L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Depuis que le parti conservateur Droit et Justice est parvenu au pouvoir en Pologne en novembre 2015, il est devenu de bon ton, chez les élites médiatiques et politiques occidentales, de sauter sur n’importe quelle occasion pour s’essuyer les pieds sur la Pologne. La récente loi mémorielle votée en Pologne a de nouveau donné l’illustration de cette attaque en règle et, une fois de plus, injustifiée. De quoi s’agit-il ? Le gouvernement polonais actuel a fait voter une loi interdisant l’utilisation de l’expression « camps de concentration/ d’extermination polonais », trop souvent présente dans les médias occidentaux, notamment anglo-saxons, mais également allemands. Cette loi prévoit des amendes et des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison pour les personnes qui utiliseraient, de manière fortuite ou intentionnelle, cette expression. Les médias occidentaux, aux premiers rangs desquels les français, se sont élevés unanimement pour condamner cette loi comme étant à la fois liberticide et révisionniste : liberticide car elle empêcherait selon eux les historiens de faire leurs recherches de manière indépendante et sans pression, révisionniste, car elle remettrait en cause la réalité historique de la Shoah. Je ne citerai que les deux des plus grands organes de presse nationaux, qui ont très clairement choisi leur camp, s’agissant de l’analyse de cette loi. Voici ce que déclare le Nouvel Observateur concernant cette loi, qui serait selon lui : « une tentative de ses dirigeants actuels, de prescrire par la loi un récit national revu et corrigé. […] une tentative d’écriture de l’histoire par la loi qui suscite polémiques et divisions. » [1]. De même, le Figaro analyse similairement la situation : « C’est ce que l’on appelle une loi mémorielle. Quand le politique s’immisce dans le débat historique pour imposer sa version des faits. En Pologne, une telle loi est en passe d’entrer en vigueur. » [2]. Ainsi, on reproche au gouvernement polonais d’une part de vouloir imposer une vision idéologique de l’histoire de son pays, d’autre part de nier tout ou partie de la Shoah.
S’agissant de la première attaque, assez grotesque, il suffit de se reporter au texte de la loi en question, que l’on s’est bien gardé de traduire et de publier en entier. La loi en question est en fait une modification d’une loi votée 1998, portant sur la création d’un Institut de la mémoire nationale faisant office de « Commission de poursuite des crimes contre la nation polonaise », dont le but est de mettre à jour, enquêter, comprendre les crimes commis par les occupants nazis et communistes, et éventuellement d’engager des poursuites à l’encontre des criminels de ces régimes encore en vie. Dans les faits, les principaux visés sont les anciens dirigeants communistes polonais. L’institut a énormément fait progresser la recherche historique sur ces questions, mais sa section juridique peine à être aussi efficace que sa section scientifique. La loi controversée de 2018 cherche à perfectionner celle de 1998, notamment en interdisant, sous certaines conditions, l’emploi du terme « camp d’extermination polonais », ce qui est un non-sens historique et qui porte atteinte à l’honneur de l’État polonais. Voici le nouvel alinéa de l’article du texte qui suscite la polémique :
« Art. 55a. 1. Quiconque publiquement et contre les faits attribue à la Nation polonaise ou à l’État polonais la responsabilité ou la coresponsabilité pour les crimes nazis perpétrés par le IIIe Reich allemand […] ou pour tout autre crime représentant un crime contre la paix, l’humanité, ou des crimes de guerre, ou bien diminue de manière évidente la responsabilité des véritables auteurs de ces crimes, est passible d’une amende ou d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans de privation de liberté. […]
2. Si l’auteur du fait évoqué dans le paragraphe 1 agit involontairement, il est passible d’une amende ou d’une peine de prison.
3. L’auteur du fait interdit dans les paragraphes 1 et 2 ne commet pas de crime s’il a réalisé ce fait dans le cadre d’une activité artistique ou scientifique. » [3]
De ces lignes, il ressort clairement qu’on ne saurait parler de tentatives de l’État d’imposer une vision idéologique de l’histoire. Même si l’on considère qu’interdire l’expression « camp de concentration polonais » relève d’une atteinte à la liberté d’expression et à une tentative d’imposer un certain roman national, ce qui n’est évidemment pas le cas puisque cette expression étant contraire à la réalité historique elle ne relève ni de la liberté d’expression ou de recherches historiques, la loi permet l’utilisation de cette expression dans deux cadres précis : l’expression artistique et la recherche scientifique. Les historiens pourront continuer à l’utiliser, et on peut supposer même pour certains dans un sens néfaste pour la Pologne, dans un contexte visant à inventer une coresponsabilité de la Pologne dans le processus d’extermination des Juifs d’Europe. Les seuls domaines visés sont une utilisation de ce terme dans le cadre médiatique, ou une utilisation individuelle de ce terme en public. En outre, on ne saurait accuser cette loi de révisionnisme, voire de négationnisme [4] comme le fait de mauvaise foi le gouvernement israélien [5] puisque l’article en question reconnaît expressément l’existence de crimes contre l’humanité perpétrés par les nazis à l’encontre de la population juive. Mais peut-être que la remise en question de la Shoah englobe également le fait de nier qu’il y ait des responsabilités secondaires très étendues, ce qui frise la paranoïa. M. Netanyahou devrait pourtant faire la part des choses entre nier un crime et s’interroger sur les principaux responsables du crime et les complices éventuels. Dire que la nation polonaise n’est pas coresponsable de la Shoah correspond à du révisionnisme est tout aussi inexact, exagéré et absurde que de traiter quelqu’un de raciste parce qu’il veut restreindre l’immigration, ou insulter quelqu’un de fasciste parce qu’il voudrait un renforcement du pouvoir présidentiel ; c’est pourtant bien ce qui se passe en ce moment ! La question formelle étant résolue, il convient de passer maintenant à l’examen du cœur de la polémique : la question de la responsabilité de la nation et de l’État polonais dans le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. En l’état, cela revient à examiner une question plus vaste, mainte fois posée, celle de « l’antisémitisme polonais ».
