L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Le retournement politique canadien à l’œuvre depuis 2006 n’est pas de la même espèce que les alternances ordinaires qui marquent la respiration démocratique de l’Occident. Après avoir tenté de brosser le portrait du Premier ministre canadien Stephen Harper, la National Review, dont nous proposons ici une traduction, s’attarde sur la méthode et donne les clefs d’un succès politique et intellectuel qui agit en profondeur sans faire de vagues.
« Les Canadiens ont été appelés à voter à nouveau en octobre 2008, deux ans et neuf mois environ après les élections qui avaient porté Harper et les conservateurs au pouvoir. Ceux-ci en sont sortis à nouveau victorieux, avec une avance supplémentaire, mais toujours en situation de gouvernement minoritaire. C’est aux élections de 2011 qu’arrive enfin la majorité absolue. (…)
« Harper a enregistré des progrès année après année, sortant la droite canadienne de ses divisions pour l’amener à la majorité absolue en moins de dix ans. À la convention de son parti en 2011, il déclare : “En disant ce que nous faisons, et en faisant ce que nous disons, pas à pas, nous remettons le Canada sur les rails du conservatisme, et les Canadiens nous suivent dans cette direction.” Harper est un homme patient, partisan de la méthode incrémentale, les yeux rivés sur le long-terme. Un commentateur conservateur, admirateur du Premier ministre, lui prête un “pragmatisme obstiné”. Si le pays n’est pas prêt à accepter un changement, il ne le proposera pas. À ses yeux, les changements culturels précèdent les changements politiques. L’avortement sans restrictions, le système public de soins, ce sont là des acquis dont on ne débat pas encore. (…)
« L’État fédéral a perdu du poids ; pas uniquement grâce au gouvernement Harper, mais aussi grâce aux libéraux avant lui : sa proéminence était telle que le “parti naturel de gouvernement” se devait d’agir. Harper a été plus loin. Le Canada est sorti de la récession récente potentiellement plus fort que n’importe quel autre pays. Harper a continûment réduit les impôts et peut vanter devant les Canadiens “le plus bas niveau de taxes fédérales depuis le mandat de John Diefenbaker” [Premier ministre conservateur de 1957 à 1963, NDT]. Le gouvernement n’a pas reculé devant la dépense quand la crise économique a frappé le Canada ; il fait face actuellement à un déficit de 21 milliards de dollars, mais prévoit un retour à l’équilibre en 2015. Le magazine Forbes classe le Canada meilleur pays du G8 pour investir. L’impôt sur les sociétés y est notablement bas — 15 %, contre 21 % lorsque Harper et les conservateurs sont arrivés au pouvoir [et 33 % en France, NDT]. (…) Harper est un partisan déclaré du libre-échange : son gouvernement a conclu neuf accords commerciaux, et continue d’en négocier.
« Fin 2011, le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto, l’accord international sur les gaz à effet de serre. Le gouvernement Harper affirmait que la précédente majorité avait cyniquement signé ce protocole sans avoir l’intention de s’y conformer. Chacun savait, selon les conservateurs, que ce protocole frapperait durement le Canada sans parvenir à protéger l’environnement. Alors qu’il pouvait encore s’exprimer plus librement, Harper laissait d’ailleurs tomber au détour d’une lettre datée de 2002 : “Kyoto est avant tout une machinerie socialiste pour pomper l’argent des pays qui produisent de la richesse.” (…)
« Depuis la Seconde Guerre mondiale, le Canada s’est à peu près comporté comme la Norvège : il fait figure d’arbitre entre les nations, de facilitateur, d’“honnête courtier”, tout juste aligné [sur le bloc de l’Ouest, NDT], bien que membre fondateur — tout comme la Norvège — de l’OTAN. Les Canadiens et les Norvégiens sont fiers de jouer un rôle plus important aux Nations-Unies que ce qu’ils devraient. Pourtant en 2010, le Canada s’est porté candidat pour siéger au Conseil de sécurité — sans succès. Un journal national a rapporté l’affaire en commençant par ces mots : “Sanctionnant directement le retournement de politique étrangère opéré par le gouvernement conservateur, les Nations-Unies ont rejeté mardi la candidature du Canada au Conseil de sécurité…” Cela donne un aperçu de la réaction sur le plan intérieur. Beaucoup de Canadiens ont parlé de cet échec comme si leur pays entrait dans une période sombre de son histoire. Le Canada avait abandonné sa position de toujours, et “le monde” à présent l’en punissait sévèrement. Pour un libéral canadien qui se respecte, essuyer un échec aux Nations-Unies revient à se voir refuser l’entrée au paradis.
