L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Pierre est étudiant du Centre de Formation des Journalistes (CFJ) de Paris. Vous pouvez le lire sur sa gazette-en-ligne.
Vous ne l’avez probablement pas vu, mais vous en avez certainement entendu parler. Je veux parler de la pièce Golgota Picnic de l’hispano-argentin Rodrigo Garcia, qui se joue au théâtre du Rond-Point à Paris du 8 au 17 décembre. Après la perturbation de la pièce à Toulouse en novembre, d’aucuns redoutaient de nouvelles actions coup de poing de leur part lors de la première parisienne de Golgota Picnic. La présence massive de policiers devant le théâtre les en a empêché.
N’ayant pas vu la pièce, je ne me prononcerais pas sur les qualités artistiques de la pièce, ni sur son éventuel caractère "blasphématoire" [1]. Peu importe, ce n’est pas mon propos. Ce qui a retenu mon attention, c’est cette information : la pièce se jouera tous les soirs à guichet fermé jusqu’au 17 décembre.
La publicité indirecte que créé la controverse ne fait qu’attiser la curiosité du public, pour une raison simple : les gens se doivent de voir la pièce avant de s’en faire une opinion. L’argument principal des partisans de Rodrigo Garcia, et qui n’est du reste pas illégitime, est en effet le suivant : « tu ne peux pas critiquer la pièce si tu ne l’as pas vu ».
D’un autre côté, de nombreuses personnes désireuses de défendre ce qu’elles estiment être une atteinte à la liberté d’expression et la laïcité achètent leur place pour exprimer leur soutien à l’artiste. Dans la même veine, Charlie-Hebdo, dans son numéro du 7 décembre, appelait leurs lecteurs à « soutenir le théâtre et la culture contre l’obscurantisme » en manifestant le soir de la première devant le théâtre contre les chrétiens intégristes.
Peu importe finalement les motivations de chacun dans cette escalade idéologique où la valeur artistique de la pièce proprement dite est occultée ; le résultat à retenir, c’est que l’artiste et le théâtre qui accepte de jouer sa pièce sont économiquement gagnant.
Cette situation me rappelle un article de Jean Clair paru dans le Monde en octobre 2010 : « contre l’art des traders ». Cet ancien directeur du musée Picasso et membre de l’Académie française, devenu très critique du monde artistique contemporain, y dénonçait ces artistes passés du « culturel au culte de l’argent ». Il fustigeait la surenchère gore et scatophile de nombreux artistes prêts à tout pour mieux se faire connaître et ainsi vendre leurs œuvres. Il citait Marc Quinn, qui réalisa un buste fait de son propre sang congelé, ou encore Gasiorowski, qui utilisait ses excréments pour toute peinture.
La critique pourrait s’appliquer à Golgota Picnic ou sur le concept du visage du fils de Dieu. On peut y déceler la mécanique du buzz : provoquer, choquer, amuser via une vidéo ou une image choc pour mieux mettre en valeur un site internet, une marque ou, en l’occurrence, l’artiste.
Mais la situation semble un peu plus compliqué qu’elle n’y paraît. Il apparaît évident que nombre d’artistes provocants sont honnêtes dans leur travail, dans le sens où ils croient fermement en ce qu’ils réalisent. Ce qui est d’ailleurs probablement le cas de Rodrigo Garcia, qui n’en n’est pas à son coup d’essai dans la provocation. Il suffit pour s’en convaincre de ne relever que certains titres de ses œuvres écrites antérieures, d’une grande profondeur : « Vous êtes tous des fils de pute », « C’est comme ça et me faites pas chier » ou « Goya. Je préfère que ce soit Goya qui m’empêche de fermer l’oeil plutôt que n’importe quel enfoiré ».
Pour prendre un autre exemple, la constance d’un André Serrano dans la scatophilie est à ce titre admirable. Rappelez-vous, Andres Serrano, cet artiste qui s’est fait connaître en 1989 aux Etats-Unis pour son Piss Christ (photo d’un crucifix plongé dans l’urine et le sang, endommagé en avril 2011 par des catholiques intégristes français à Avignon).
L’homme est un artiste prolifique. Il avait réalisé pour une exposition à New York en 2008 66 photos de fèces animales et humaines. Si vous êtes intrigués par la finalité de ce travail, je vous recommande la lecture de cet article drolatique (en anglais). Ses autres photos représentent du sperme mêlé de sang, des cadavres entreposés à la morgue ou encore des prostituées réalisant des fellations. Dans l’article cité plus haut, l’homme explique bien le but de toute cela : « faire quelque chose de provocant, même pour moi ». On ne peut pas reprocher à Serrano de ne pas rester fidèle à ses convictions.
Il faut toutefois nuancer ; la provocation via le religieux ne garantit pas systématiquement un retour sur investissement. En témoigne le triste incendie des locaux de Charlie-Hebdo, le 2 novembre dernier, alors que l’hebdomadaire satirique avait décidé le temps d’un numéro de faire de Mahomet le rédacteur en chef du journal.
Prenons enfin le cas de la dernière campagne publicitaire de Benetton, qui consistait notamment en un photomontage du pape Benoît XVI embrassant un imam. L’image avait finalement été retirée à la demande du Vatican.
Un publicitaire, Frank Tapiro, interrogé par le quotidien Le Parisien le 18 novembre dernier, estimait que la provocation, dans ce cas précis, ne faisait plus vendre.
« Aujourd’hui la marque Benetton n’existe plus qu’au travers de ses publicités qui font scandale. Ses produits ne se vendent plus. Car sa publicité n’a pas mis en valeur ses produits. Au contraire, elle a fini par tuer la marque. Le nom de Benetton est resté célèbre, mais il a été assimilé à des images choquantes et cyniques ».
La marque connaît en effet des difficultés économiques depuis quelques temps, avec une chute de 33% de ses bénéfices le mois dernier. La provocation accuse certainement des limites.
Pierre Wolf-Mandroux
[1] Voici quelques éléments de la pièce, tirés de la critique du Parisien, pour vous en donner une image générale : "quatre hommes et une femme se filment avec un caméscope sur une scène tapissée de hamburgers. Tout en déclamant des sentences sur le MP3, les courts de tennis, les brunchs, la folle équipe se couvre la tête de poireaux et de carottes, empile des vers de terre vivants, fabrique des steaks hachés, se shampouine entièrement nus, vomit en gros plan ». S’agissant du religieux, « le Christ est "fou", la religion chrétienne oppressante et aliénante. Pour finir, un pianiste nu joue "les Sept Dernières Paroles du Christ" de Haydn pendant quarante minutes ».
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