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Bien commun : un navire balloté [Partie I]

« Plus la direction est nombreuse, plus la société est décadente » :
James Goldsmith [1]

Aujourd’hui le bateau dans lequel nous sommes tous embarqués n’a ni cap précis, ni chef à son bord. Nous sommes englués dans le brouhaha sans fin, des vagues, tempêtes et cris. Chacun, apeuré, effrayé par son propre sort tente de faire valoir son opinion. Tout le monde se rêve à la barre, mais personne n’en a les qualités. Sur le bateau, chacun a déserté son poste, préférant s’occuper de soi plutôt que d’effectuer la tâche qui lui a été assignée et dont il ne sait si cela changera le cours des choses. En effet, la conscience du groupe n’est plus. On leur a si bien répété que le devoir n’existait pas, que chacun s’emploie à faire valoir ses droits. L’individu, replié sur lui-même, attend patiemment que pain et eau lui soient apportés comme la juste reconnaissance de sa nature humaine. N’est-ce pas là son droit le plus légitime ?
Qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Oui, nous. Car dans une démocratie, même lorsque son système est représentatif et non direct, chaque individu à sa part de responsabilité. Et il serait bien dommage que nous aussi, nous nous mettions à agir comme des politiciens, à savoir, à nous accuser mutuellement en refusant de voir ce que nous aurions dû mettre en place pour faire changer les choses.

Alors aujourd’hui nous voilà, voguant sans conviction au-milieu d’un océan, méconnaissable et insaisissable. A bord, l’air est lourd, l’émotion gronde, l’esprit est frondeur. L’équipage n’a plus d’existence qu’en ce qu’il maintient pour ses agents quelques faveurs et privilèges qui les incitent un tant soit peu à rester à leur poste. L’appât du gain, du confort, sont seuls moteurs pour ces hommes qui ne se sentent reliés les uns aux autres que par une espèce d’obligation factice, un contrat sans pertinence que leur aïeux leur auraient recommandé de signer. Les hommes ne se comprennent plus, ne s’entendent plus, comme étrangers les uns aux autres. Dans un élan d’instinct de survie, chacun s’accroche fébrilement à ceux qui lui ressemblent, à la culture qui lui procure le plus de réconfort, mais qui l’éloigne encore plus de celui qui est assis à côté de lui. Le temps présent n’a pas d’autre légitimité que celle que chacun veut bien, individuellement, lui donner. Tout le monde use de son esprit à ses propres fins et son propre confort, sans envisager que l’union fait la force. Le relativisme ambiant donne libre cours aux plus folles explications de la situation. Une explication s’imposant parmi les autres ne doit son succès qu’à la conjoncture du destin. Un homme aurait dit que le Nord était indiqué par la ceinture d’Orion, que si le lendemain celle-ci brillait plus fort que les autres étoiles, il devenait le maître incontesté du navire. D’autres se contentant de belles prophéties s’écrient « Si vous êtes avec moi, vous atteindrez le rivage ». Mais l’union est toujours projetée dans le futur, ce qui provoque une adhésion factice, qui n’engage pas l’individu personnellement dans l’instant présent. Point d’obligation, que de folles promesses.

Cette union est donc bien fébrile et lâche ; somme toute, elle ne vaut que tant que son « prophète » voit sa « prophétie » se réaliser. Quel monde de fous que celui-ci.
La démocratie ressemble quelque peu à ce bateau où les citoyens sont embarqués sur l’océan de la vie, balloté au gré des conjonctures économiques et politiques. Drapés, emmitouflés d’un absurde tissu de droits, dont ils pensent pouvoir en user sans jamais rendre la pareille, ils se sentent protégés. Nul ne se rend compte que pour le garder il faut savoir de temps en temps le prêter, le laisser de côté, pour retrousser ses manches, devenir actif, et à son tour donner, car la liberté ne commence pas là où finit celle des autres, mais là où commence également celle des autres. En effet, rien n’empêche que le vent, ou un autre homme, dans des temps incertains, viennent à le dessaisir, impunément, de ce manteau illusoire. Alors que si chacun veille à ce qu’autrui en soit pourvu, alors il pourra pleinement en profiter, car personne ne viendra lui réclamer le sien où lui reprocher d’en avoir un. Comprenons ici qui si tout le monde met son énergie au profit du Bien Commun, et non uniquement du sien, alors tout le monde est protégé. Qu’importent les tempêtes et les adversités, la solidarité est la meilleure des alliées.

Charivari


[1James Goldsmith (1933-1997) est un homme d’affaires et homme politique franco-britannique. Il fut le propriétaire de la Générale Occidentale, une holding qui regroupait ses participations financières dans de nombreuses marques alimentaires françaises (le Chocolat Poulain, Amora, Maille, ...) ainsi que dans le domaine de la presse écrite. Il est le frère du philosophe écologiste Edward « Teddy » Goldsmith.

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