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Parce qu’elle se présente comme le dialogue du Fils avec le Père, la prière à Gethsémani découvre un peu du voile de l’intimité des deux premières personnes de la Sainte Trinité. Cette prière, pourtant, a de quoi nous surprendre, en ce qu’elle paraît montrer une possibilité de division au sein-même de la volonté divine. Elle nous enseigne en fait la réalité de l’incarnation, le mode par excellence de formation de la ferme décision — la délibération éclairée par l’esprit d’obéissance, — et que l’unité terrasse effectivement la division.
Jésus à Gethsémani adresse au Père ces paroles : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi. Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Puis après être retourné vers ses disciples : « Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite. » [1]
La lecture du passage de Mt au chapitre 26, relatant la nuit à Gethsémani, nous met en face de cette première évidence : le Fils s’étant fait homme a enduré, outre les autres humiliations de la chair, la consommation du temps, donnée terrestre.
Or le temps se manifeste par la variation, en même temps qu’il la cause, et la variation est source-même de la corruption. Toute choses soumise à variation, à supposer qu’elle pût être parfaite à quelque stade de son développement, a connu nécessairement l’état d’imperfection, et le connaîtra de nouveau ; or toutes choses terrestres, toute la Création marquée du sceau du péché originel, sont soumises à variation.
Parce que le Christ a épousé en plénitude la condition de la chair et s’est fait homme parmi les hommes, il n’est jusqu’au temps qu’il ne subisse lui-même. La nuit à Gethsémani dans son ensemble en est l’illustration, qui voit ses disciples incapables de veiller même une heure en sa compagnie, et contrister son cœur au plus profond. Et le sommet de cette nuit de veillée solitaire, les paroles de la prière du Christ, s’imprègnent en apparence d’une volonté qui varie — autrement dit d’une volonté dans le temps : après avoir demandé que la coupe passe loin de ses lèvres, le Fils, retournant à la prière, paraît l’accepter pleinement. « Que ta volonté soit faite », comme nous le récitons dans la prière du Pater instituée par le même Fils au cours de sa vie publique.
Bien plutôt que la confrontation de deux volontés distinctes dont l’une l’emporterait sur l’autre, il faut voir dans ce dialogue le reflet d’une délibération intime, saisissant une seule et unique volonté, la volonté divine réalisée dans ses desseins par l’incarnation et le sacrifice.
Cette délibération doit nous instruire sur deux choses. D’une part, elle nous est un signe de l’existence même d’une volonté dans Dieu. La volonté, résultante d’une liberté faute de laquelle elle n’est que réaction mécanique, suppose pour s’établir la forme-même de la délibération, qui met aux prises les tenants de la décision. Dieu, étant parfait, disposant de la seule et totale liberté qui soit, sa volonté, pour s’exercer, suppose plus que toute autre l’exercice de la délibération.
D’autre part, cette prière, nous étant rapportée, nous invite nous-mêmes à établir notre volonté dans la délibération ; mais pas n’importe-quelle délibération.
Le rapport entre les deux natures du Christ est de la forme caractéristique de l’obéissance. Par là-même, la prière de Gethsémani nous donne à contempler du plus pur de la sainte obéissance, qui intime à la chair de se gouverner selon la volonté divine.
Ainsi donc, toute délibération correctement entendue, et éclairée de la lumière de la foi, doit nous conduire dans notre volonté propre à l’imitation du Christ, qui se conforme parfaitement au commandement de son Père.
Ce que rassemble la prière à Gethsémani va toutefois plus loin, car les deux paroles du Christ nous renseignent tout aussi sûrement sur le ferment du mal, qui se trouve dans la division. L’idée a été écartée d’une division dans la volonté du Christ à Gethsémani — ou, comme on l’a rejeté aussi, dans l’hypothèse de deux volontés distinctes, celle du Fils et celle du Père. Le Fils faisant la volonté du Père, et même la faisant sienne dans une identité parfaire, l’unité divine vainc la division. Le Christ, étant vrai Dieu, ne pouvait, certes, s’écarter de cette volonté : la division en effet ne saurait atteindre à la perfection de Dieu, ni s’insérer entre les trois hypostases qui sont ses trois personnes. La chair du Christ vrai homme, en revanche, aurait pu se gouverner autrement.
Il nous faut contempler la prière à Gethsémani comme un exemple — c’est-à-dire une manière d’agir que nous devons reproduire. Cet exemple devrait en toutes choses nous conduire à la sainte obéissance, seule façon pour nous de gagner l’unité, de rejeter la division et partant, d’anéantir le mal.
[1] Mt 26, 36-46 : « Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani, et il dit aux disciples : Restez ici, tandis que je m’en irai prier là-bas. Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. Alors il leur dit : Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi. Étant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière : Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi. Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir ; et il dit à Pierre : Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible. À nouveau, pour la deuxième fois, il s’en alla prier : Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite. Puis il vint et les trouva à nouveau en train de dormir ; car leurs yeux étaient appesantis. Il les laissa et s’en alla de nouveau prier une troisième fois, répétant les mêmes paroles. Alors il vient vers les disciples et leur dit : Désormais vous pouvez dormir et vous reposer : voici toute proche l’heure où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici tout proche celui qui me livre. »
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