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Illustration : Le Triomphe d’Alexandre le Grand, par Gustave Moreau, huile sur toile, 1873-1890, Musée Gustave Moreau

Nul ne saurait apprécier la justesse avec laquelle la monarchie de droit divin contient la réalité nationale sans en venir, d’abord, à l’examen de deux phénomènes conjoints nés de la démocratie européenne.

L’atomisation nationaliste

Une multitude d’états-nations et de principats naquit des révolutions qui ont éclaté au dix-huitième siècle. Au Sud et à l’Orient, les indépendances fragmentèrent le paysage légal, et le territoire de l’Union Européenne ne fit pas exception : plus d’une quarantaine de conflits armés y ont eu lieu depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, impliquant, dans un litige souvent interne à l’état, la souveraineté nationale [1].

Rien d’étonnant à ce belliqueux hourra nationaliste, puisque le fait de scander le « pouvoir au peuple » implique de lui donner, attendu qu’il soit considéré comme tel, c’est-à-dire qu’on lui accorde le droit d’exister comme nation, indépendamment de l’existence des autres. La démocratie sous-entend qu’un peuple sans pouvoir de décision n’est pas un peuple souverain, ce qui revient à dire qu’il n’est pas un peuple du tout.

Il allait donc de soi que l’Europe politique se morcelle en petits états, restructurés à la lumière – ou plutôt à l’ombre – du principe nationaliste. Seules subsistèrent les communautés monolithiques de l’Europe de l’Ouest, parmi lesquelles l’Angleterre, l’Espagne et la France, trop enracinées dans un millénaire de civilisation monarchique et chrétienne ; mais leurs gouvernement n’ont, en tant que gouvernement dits « du peuple », aucune raison valable de refuser l’indépendance de Belfast, de Barcelone et d’Ajaccio.

Puisque l’habitude est la seule chose qui empêche encore l’écroulement de leurs vieux fédéralismes, les revendications d’indépendances perdurent malgré les mesures antinationales des révolutionnaires jacobins, malgré les arrestations et les massacres dont les colons anglais ont tant perfectionné le savoir-faire. La vague de décolonisation qui suivit d’assez près la stabilisation des gouvernements hissés par les révolutions démocratiques témoigne du fait que l’union des nations au sein des défunts royaumes d’Europe ne tient qu’à un fil : l’habitude fédérale n’avait pas eu le temps de fermenter dans le tiers-monde, et les indépendances y ont fleuri très vite.

Outre des révolutions, la républicanisation progressive de l’Europe a aussi installé l’atmosphère de concurrence diplomatique barbare qui précéda le déclenchement de la première guerre mondiale, dont les enjeux débordèrent sur la seconde. Les peuples de notre continent, alors, se mirent à imiter de façon saisissante le comportement classique des agents économiques soumis à un régime de libéralisme total comparable aux débuts des États-Unis, transposé au domaine des relations internationales.

Le déracinement fédéral

L’instauration de la jungle légale, quel qu’en soit le domaine d’application, conduit nécessairement à un phénomène de monopoles obèses et conflictuels : le prédateur économique dévore le plus petit, puis son voisin, ce qui lui permet ensuite de dévorer le suivant, auparavant trop résistant pour décliner. Il prolifère de cette façon jusqu’aux limites de la physique, ce qui conduit aux monopoles carnassiers que le monde connaît aujourd’hui. De même, au sein du jeu international, l’écroulement des grandes entités politiques et l’apparition fragmentée de nombreuses souverainetés rivales ont conduit à des alliances militaires macroscopiques : la nature ayant horreur du vide, l’hegemon vital de ces états est apparu sous la forme de traités transnationaux, générant des monstres diplomatiques concurrents. Puisque l’hégémonie ne se partage pas, la guerre devait nécessairement avoir lieu.

Le traumatisme des charniers mondiaux ayant laissé des plaies béantes aux flancs des peuples européens, ces derniers, inertes, laissèrent les marchands construire leur scélérate union calquée sur le projet américain ; ainsi, de la même source démocratique, un processus inverse à l’implosion des royaumes surgit et l’oligarchie de droit bancaire devait dissoudre progressivement la nation dans le marché libéral.