« Harper a gardé la tête froide. Si la candidature canadienne n’avait pas été retenue, selon lui, c’est parce que le Canada avait soutenu Israël, la bête noire [en français dans le texte, NDT] d’un très grand nombre d’États aux Nations-Unies. Dans un discours, il évoque les “trois D” : diabolisation, deux-poids-deux-mesures, dénigrement. Tel est le sort que subissait Israël aux Nations-Unies et ailleurs, sort ô combien indigne d’une nation civilisée. “Rien n’est plus facile que de suivre et d’endosser la rhétorique anti-israélienne, de prétendre que c’est l’équité qui le dicte, et de se réfugier derrière son statut d’honnête courtier pour ne pas en faire plus. Il y a après tout bien plus de suffrages — et même une écrasante majorité de suffrages — pour le parti anti-israélien que pour celui de la raison.” Harper ajoutait que, lui Premier ministre, le Canada resterait aux côtés d’Israël “quel qu’en soit le prix” ; “je ne le dis pas uniquement parce que c’est la seule chose juste à faire, mais aussi parce que l’histoire nous enseigne — et l’idéologie anti-israélienne, si on l’écoute, ne fait que le confirmer — que ceux qui menacent l’existence du peuple juif sont une menace pour chacun de nous.”
« Harper est un ardent philosémite, analysant et dénonçant l’antisémitisme dès qu’il le peut. Son gouvernement a été le premier au monde à annoncer qu’il boycotterait Durban II — la deuxième conférence internationale d’une longue série gangrénée par l’antisémitisme. Naturellement, le Canada a également boycotté Durban III. (…) Si Harper soutient Israël, c’est parce qu’il s’agit d’un État libre et démocratique, encerclé et menacé par de nombreux autres États qui ne le sont pas. Il reconnaît également le droit pour tout État d’assurer sa propre défense. (…)
« J’ai noté que Harper est un homme prudent, partisan de la méthode incrémentale, et tout sauf une tête brulée. Mais dans la sphère de la politique étrangère, il s’est montré indubitablement ferme. Dans un discours de 2011 qu’il donnait à la convention de son parti, il a affirmé que le Canada et les conservateurs avaient un objectif : “et cet objectif ne consiste plus à suivre et endosser la ligne de conduite de n’importe-qui. Il ne consiste plus à donner son suffrage aux dictateurs pour les satisfaire aux Nations-Unies. J’avoue que je n’arrive même pas à comprendre comment, dans le passé, nous avons pu penser qu’il était dans l’intérêt de notre pays de le faire.” Dans un élan improvisé, il ajoutait : “La force n’est pas une option ; c’est une nécessité. L’ambiguïté et l’équivalence morales ne sont pas des options ; ce sont de dangereuses illusions.” (…) »
Les gouvernements, choses des hommes, sont choses faillibles. Errare humanum est, perseverare diabolicum ; incontestablement, certains gouvernements font mieux que d’autres, et méritent d’être signalés à ce titre. Parce qu’il a défié, par sa longévité, les pronostics les plus optimistes, celui de Stephen Harper peut être vu comme une grâce touchant le Canada. Parce qu’il défend consciencieusement les libertés réelles — ce dont témoigne la création récente du Bureau de la liberté de religion, — il doit être pris pour référence aussi bien par les autres gouvernements que par les catholiques qui subissent leur vindicte de façon croissante dans le monde. Parce qu’il a perçu avec justesse l’importance de livrer la bataille culturelle contre le relativisme, le socialisme et l’intimidation intellectuelle, il trace la seule voie qui puisse sortir l’Occident de l’ornière. Cette voie n’est ni facile, ni engageante : quasi-invisible de prime abord, elle n’est que rarement empruntée ; les fruits que donnent les arbres qui la bordent semblent d’abord ingrats, voire dangereux ; son chemin souvent paraît se perdre et l’effort qu’elle réclame semble en pure perte. L’ascension et les réalisations du Premier ministre Harper nous montrent qu’il n’en est rien en fait, et nous appellent à prendre, à notre tour, nos responsabilités dans la cité terrestre.
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