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Avec pour horizon la Marche pour la Vie de cet après-midi, je voudrais partir, ce matin, de la collecte de la messe : « Dieu tout-puissant et éternel qui gouvernez le ciel et la terre, exaucez, dans votre clémence, les supplications de votre peuple et établissez partout votre paix. » La paix dont il s’agit, et pour laquelle nous venons de prier, c’est la paix dont Jésus nous dit en S. Jean qu’elle se distingue de celle que donne le monde [1]. Cette paix qui vient de Dieu et que le Christ établit par le moyen de son Église, c’est, nous dit encore S. Augustin, « la tranquillité de l’ordre » [2]. Pas de n’importe quel ordre. S. Augustin précise : « l’ordre, c’est la disposition qui attribue aux êtres, dans leur diversité, la place qui leur revient en propre ». Cet ordre n’est pas la résultante des forces aveugles qui bouleversent le monde, il renvoie au Créateur dont l’œuvre a été abîmée par le péché des anges et des hommes.
À la base de cet ordre voulu par Dieu, il y a la vie, la vie qui est en Dieu et que le Verbe, médiateur de la création, nous communique avec munificence. Souvenons-nous du dernier évangile que nous répétons chaque jour à la messe. Oui, le Christ est venu en ce monde pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance [3]. Or la vie — non seulement la vie des âmes, dont le politique a aussi à se soucier, selon l’enseignement de S. Augustin, mais même la vie des corps — est aujourd’hui particulièrement menacée en notre pays. Elle est menacée à ses deux extrémités : depuis 40 ans par la banalisation croissante de l’avortement et aujourd’hui par le projet d’introduction dans la législation française du principe d’euthanasie active et de suicide assisté.
Je m’arrêterai ce matin à la question de l’avortement. Vous le savez, et je reprends ici les termes d’un communiqué récent des AFC, « le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui doit prochainement être discuté à l’Assemblée nationale, a fait l’objet d’amendements en commission qui modifient substantiellement le droit existant en inscrivant l’IVG comme un simple droit relevant d’un souhait et non plus un recours en cas de détresse ». Ce qui répond aux désirs de tout un courant influent et qui constitue un nouveau coup de boutoir contre les protections illusoires dont s’étaient entourée la loi de 1974, protections qui sont pour la plupart restées inopérantes.
Ce nouveau texte a ceci d’inquiétant qu’il consacre le constructivisme libertaire. Nous sommes en plein nominalisme et les récentes déclarations de je ne sais quel ministre dont je tairai le nom le confirment : l’avortement n’est plus un mal qu’on autorise en le déplorant, c’est un bien puisqu’on ose en faire un droit subjectif et opposable. Bref, le subjectivisme de l’individu-roi contre le réalisme de l’ordre naturel voulu par Dieu. La phrase de Sartre n’a jamais été aussi actuelle : « Ce n’est parce que c’est bien que je le veux ; c’est parce que je le veux que c’est bien ».
Nous aboutissons ainsi avec ce texte à une totale négation du réel, d’un réel qui pourtant, avec les progrès de l’imagerie médicale, se fait de plus en plus criant : chacun sait aujourd’hui, en regardant une échographie, qu’un embryon n’est pas une tumeur, un quelconque amas de cellules, mais un être vivant, autonome, miniature de l’adulte qu’il devrait devenir. En affirmant le droit subjectif de la mère à le supprimer, on nie le droit objectif de l’enfant à naître. Comme le soulignent les AFC, « on évacue complètement le fait que l’avortement consiste à arrêter la vie d’un enfant à naître », ce qui revient à le tuer. Or tuer un innocent, cela s’appelle en droit un meurtre. D’où l’indignation dont le Saint-Père s’est fait l’interprète la semaine dernière devant le corps diplomatique à Rome : « Malheureusement, ce ne sont pas seulement la nourriture ou les biens superflus qui sont objets de déchets, mais souvent les êtres humains eux-mêmes, qui sont jetés comme s’ils étaient des choses non nécessaires. Par exemple, la seule pensée que des enfants ne pourront jamais voir la lumière, victimes de l’avortement, nous fait horreur. » Comme l’a dit récemment le ministre espagnol de la justice, « L’avortement n’est pas un droit, l’avortement est un drame, une tragédie personnelle, en premier lieu pour l’enfant conçu privé de son droit à la vie, en second lieu pour la femme et en troisième lieu pour toute la société. » L’avortement est un drame à ce triple niveau. Il tue l’enfant : c’est indiscutable ; il blesse psychologiquement la mère (et parfois aussi le père) : tant d’enquêtes ne cessent de le montrer ; il porte préjudice à la société : on le voit avec la substitution de population préconisée par certains technocrates pour pallier le vieillissement de la population européenne.