Sans lui retirer son existence a priori, le règne des voleurs a simplement dérobé ses pouvoirs régaliens et déplacé ses centres décisionnaires. Il fallu des centaines de milliers d’immigrés déportés par des multinationales afin de faire chuter le coût du travail, et la naissance d’un lumpenproletariat islamisé pour qu’enfin et un peu tard, la contestation de certains symptômes - trop isolés par l’analyse - de l’arnaque libérale soit considérée autrement que comme le signe d’une maladie mentale.

Ni l’une ni l’autre de ces dispositions démocratiques ne sont capables de subvenir à l’existence d’une communauté politique saine. La première a prouvé sa racine mortifère à travers l’Histoire, mais aussi parce qu’elle consacre, en principe, la nation comme garante du Beau, du Bien et du Vrai et qu’elle provoque irrémédiablement un relativisme politique qui mène nécessairement à la guerre, puisqu’elle rend deux intérêts nationaux divergents à jamais irréconciliables sur le principe. La deuxième, toujours démocratique, achève de déraciner complètement les peuples en les niant, puis en les vendant.

Cette réalité bipolaire échappe souvent à la compréhension parce que l’on se méprend à propos du concept de nation. Le grand problème auquel fait face la réaction française est qu’il est fort difficile de sortir complètement du prisme philosophique libéral. Ses partisans y trébuchent souvent, malgré toute la révolte avec laquelle ils s’appliquent à réfléchir. La nation fait partie de ces concepts dénaturés par le libéralisme, et qu’il s’agit de rétablir à sa juste dimension.

Ce qu’est, au fond, la nation

La nation est une chose très simple. Natio, racine du terme, traduit le fait de « naître ». Le petit homme naît quelque part sur sa terre, il naît d’un père et d’une mère dont il conserve le sang, et au sein d’une famille, première des communautés. Ces familles s’organisent en villages, en villes, et génèrent ainsi un ensemble de cercles concentriques dont toutes les strates communiquent entre elles. Cette vie politique s’incarne dans une tradition constituée d’une langue, d’une gastronomie, d’une architecture, d’un artisanat et d’une appropriation des arts, à travers les chants et les danses traditionnels, et de bien d’autres éléments qui forment la coutume. Voici ce qu’est la nation.

Cette communauté de gens nés au même endroit possède un caractère, un génie. Elle n’a besoin d’aucun administrateur, d’aucun foutu gestionnaire d’empire pour savoir qu’aux portes de telle ville, au pied de telle montagne, au col de telle vallée et aux berges de telle rivière, elle s’arrête. Ce caractère est le produit de sa race – c’est-à-dire de son sang –, de sa terre, et de ses mœurs, constitutives de ce que l’on nomme communément la culture et la politique.

La nation, comme définie ici, trouve son unicité dans ses différences avec les autres. D’un sang différent naît une trogne différente. D’une géographie différente naissent des besoins, des priorités et un tempérament différents. D’une communauté différente naissent un comportement, un dialecte, une coutume différents.

La nation France n’existe pas

Ceci amène la raison à se porter sur un problème typiquement français, mais qui trouve un écho partout ailleurs. Le corse, le vrai, n’est pas semblable au catalan, au basque, au breton, à l’alsacien, au bourguignon ou au normand, qui eux-mêmes ne se ressemblent pas.

Les nationalistes jacobins sont souvent les premiers à louer les mérites de cette France pétrie d’une diversité de coutumes, de reliefs et de trognes. Cependant, leurs raisonnements s’obstinent pourtant à considérer la France comme une nation. La France n’est pas une nation, mais une communauté de nations. Les provinces de France en possèdent chacune des caractéristiques propres, la langue au premier chef.

Il y a des langues corses, catalanes et bretonnes, comme il y a des "patois" partout ailleurs. L’architecture auvergnate n’est pas celle que l’on développe en Normandie depuis des siècles.

