs spirituels ont constamment rappelé la grande valeur de la nation. Saint Jean-Paul II exhortait ainsi les fidèles : « Veillez sur la souveraineté que possède chaque nation en vertu de sa propre culture. Protégez-là comme la prunelle de vos yeux ».

Contre-exemple américain et réflexions sur l’État d’Israël

Le Pr. Harouel poursuit sa pérégrination dans les ruines des nations, et constate qu’il est une nation post-chrétienne qui se porte bien : les États-Unis. Il démontre que dans cet État-continent, héritier de la « City upon a hill », patriotisme farouche et universalisme millénariste vont de pair. L’universitaire précise que ce nationalisme à l’américaine, parce qu’il communie avec le millénarisme et le mondialisme, est l’ennemi des nations européennes, qu’il doit éliminer « comme unités et comme résistance ».

Puisqu’il s’agit de donner un modèle à contempler aux nations européennes en ruines, Jean-Louis Harouel propose l’exemple israélien. De fait, l’histoire des Hébreux a joué un rôle capital dans la construction des nations chrétiennes européennes, imprégnées par l’Ancien Testament. Plusieurs nations chrétiennes d’Europe ont emprunté, au Moyen-Âge, l’idée d’élection divine aux anciens Hébreux. L’exemple français du Roi Très-Chrétien est éloquent : la royauté sacrée des capétiens est semblable à celle de David ; la nation française est préférée de Dieu, « le Christ qui aime les Francs ».

Mais c’est aussi l’État d’Israël - quoi que l’on pense de sa légitimité et la pertinence de sa politique -, tel qu’il existe depuis sa création en 1948, qui constitue pour l’auteur un modèle d’État-nation « à la vigueur identitaire exemplaire  ». Cet État, épousant un projet national correspondant à un particularisme, a ainsi des leçons à donner aux nations d’Europe occidentale. Cette vigueur passe notamment, selon l’auteur, par l’idée d’une transmission héréditaire de la qualité de membre de la nation, ainsi que par le sentiment d’ « identité juive ».

Surtout, en Israël, l’État est au service exclusif de la nation et non d’intérêts étrangers ou de politiques multi-culturalistes. Mais à quel prix, et sur quel fondement ?

« L’Union européenne qui n’aime pas les Européens »

Fort de l’expérience israélienne, le Pr. Harouel appelle à « faire revivre les nations d’Europe ». Dans le cas de la France, un tel projet nécessite une prise en compte du rôle joué par l’hérédité dans l’existence de la nation – l’hérédité devant être distinguée de l’idée de race supérieure. Pour appartenir à la nation, la filiation est la règle ; la naturalisation est l’exception.

Sans surprises, l’ouvrage insiste sur les dangers du communautarisme, et l’auteur appelle l’État à se recentrer sur la nation. Quels moyens ? L’historien propose rien de moins que le blocage des flux migratoires, la refondation de l’école de la nation et la fin de la préférence étatique envers les immigrés extra-européens.

Enfin, Jean-Louis Harouel estime que le retour à la nation ne peut avoir lieu sans une libération du « piège mortel » que représente l’Union européenne. L’enjeu : recouvrer l’indépendance monétaire, la maîtrise des frontières nationales et bâtir à nouveau une fraternité entre nations d’Europe, loin de cette « Union européenne qui n’aime pas les européens ».

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