Un gouvernement qui nie aussi effrontément le réel et les évidences du droit naturel perd sa légitimité à gérer les affaires de la cité. C’est encore S. Augustin qui le dit, avec tant d’autres, et Benoît XVI l’a rappelé en 2011 au Reichstag à Berlin, citant ce passage du De Civ. Dei : « Enlève le droit, et alors qu’est-ce qui distingue l’État d’une grosse bande de brigands ? » [4] Brigands peut-être diplômés de telle ou telle école qui fait rêver, mais brigands quand même...
Face à ces atteintes sans cesse multipliées aux fondements de l’anthropologie individuelle et sociale qui dérive du droit naturel, faut-il céder au désespoir ? Nous pourrions y être tentés après l’échec, sur le plan législatif, du formidable sursaut populaire de l’an dernier. Nous pourrions y être tentés en constatant l’implacable détermination de ceux qui veulent pulvériser jusqu’aux fondements de notre civilisation européenne. S. Paul nous répond cependant dans l’épître : spe gaudentes, « réjouissez-vous dans l’espérance ». Et le pape d’y faire écho dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium : « Ne vous laissez pas voler votre espérance. » Je citais tout à l’heure l’évangile de S. Jean qui nous mettait en garde devant le conflit entre la paix que donne le monde et celle que donne le Christ. Le Seigneur ajoutait alors, face au conflit inévitable qui durera jusqu’à la fin des temps : « Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » [5]. Des mots peut-être, pourrions-nous penser. Mais des mots qui vont être bientôt gravés pour un temps dans le marbre des lois chez nos voisins d’Outre-Pyrénées. Les mouvements pro-vie espagnols nous montrent comment liberté, imagination et courage peuvent inverser un mouvement que l’on pouvait croire fatal, mettre en échec ce que Jean-Paul II appelait ces « structures sociales de péché » qui nous paralysent autrement si bien. Oui, comme aux États-Unis ou en Espagne, la culture de vie peut faire reculer en France la culture de mort.
Mais cela suppose un investissement de taille. Car l’avortement et l’euthanasie ou d’autres choses semblables ne sont que la partie émergée d’une réalité autrement plus considérable et immergée jusque dans nos cœurs : le matérialisme et le subjectivisme que nous respirons avec l’air ambiant. Matérialisme et subjectivisme qui nous menacent nous aussi, catholiques fidèles au magistère du Verbe de Vie et du Prince de la Paix. Nous le savons et les AFC nous le redisent : « le recours à l’avortement prend naissance en particulier dans des conceptions erronées de la sexualité : seule une véritable éducation affective, relationnelle et sexuelle est susceptible de faire régresser l’avortement et représente l’action efficace de prévention, pour autant qu’on ne l’aborde pas seulement sous un prisme hygiéniste et de consommation de l’autre, mais bien affectif et de relation ». En clair, pour lutter contre ces atteintes multiformes à la vie, il faut favoriser la famille. C’était d’ailleurs le fond du message adressé par le pape François à l’occasion de la journée de prière pour la paix le 1er janvier dernier. Et bien sûr, c’est là que nous retrouvons nos adversaires qui, par exemple, projettent de supprimer le quotient familial et de personnaliser l’impôt sur le revenu...
Assaillis de l’extérieur par les tenants de ces structures de péché qui — heureusement grâce à leur impatience — nous ouvrent les yeux, et assaillis de l’intérieur par notre propre complicité avec ce que le pape appelle la « mondanité », c’est-à-dire l’esprit du monde, c’est désormais à une guerre totale que nous sommes conviés. Nous devons choisir de faire la volonté de Dieu en toutes choses, parce qu’en imitant toujours plus le Christ, nous favoriserons les conditions nécessaires à la régénération de l’ordre social d’abord, de l’ordre politique ensuite. Pour lutter contre l’avortement ou l’euthanasie, il faut d’abord vivre de charité, et de charité concrète. Méditons l’épître de ce matin, relisons ce texte génial : il nous en offre le programme et nous en expose la dynamique. Oui, c’est une civilisation de l’amour, de la charité, que nous devons instaurer par tous les moyens, y compris politiques dans la mesure du possible. Et alors la splendeur du bien ramènera la masse des égarés et confondra la horde des enragés. Et ainsi s’établira sur terre un reflet de cette paix de Dieu à laquelle nous aspirons tous. Paix fondée sur la vérité et la charité.
[1] Cf. Jn 14, 27.
[2] De Civ. Dei XIX, 13, 1.
[3] Cf. Jn 10, 10.
[4] De Civ. Dei IV, 4, 1.
[5] Jn 14, 27.
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