L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Il n’est quasiment pas un organe de presse qui n’ait relayé l’information [1] en ce 20 février 2017 : le P. David Gréa, prêtre catholique, curé de la paroisse Sainte-Blandine de Lyon, s’apprête à quitter ses fonctions pour se marier.
Le retentissement que prend l’affaire est, hélas, sans commune mesure avec la banalité de la situation : le P. Gréa n’est ni le premier, ni le dernier prêtre de l’Église à demander à sa hiérarchie (dans le cas présent, son évêque et le pape lui-même, qui a accepté de le recevoir) d’être relevé de la discipline du sacerdoce pour se trouver réduit à l’état laïque. En cela, l’ampleur de la réaction suscitée est trompeuse : elle suggère que l’Église serait confrontée à un cas nouveau, ou qu’elle y répondrait de façon différente.
Tel n’est pourtant pas le cas, à ceci près que le P. Gréa a jugé bon de faire état de sa demande au grand public, par une lettre datée d’hier, et consultable sur le site de l’église de Lyon-Centre. C’est là que la démarche change de dimension, et c’est là le véritable scandale par lequel le P. Gréa a déchu.
Il n’appartient pas en effet, pour ramener le cas à la seule audience qu’il est susceptible d’intéresser, au peuple chrétien de juger de la vie spirituelle ou du for intérieur de l’un de ses membres. Ces domaines éminemment personnels ressortissent exclusivement à la conscience de l’individu dans sa relation à Dieu et, dans les cas où la gravité le justifie, au jugement du ministre du sacrement de pénitence — qui n’agit pas là autrement, en tout état de cause, qu’en qualité d’instrument de Dieu.
Pourtant, le P. Gréa nous laisse-t-il le choix ? En étalant les cheminements de sa conscience et ses états d’âme comme il le fait, il ne saurait, en vérité, attendre autre chose que le jugement, non seulement du peuple dont il a eu charge d’âme, mais de l’Église de Dieu dans son ensemble et — faut-il le préciser au vu des polémiques qui s’ouvrent d’ores et déjà autour de la question du célibat des prêtres — du grand public avec son lot de spécialistes, de chroniqueurs, de théologiens improvisés.
En substance, le curé de Sainte-Blandine nous livre la grande impression que provoque en lui l’amour d’une femme — quel homme n’y serait sensible ? — et en déduit, sans sourciller, que Dieu l’appelle dans la voie du mariage. Il faut lire l’explication dans le texte pour y croire... « Heureux comme prêtre je suis convaincu d’être appelé par Dieu pour ce beau ministère. Il y a quelques temps, j’ai commencé à construire une relation avec une femme avec laquelle je pense que Dieu m’appelle à vivre. Je découvre une joie insoupçonnée qui me semble dans la continuité de ce que j’ai vécu jusque là en me donnant corps et âme à votre service. J’ai souhaité être en vérité avec l’Église en disant ma joie d’être prêtre et mon désir de me marier. »
La démarche du P. Gréa est doublement scandaleuse, au sens que donnent au terme de « scandale » les Saintes-Écritures : l’élément perturbateur de bien qui entraîne au péché [2].
Scandaleuse d’abord, on l’a vu, par son caractère public. En exposant à la vue de tous sa demande à l’autorité ecclésiale et ses motifs, le P. Gréa contourne avec une terrible audace l’ordre que lui a donné l’archevêque de Lyon (prendre « un temps de discernement et de recul »), et s’affranchit par là-même de toute forme d’autorité, voulant faire sa propre volonté et le clamer au monde entier plutôt que de s’exposer en silence à Dieu seul, dépositaire des vœux de son sacerdoce. De quelle autorité peut encore se prévaloir Mgr Barbarin, affronté tout ensemble à l’attention du peuple chrétien, à la presse, au grand public — peut-être, en définitive, à tous excepté Dieu dont le conseil ne se fait que rarement entendre par-dessus le vacarme du monde ? En procédant à cette prise d’otage médiatique, c’est peu de dire que le P. Gréa opère le viol des consciences et se dérobe, sans recours possible, à tout ce que ses vœux lui imposaient de discipline ecclésiastique [3]. Discipline dont les dispositions ressortent à nouveau fragilisées.
