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[Mariage ganymède] Est-il prudent de demander un référendum ?

Article également disponible à cette adresse : La Phronèsis

Samedi prochain aura lieu la « Manif pour tous », organisée afin que ceux qui le souhaitent puissent montrer à la société leur désaccord concernant l’ouverture du mariage civil et de l’adoption aux personnes de même sexe. Si beaucoup prennent parti contre ce projet de loi, peu se positionnent face à la demande de référendum exprimée par certains opposants au « mariage pour tous ».

Il est pourtant nécessaire d’analyser une telle demande, afin de comprendre si oui ou non elle est juste. Lorsque nous demandons à nos gouvernants de mettre en place un tel événement, il faut prendre conscience des conséquences que cela peut engendrer. Le but de ce billet n’est donc pas d’accuser ceux qui expriment cette demande, motivés par de bonnes intentions, mais de répondre à cette question centrale : est-il prudent de demander un référendum sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ?

. Tout d’abord, il est regrettable de constater combien la demande de ce référendum de la part de personnes qui s’opposent au « mariage pour tous » est un manque de réalisme. Regardons concrètement l’état de notre société et des citoyens. Certes, c’est une bonne chose d’entendre l’avis de chacun sur le sujet et de considérer que tous ceux qui voteront le feront en conscience, exerçant ainsi pleinement leur souveraineté démocratique. Mais n’est-ce pas être un peu trop idéaliste de croire encore à un tel scénario de nos jours ? Notre société est une société marquée par l’ultra consommation, qui est consommation d’images et de médias tout autant que de produits matériels. Il suffit d’observer combien nos choix dans les achats quotidiens et dans nos façons de vivre ne sont plus vraiment des choix libres et réfléchis mais dictés par les publicités, pour en déduire logiquement qu’il en est de même concernant la délibération politique de chacun. Les médias sont des lobbies qui donnent à l’opinion commune son cap. Certes, c’est toujours l’homme qui en dernier lieu pose un acte volontaire lorsqu’il met son enveloppe dans l’urne, mais la pression médiatique et sociale est telle que la part de liberté dans le jugement et l’exercice de l’esprit critique devient quasi nul. Ne nous voilons donc pas la face en nous appuyant sur des sondages selon lesquels une majorité de français serait opposée au « mariage pour tous ». D’abord parce qu’un sondage reste un sondage, et d’autre part car il ne prend pas en compte la réponse que donneront demain les citoyens qui seront confrontés à la pression des médias, pression qui sera devenue bien plus forte dès que l’échéance électorale sera fixée officiellement. Soyons donc réalistes : si référendum il y a, la loi passera.

Ce manque de réalisme est malheureusement signe d’un défaut dans la méthode de réflexion. Nous sommes ici en champ éthique et politique, donc en champ pratique. Or contrairement aux disciplines spéculatives, l’éthique et la politique ne doivent pas rester dans des considérations seulement universelles. En d’autres termes, nous oublions ici d’appliquer le mode dit « compositif », propre à l’éthique et à la politique. Ce mode consiste en l’application de principes universels dans les cas concrets singuliers, et par ce fait sujets à la contingence. En demandant un vote, nous restons dans l’universalité du principe selon lequel le référendum est bon pour donner à chacun la possibilité de participer à l’avènement du bien commun. Or dans notre situation concrète actuelle, nous sommes incapables de faire advenir le bien commun concernant ce sujet, du moins par référendum.

. Deuxièmement, demander ce référendum revient à se tirer une balle dans le pied. Pourquoi ? Simplement parce que ce référendum fera passer la loi sur l’ouverture du mariage, et que nous n’aurons alors plus aucune crédibilité à protester davantage. La loi sera passée, nous aurons tout mis en œuvre pour qu’elle passe malgré nous, et de façon entièrement « démocratique ». Bref, les gouvernants pourront en toute logique nous demander de nous taire, ou du moins ils n’auront aucune raison de nous écouter davantage. Nous nous serons mis hors-la-loi tout seuls…

. Troisièmement, ceux qui demandent un référendum sont les mêmes qui demandent un débat sur la question. Or un débat est une confrontation d’arguments dont la finalité est de trouver la vérité, par l’approbation des meilleurs arguments ou par la recherche commune de meilleurs arguments. De son coté, le vote est un consensus. Le référendum n’a jamais eu pour finalité la reconnaissance publique de la vérité et du bien, mais est au contraire un consensus où la majorité l’emporte. Ainsi, il est contradictoire de demander un débat et de réclamer ensuite un référendum, car le vote détruit le débat. Le débat à pour finalité la vérité, le vote a pour finalité l’opinion.

. Enfin, demander un référendum sur la question, c’est accepter que le mariage puisse être l’objet d’un vote. Le mariage entre deux personnes se fonde sur l’anthropologie, et donc sur la nature des personnes en tant qu’elles sont différentes dans leur être. Demander un référendum, c’est de ce fait même approuver la possibilité morale de légiférer sur la nature. Bref, c’est entrer totalement dans l’idéologie de ceux qui prônent le « mariage pour tous »…

Ces différentes raisons nous montrent à quel point les bonnes intentions, aussi louables soient-elles, ne peuvent suffire au combat pour le respect des personnes et du mariage. La situation que nous traversons est complexe, parce la société dans laquelle nous vivons est complexe. Prenons donc tout cela en compte, afin de mesurer les conséquences que peuvent engendrer nos demandes. La fin ne justifie pas les moyens, surtout lorsque ces moyens peuvent contredire la fin recherchée. Cultivons donc la vertu de prudence, cette « phronèsis » indispensable à toute délibération !

Théophile

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