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[Ex-Libris] Incertain Paul Valéry

Au travers des dix chapitres qui composent son « autobiographie-fiction » – ornés chacun d’une citation en-tête, dont la plupart sont de Wittgenstein – Hervé Dumez retrace de manière très singulière et sensible la vie de Paul Valéry, évoquant tour à tour son enfance et sa vieillesse, ses doutes et ses succès, sa famille et ses amours [1]. On y découvre, ou redécouvre, un personnage à fleur de peau, inquiet, égoïste et touchant.

L’enfance de Valéry, telle que racontée dans cet « un certain » Paul Valéry, est celle connue d’un homme né d’une mère Italienne et d’un père Corse, ayant aimé la mer à Sète – « Et surtout il y avait la mer. » – et très vite écrit ses premiers poèmes à l’époque où Mallarmé – son maître et ombre tutélaire – tentait avec son coup de dés de révolutionner la poésie française. C’est celle d’un homme à la sensibilité exacerbée qui, quoiqu’élève médiocre, s’efforça toute sa vie de pousser plus avant sa connaissance du monde, des hommes et des arts – quels qu’ils fussent. C’est celle enfin d’un homme gâté par le talent qui connu rapidement la gloire pour ne plus s’en départir, académicien et professeur, salonnard et correspondant de talent qui, cependant, tous les matins aiguillonnait son esprit devant de petits carnets pour atteindre la perfection d’un style et d’une voix tant cherchée.

De fait, le parti pris de Dumez n’est pas d’écrire une biographie universitaire, annotée et analytique, d’autres comme Michel Jarrety s’en sont occupés, mais de tenter un immersion dans les remous intérieurs d’une conscience, une plongée dans les arcanes émotives de la vie d’un homme. Et, malgré les écueils inséparables d’une telle entreprise – la tournure peut-être trop elliptique des événements et l’appesantissement trop prononcé, à notre goût, sur les états amoureux du poète – ce récit, où le « je » est assumé, a le mérite de permettre au lecteur d’entrer, sans être dupe, dans la peau de l’Académicien qui n’est, en dehors de quelques résistants égarés, presque plus jamais lu.

L’ensemble de ce court texte est écrit sur un mode très personnel où, pour n’être pas flamboyant – mais était-ce bien l’objet, la flamboyance ? –, le style laisse parfois surgir au détour de la page une fulgurance ou un aphorisme heureux : « Aucun effet d’attirance n’égale, auprès des femmes, ce qu’un homme cherche à dérober pour le garder à soi. » Percent en filigrane, ce qui concourt à créer « l’illusion du réel », une connaissance intime de l’homme et de l’œuvre. Affleure de-ci de-là une citation cachée, intégrée pour ainsi dire, au service de cette plongée au cœur. La qualité non négligeable du « biographe » Dumez est qu’il ne prend pas la place de Valéry, ne se prend pas pour « l’autre », mais lui laisse le champ libre, le sert sans s’en servir, l’effleure sans le déflorer pour laisser planer, encore entier, le mystère d’une conscience à jamais libre et inconnue : « une vie peut-elle se résumer ? »

À la question lancinante de la postérité que pose en guise de conclusion le dernier chapitre, « Une suite incertaine » : « Je n’aurais été, finalement, qu’un échantillon. » c’est au lecteur de répondre. Pour nous, Valéry ne fut pas échantillon mais chaînons, la maille solide d’une chaîne poétique sans laquelle rien ne tient, sans laquelle tout se délie et se délite, sans laquelle la poésie qui manque tant de nos jours, et à nos jours, n’aurait pas montré une fois encore la force inépuisable de ses mots :

Cette main, sur mes traits qu’elle rêve effleurer,
Distraitement docile à quelque fin profonde,
Attend de ma faiblesse une larme qui fonde,
Et que de mes destins lentement divisé,
Le plus pur en silence éclair un cœur brisé.

[1Hervé Dumez, Incertain Paul Valéry, Arléa, 2016.

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