En effet, scandaleuse, la démarche du P. Gréa l’est aussi par le contenu de la lettre et ce qu’elle laisse à penser auprès des chrétiens de bonne foi qui, jusque-là, mettaient leur confiance dans leurs pasteurs. En s’exprimant comme il le fait, le curé de Sainte-Blandine ne peut ignorer qu’il touche un grand nombre de croyants : au premier chef ceux dont il eut charge d’âme à Lyon, mais encore, magie de l’information oblige, tout ce que l’Église compte de francophones reliés à internet. Or, ce qu’exprime cette lettre dans son passage-clef (qu’on a cité plus haut) revient à dire que l’état conjugal est, aux yeux de Dieu, un possible prolongement de l’état sacerdotal, et que les deux états peuvent être embrassés consécutivement et dans cet ordre, dans un même service de l’Église.
Cette interprétation, outre qu’elle ne peut certainement pas être reçue d’un prêtre qui a déchu de ses obligations et trouve donc un intérêt personnel à la soutenir, ne tient pas une seconde sauf à considérer la discipline ecclésiastique comme un corpus de règles parfaitement contingentes, autonomes et sans rapport avec le magistère. Or, la discipline découle directement du magistère, et sert une certaine conception de Dieu et du sacerdoce, de laquelle l’Église romaine n’a jamais dévié, depuis les temps apostoliques jusqu’à la lettre du P. Gréa [4].
Sans qu’il soit question d’en développer tout l’argumentaire, il faut ici seulement, à titre pratique, rappeler la grande sagesse d’une Église qui, n’ignorant rien des faiblesses humaines (le Christ n’est-il d’abord venu pour nous en libérer ?), ne s’est jamais, pour autant, défait de la disposition disciplinaire du célibat des prêtres : au contraire, elle l’a progressivement confirmée. Ni les déchirements de la réforme de Luther, ni les railleries du monde, ni la crise des vocations, ni le contre-exemple donné par les églises qui ne sont pas en communion avec Rome et qui ordonnent des prêtres mariés, ni la chute des prêtres (fût-elle secrète ou publique) qui ont abandonné le célibat, n’ont fait varier cette disposition. Sans doute est-ce folie aux yeux des hommes : tout de même que la Croix dont s’est chargé Notre-Seigneur. Sans doute est-ce un scandale pour la raison : l’impudeur du P. Gréa, elle, est scandale pour Dieu. Puisse la retraite où il entre le lui faire comprendre.
[2] Cf. Mt 18, 6-9 : « Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer. Malheur au monde à cause des scandales ! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-les et jette-les loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer dans la vie boiteux ou manchot, que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer dans la vie, n’ayant qu’un œil, que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans le feu de la géhenne. »
[3] À l’image d’un Martin Luther, dont l’œuvre publique, destructrice d’unité dans l’Église, tirait une part déterminante de l’incapacité où était ce moine d’observer la discipline de son état, particulièrement le célibat et la continence qui en découle.
[4] Cf. Lc 14, 26 : « Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple », Lc 18, 28-30 : « Pierre dit alors : Voici, nous avons tout quitté, et nous t’avons suivi. Et Jésus leur dit : Je vous le dis en vérité, il n’est personne qui, ayant quitté, à cause du royaume de Dieu, sa maison, ou sa femme, ou ses frères, ou ses parents, ou ses enfants, ne reçoive beaucoup plus dans ce siècle-ci, et, dans le siècle à venir, la vie éternelle », 1 Cor 7, 20 : « Que chacun demeure dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé ». À la suite de l’Écriture, le concile de Néocésarée de 314-315 affirmera : « Si un prêtre se marie, il sera exclu des rangs du clergé : s’il commet une fornication ou un adultère, il sera de plus excommunié et soumis à la pénitence. »
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