Il sera objecté assez justement à cela qu’aujourd’hui, d’une manière générale, les français partagent tous les mêmes habitudes, ainsi que la même langue codifiée par l’État ; et cette objection est, dans les limites de son caractère global, en tout point exacte.

Néanmoins, ces habitudes, cette langue et cet État sont purement artificiels. L’Ancien Régime avait consacré le français comme langue administrative. Les révolutionnaires ont mis à genoux les nations du royaume de France, ont interdit leurs langues, leurs coutumes, ont perpétré le pire des crimes possibles au-delà même de celui du sang, celui de l’âme ; l’installation de la langue française en tant que dialecte totalitaire s’est abreuvée de l’agonie des peuples. Que l’on pense au rapport de l’abbé Grégoire sur « la nécessité et les moyens d’anéantir les patois » : les bouchers mandatés par la bourgeoisie parisienne ont mis à sac des siècles de traditions nationales, qui plus est - quelles désopilantes enflures - au nom du peuple.

Le diktat imposé par les fanatiques de la langue d’administration centralisée se base sur une illusion que l’abbé Grégoire formule lui-même avec un panache des plus hilarants et des plus méprisables : Nous n’avons plus de provinces, et nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms [2].

Ce délire de juriste est tout à fait comparable à celui qui anima les exécutants de la dernière réforme des régions, et qui exhibe à merveille le gouffre qui sépare le pays légal républicain du pays réel. Appeler une circonscription administrative "Auvergne-Rhône-Alpes" ne transformera jamais la réalité, et ne changera rien au fait que l’Auvergne existe en dehors du Lyonnais ou de la Savoie, et qu’il n’y aura jamais de tradition régionale valable pour cet ensemble monstrueux. Quoi que l’on tente pour annihiler les nations françaises, elles sont des réalités que l’on accepte, ou que l’on subit. "Nous n’avons plus de provinces", disaient-ils, parce que la loi avait changé, alors qu’une province de France est, indépendamment de toute existence légale, un fait.

L’empire républicain sanguinolent et déraciné s’est bâti sur l’illusion du pays légal incarnée par la découpe mathématique des départements et des régions, car les nations de France sont toujours vivantes, et leurs dialectes sont encore parlés, par peu de gens il est vrai, mais tout de même parlés. L’architecture centralisée d’aujourd’hui est anonyme, internationale, mais subsistent encore les ruines du réel.

D’ailleurs, l’entreprise républicaine était si grotesque et contre nature que ceux à qui le français fut imposé de force l’ont naturellement transformé, par l’accent, les expressions et les tournures, qui changent toutes d’une nation à l’autre, et qui font dire au parisien le plus répugnant qu’un tel n’est, au fond, qu’un petit arriviste toulousain ou un breton tout à fait insignifiant. La réalité rattrape toutes les tentatives mégalomaniaques de la République des épiciers.

Unabomber écrit assez justement, au sein de son manifeste rédigé en captivité, que lorsque l’empire romain s’est écroulé, toutes les infrastructures globales dont l’état avait assumé la responsabilité s’écroulèrent dans les années qui suivirent. Seules demeuraient debout les dispositifs locaux, desquels les villes ou les villages étaient directement responsables. Comme les aqueducs romains, le langage d’état reprendra en temps voulu les couleurs et les dimensions locales, parce qu’une fois que le monstre centralisateur faiblira, il économisera le sang de ses veines comme le corps d’un homme par grand froid, délaissant ses nations périphériques pour se concentrer sur sa subsistance essentielle. Il rendra naturellement leurs âmes aux nations.

Toujours est-il qu’une fois pour toutes, la France n’est pas une nation, mais un État, consécutif d’une communauté de nations. La France est une fédération initiée par la monarchie, et demeure incompatible avec la démocratie nationaliste.

Mais alors, pourquoi s’obstine-t-on à dire le contraire ? La rengaine est tenace parce que la démocratie est par essence nationaliste. Lorsqu’on déclare le pouvoir au peuple, c’est à la nation qu’il revient, parce que la nation n’est pas un projet, un contrat ou une quelconque abstraction, mais une réalité naturelle à laquelle on s’accommode.

