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Il est difficile de se prononcer de manière équilibrée sur l’Europe, dans le contexte politique actuel. Je ne me reconnais ni dans l’européisme progressiste des uns, ni dans les déclarations du genre « la France a plus en commun avec le Vietnam qu’avec l’Estonie ». Ce dernier discours, qui provient souvent de la branche souverainiste jacobine du nouveau Front National, me semble souvent plus abscons encore que les délires modernistes qui résonnent dans les institutions européennes actuelles. Et une étude des événements actuels liés au « Brexit » dans une perspective historique permet de reformer une opinion plus équilibrée sur le sujet.
On cite souvent, surtout dernièrement, les mots Winston Churchill : « Si je dois choisir entre le grand large et l’Europe, je choisirai le grand large ». Loin de moi l’idée de critiquer l’opinion du grand homme, qui se contentait d’observer les termes d’un choix tel qu’il lui apparaissait à un moment donné. Mais certaines interprétations du résultat tout à fait formidable du Brexit, comme elles sont parfois faites en France, poussent la chose plus loin, et tombent en cela dans l’erreur : l’Angleterre n’a pas un « ADN » contraire à l’Europe et au continent, elle n’est pas naturellement, originellement, fondamentalement repoussée par une telle alliance, un tel voisinage. Ces hypothèses farfelues ont souvent pour but de monter qu’il est vain de chercher à construire un projet politique cohérent entre les pays européens, qui n’auraient rien à voir entre eux et aucune perspective commune dans leurs intérêts. Quant à Charles De Gaulle, qui arguait que les intérêts de l’Anglais étaient fondamentalement différents de ceux de l’Europe continentale, il parlait à une époque où l’Angleterre, sur le déclin, raccrochait ses wagons à la super-puissance américaine.
Pourtant, il faut se rappeler que, dans le Haut comme le Bas Moyen-Âge, les îles britanniques furent, à tous les égards, une partie comme une autre de l’espace chrétien, où se déplacèrent des foules innombrables d’évêques, d’abbés, de moines, d’artistes, d’étudiants sans vrais obstacles, et nonobstant les différences linguistiques et culturelles qui existaient déjà, bien évidemment. Les rois normands d’Angleterre eurent des fiefs sur le territoire de ce qui est aujourd’hui la France, et allèrent jusqu’à considérer (ce qui fut longtemps le cas dans leur titulature) la France entière comme une partie de leur domaine, ce qui montre bien qu’il n’y eut jamais à cette époque de véritable distinction radicale entre les deux espaces. Après tout, un banc de mer aussi étroit que la Manche n’a jamais été un obstacle à une certaine forme d’unité. L’Empire romain le prouve bien, qui rassemblait dans un même état des territoires, à la fois bien plus éloignés et bien moins semblables que ne le seraient les contrées européennes toutes chrétiennes, de part et d’autre de la Méditerranée.
De même, et c’est peut-être là qu’il faut commencer à discerner un point de rupture, rappelons-nous que, lors des nombreuses invasions et violations que connurent les îles qui furent le domaine des Celtes à l’aube de notre ère, l’Europe continentale fut toujours le point de chute des indigènes repoussés loin de chez eux [1] : la Bretagne fut peuplée et évangélisée par des Gallois qui fuyaient les Saxons au Ve siècle, la France fut un allié si proche de l’Écosse en butte aux agressions des Plantagenêt que la nationalité fut commune entre ces deux états pendant 250 ans, et, plus tard, comme l’Irlande perdait à la fin du XVIIe siècle les restes de souveraineté que la couronne protestante lui disputait depuis Henri II, les catholiques irlandais rejoignirent la France et, de là, devinrent les agents réputés et célèbres de divers empires continentaux.
Comme on le voit, cette proximité territoriale, civilisationnelle et ultimement politique est elle-même abolie sur le sol même de l’Angleterre en raison de l’intolérance religieuse envers les catholiques, pourchassés depuis la sanglante reine Elisabeth. Isolés par leur volonté propre, les Anglais commencèrent effectivement à se tourner vers le commerce et l’expansion maritime. Voltaire, dans sa lettre sur le commerce, a bien montré l’importance qu’avait d’ores et déjà prise le commerce mondial dans le royaume d’Angleterre. C’est bien là que naît cette spécificité anglaise qu’on voudra qualifier d’identité par la suite, manifestée dans la pensée de John Locke, le précurseur des Lumières individualistes et mondialistes.
Il serait illusoire de vouloir faire de l’Angleterre la seule responsable des maux qui assaillirent l’humanité à la suite de ces développements, de l’anéantissement de peuples entiers aux dommages subis par des civilisations millénaires auxquelles on essaya d’imposer les cultures déjà décadentes de l’Occident. C’est bien plutôt la Renaissance, résurgence de l’âme païenne et de l’hubris antique, qui en est à l’origine. Qu’il nous suffise de savoir que, l’intolérance religieuse couplée à la primauté absolue du pouvoir politique ayant disparu de notre continent, les raisons pour lesquelles l’Angleterre « choisit le grand large » ne sont plus que de lointains souvenirs.
Il ne s’agit pas là, évidemment, d’un plaidoyer pour le retour immédiat de l’Angleterre dans l’Union européenne. Il est bien sûr louable et profitable que ce pays ait le premier claqué la porte de ce projet dangereux et inhumain au-delà des mots, projet dans lequel la France s’enferre depuis si longtemps. A bien des égards, la démence immigrationniste, les scandales répétés de la nourriture mangée à des centaines de kilomètres de là où elle a été préparée, ou la poursuite des intérêts destructeurs de puissances étrangères sont les marques de ce mondialisme profondément misanthrope. Il faut quitter cette union, car toute volonté de la réformer de l’intérieur est une illusion, ou un faux-semblant.
Cependant, le jour où cette nouvelle Babel aura définitivement été foudroyée d’en haut, et qu’il restera à reconstruire un espace européen à échelle humaine, il est évident que l’Angleterre aura un rôle à jouer. Des siècles d’abus et de corruption humaine ont jadis effacé de sa conscience des siècles plus propices, mais, devant la faillite évidente du modèle assoiffé d’or et de pouvoir qu’elle a cru pouvoir mettre à son profit, elle devra se rappeler la place qu’elle a tenue lorsque la civilisation européenne en était encore une. Cette place lui est toujours ouverte, les promesses qu’elle contient d’une modestie prospère et d’une vie humaine équilibrée n’ont jamais disparu.
[1] C’est pour cette raison que l’attachement de l’Écosse et de l’Irlande du Nord à l’Union européenne ne peut être compris seulement en termes de progressisme politique — bien que c’en soit une donnée non négligeable : ces régions, ayant souffert de cet éloignement imposé par l’envahisseur, voient en l’Europe notamment un point d’ancrage pour l’affirmation de leur identité propre.
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