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L’Éducation ou « l’Orgueil de vivre haut » - Les goums

Cette lettre fictive est la dernière d’une série de trois. Vous pouvez retrouver les deux autres ici :

III. Les goums ou l’école des cimes

 [1]

Alors qu’un chef faisait ses adieux à ses scouts dans le premier volet de cette série, un père du scoutisme français entrevoit, dans ce dernier volet, les querelles fratricides. Et déjà il imagine comment dans la veine du scoutisme, un autre modèle serait capable lui aussi de donner les clefs de l’honneur et de la liberté intérieure à des jeunes. Ceux-ci n’ont pas connu l’héroïsme de leurs pères, éduqués à l’École des Roches, mais saisissent déjà l’enjeu d’être un homme dans cette société désordonnée, promise à la vacuité. Ça sera les cimes !

Pâques 1969, Michel Menu, scout devant l’Éternel, embarque quelques jeunes pour un raid dans le Vercors. C’est la genèse de la formidable aventure des Goums.

« Quand une civilisation périclite ou qu’une Église semble à l’agonie, quand un peuple se couche ou capitule devant son destin, ce n’est jamais, quoi qu’on en dise, la morale d’abord qui ’fout le camp’, le civisme ou la Foi qui meurent. C’est toujours, d’abord, l’Homme... qui périclite, se meurt ou capitule ! C’est toujours l’homme, d’abord, qui, par son manque de caractère ou de vitalité, préfère l’hypnose à la lucidité et l’esclavage plus ou moins doré à sa vocation sur-naturelle. Faire des hommes, n’est-ce pas, pour commencer, faire de la bonne santé ? Autrement qu’en discours ou en images de télé ». [2]

Imaginons, dans ce dernier volet, la lettre d’une jeune fille, inscrite à la hâte en goum, à l’attention d’un ami cher.

« Cher Clément,

Je t’écris des Causses de Sauveterre. Je suis seule pour l’heure. Devant moi des étendues de plaines, dont mes yeux réclament la vue dès que je les abaisse sur le papier blanc.

Tout est nouveau pour moi ici. J’ai l’irrésistible impression qu’une enveloppe charnelle s’est séparée de moi. J’ai l’irrésistible impression qu’une paix, méconnue jusqu’ici, s’est emparée de moi. Mais j’ai le désagréable pressentiment que ces joyaux nouveaux voleront en éclats au premier désagrément, une fois ce goum achevé.

Je découvre en enfant la nature, et en adulte la vie de tribu des goumiers. Nous jeûnons la journée, nous contentant d’un bol de riz le matin et le soir, accueillant avec joie ce que les arbres fruitiers daignent nous donner. C’est très troublant de redécouvrir cette pauvreté et la joie qu’elle procure, une fois débarrassée de la vieille crainte de manquer.

La marche est royale. Je n’avais plus senti ce sentiment de liberté intérieure depuis longtemps. Les paysages défilent, et les idées suivent. Parfois plates, comme ces champs qui s’étalent à perte de vue devant moi. Parfois lumineuses, comme ce soleil qui nous assomme. Quand je marche, j’ai l’impression que le monde m’appartient. Les idées vagabondent, l’esprit s’enterre, les idées s’emmêlent avant finalement de trouver prises avec le réel, et de rejaillir tel un nouveau baptême. Quand je marche, la douce expérience de la solitude me rappelle à quel point il est bon d’être seul. Seul entre soi et soi.

Tu sais à quel point les derniers mois ont été difficiles. Et malgré son départ, je n’ai plus goûté à la solitude depuis un temps. Je croyais avoir trouvé définitivement la paix en quittant le chemin de l’église, et voilà que le Bon Dieu me saute au visage, dans le silence de cette marche. Ce silence qui embrasse l’intelligence, et vous oblige à prêter attention à tout ce que vous négligez par ailleurs. Je me dois de voir ici la beauté de tant de journées alignées. La mélancolie est parfaite, la mélodie est jouée, tout s’emballe, et déjà le jour décline dans ce calme, dont nous nous faisons tous les gardiens jaloux.

Nous dormons « à la belle » comme dit le lanceur. En étoile autour d’un feu, qui se laisse mourir sans autre réclame, nous plongeons rapidement dans les bras de Morphée. Si le septième art est une synthèse des six premiers, nul doute qu’une nuit à la belle étoile est la plus agréable des salles de cinémas. Un ciel étoilé, que beaucoup ne verront jamais alors absorbés par les pixels de leurs Excel, apaise enfin les pensées, et clôt la journée.

J’appréhende le retour. Mais je sais que les trésors accumulés sont maintenant semés. La pudeur des goumiers m’a touché. Ces discussions franches, jamais intéressées, et toujours bienveillantes, je les garde à jamais.

Un jeune goumier, l’air un peu assuré, m’a transmis cette citation d’Antoine de Saint Exupéry : « Le véritable voyage ce n’est pas de parcourir le désert ou de franchir de grandes distances sous-marines, c’est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l’instant baigne tous les contours de la vie intérieure ». Ma connaissance de l’auteur se limite à l’immortel Petit Prince, étudié à école primaire, mais je m’étonne qu’il oppose désert et vie intérieure. Si le voyage n’est pas gage de liberté, jamais il ne m’a été donné de goûter plus savoureusement à ces instants de grande vie intérieure que dans ce désert que j’arpente depuis cinq jours déjà.

Et je ne forme qu’un souhait, Clément, avant de te quitter : celui d’un jour partager avec toi, ces moments de liberté, qui seuls manquent à l’appel de notre amitié.

Je t’embrasse,

Joséphine »

Le scoutisme, l’École des Roches, les goums : trois modèles éducatifs qui n’ont eu d’autre ambition que d’inviter de jeunes hommes à jouir, selon le mot du grand Raoul Follereau, de « l’orgueil de vivre haut » !

Foulques de Hilgarde
Cette lettre fictive est la dernière d’une série de trois. Vous pouvez retrouver les deux autres ici :

[1/Illustration de Constance Dechamps/

[2Quatrième de couverture d’Une expérience de liberté, Michel Menu, Ed. C.L.D, 1998, 110 p.

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