Les raisons profondes d’une méprise

On a organisé un malentendu à propos de ce terme de nationalisme, qu’un ouvrage de Raoul Girardet, Nationalismes et nations balaie très efficacement au sein d’une étude comparative des nationalismes européens et des nationalismes de la décolonisation orientale. Lorsqu’il en va des doctrines philosophiques, le suffixe -isme désigne le fait de considérer son antécédent comme un critère fondateur. Le nationalisme place la souveraineté du vrai, du beau et du bien dans la nation, le biologisme dans la biologie, le socialisme dans la mécanique des classes sociales, le psychologisme dans la psychologie, etc.

Ce suffixe souffre du fait qu’il est utilisé à outrance et gravement galvaudé, ce qui déprécie fortement tous les termes qu’il enrichit. Le « marxisme », par exemple, n’a aucun sens, mais le socialisme en a un.

Le nationalisme est une doctrine défendue par le F.L.N algérien autant que par le jacobinisme français, alors même qu’ils semblent éminemment contradictoires ; au sein de ces doctrines, la vérité, la beauté et le bien dépendent de la nation. Ces trois concepts s’incarnent donc différemment, voire de façon conflictuelle selon la nation qui s’en saisit. Le nationalisme, ce n’est pas le fait d’aimer son pays ou autre approximation naïve ; le nationalisme est un projet politique défini.

La nation et le Roi

Ce projet porte en lui des véroles incurables. L’un des avantages indépassables du droit divin, qui met la souveraineté en Dieu, est qu’il libère naturellement les nations de l’obligation d’être souverain, et de se faire la référence du beau, du bien et du vrai pour exister. En république, une nation qui n’a pas d’état est tout bonnement niée puisque le peuple doit nécessairement être souverain ou ne pas être, ce qui conduit à l’omerta générale que l’on connaît à ce sujet. Dans un royaume inféodé à Dieu, toute nation peut exister sans mettre en danger la souveraineté de l’État. Le juste prisme monarchique acte la décentralisation, et le retour des responsabilités locales aux nations, ce qui permet de les faire vivre.

Le grand problème du nationalisme est qu’il refuse toute forme d’universalité. Si la forme et le fond du gouvernement dépendent de la volonté de la nation, la recherche du bon gouvernement devient caduque, et la moindre quête du vrai, beau et bien en soi aussi. À l’échelle internationale comme au sein du pays, tout ne devient qu’une affaire de luttes d’intérêts et la guerre fait souche jusqu’à devenir le principe même de toute espèce de relation, schéma qui prime dès l’instauration du contrat social. Le nationalisme est intrinsèquement libéral et destructeur. Par conséquent, tout projet politique universel s’ébrèche à son contact.

La monarchie de droit divin, elle, accepte la nation tant que cette dernière accepte son souverain, Dieu. Elle est donc universelle, sans être universaliste : elle n’a pas le devoir de s’étendre sous peine de s’éteindre, contrairement à l’empire, si tant est que cette monarchie repose sur un droit divin aussi sain que celui de Rome. Elle est la seule manière d’accueillir les rares bienfaits qui naissent aux sources primitives du nationalisme et du fédéralisme bancaire, l’enracinement et l’universalité potentielle. Ainsi, n’importe quelle terre peut être accueillie, sans être dépréciée ni bafouée, au sein du royaume de France. La Corse, parangon des nations incompatible avec les aspirations totalitaires de la Gueuse, ne peut être accueillie que dans ce royaume.

La question de la nation cristallise les errements des doctrines politiques qu’on tente de proposer aux peuples contre la tragi-comédie post-moderne. Elle donne à voir comme en toutes matières que le bon gouvernement est nécessairement monarchique, de la même façon qu’elle montre la vanité du prétendu "moindre mal", du méfait supportable, du "moins pire des régimes", et de toutes les parades commodes qui permettent à ceux qui se hasardent à marmotter que " le Roi oui, mais" d’éviter l’opprobre générale tout en pensant qu’ils méritent de dormir tranquilles.

Marc Ducambre

[2Henri Grégoire, Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française, Convention nationale, 1794, p. 3.

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