Pas plus qu’on ne saurait parler de responsabilité polonaise de la Shoah, on ne saurait parler d’un « antisémitisme polonais ». Derrière cette accusation de révisionnisme, il y a la question de la responsabilité de l’extermination des Juifs. Certains courants politiques et historiographiques [6] ont une interprétation large de la Shoah, processus de destruction prémédité des Juifs d’Europe par les nazis, activement secondés par les gouvernement et/ou les populations des pays occupés ou sous influence du IIIe Reich, quand d’autres en ont une vision plus restreinte. Le gouvernement polonais est de ces derniers. Ainsi, lorsque l’on parle de révisionnisme pour cette loi, on sous-entend en fait que, au-delà de l’expression « camp de concentration polonais », malheureuse ou non, il y a bien une part de responsabilité de la Pologne ou des Polonais dans la Shoah, thèse qui ne tient pas historiquement, mais que certains se sont évertués à prouver [7]. Le scandale d’opérette créé de toutes pièces concernant la loi polonaise est une occasion de plus pour rejouer le coup de l’antisémitisme polonais et de la responsabilité polonaise dans la Shoah. On entend rassembler ici ne serait-ce que quelques arguments pour contrer facilement ces accusations honteuses. On ne s’étendra pas sur la posture héroïque de la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale ; on laissera le soin à d’autres de jouer la carte de la victimisation et de s’abriter derrière leurs monceaux de morts pour justifier leur politique actuelle. [8]
On se doit d’abord d’être honnête : qu’il y ait des historiens ou des hommes politiques non objectifs en Pologne qui veulent faire croire qu’il n’y a jamais eu de problèmes d’antisémitisme en Pologne, c’est l’évidence même. Qu’il y ait eu des Polonais qui, par leurs gestes ou leurs paroles, ont contribué à la Shoah, c’est tout aussi évident. Le peuple polonais, comme tout autre peuple, a ses ombres et lumières. Toutefois, parler de « camps de concentration/d’extermination polonais », c’est méconnaître profondément l’histoire polonaise, et blesser tout aussi profondément les Polonais par une injustice flagrante. Peut-être l’adjectif « polonais » accolé aux « camps de concentration et d’extermination » n’est qu’une manière de situer géographiquement les camps de la mort, mais tel quel il introduit une ambiguïté, car on pourrait comprendre que ces camps ont été construits par la Pologne, ce qui n’a bien évidemment pas été le cas. Alors certes les connaisseurs de l’histoire savent qu’il n’en est rien, mais pour un certain nombre de personnes connaissant peu ou mal l’histoire, et il y en a un nombre malheureusement important, cela pourrait être une hypothèse tout à fait plausible.
Concernant le fond de la question, je pense aussi que quelques précisions sont à apporter. Le débat porte sur l’implication de la Pologne dans la Shoah. Bien souvent, le terme de « responsabilité de la Pologne » dans la Shoah est exprimé de manière vague et, en tous cas, à mon avis, inappropriée. Qu’implique-t-il ? Si on entend par Pologne « l’État polonais », il n’y a aucune responsabilité de cet État dans la Shoah, et pour cause, l’État polonais n’existe plus [9] en tant que tel sur le territoire polonais entre octobre 1939 et juillet 1944. Il est difficile donc d’imputer à cet État une quelconque participation à la Shoah, ni même une aide quelconque, et le gouvernement polonais en exil à Londres n’a pas été, que l’on sache, un fervent partisan du nazisme ni un gouvernement antisémite. J’en veux pour preuve le fait qu’en Pologne a existé pendant la guerre une « Délégation du gouvernement pour le pays », sorte de structure étatique clandestine représentante officielle du gouvernement polonais de Londres. Dans cette structure existait un bureau de l’information et de la propagande qui depuis 1940-1941 rassemblait des informations concernant le sort des populations juives de Pologne, informations précieuses transmises en Occident. À partir de 1942 a été formé, au sein de cette délégation, un « Conseil d’aide aux Juifs ». On peut critiquer sa mise en place tardive, il n’empêche qu’on chercherait en vain pareille institution dans nombre d’autres pays d’Europe à la même époque. L’État polonais semble donc exempt de tout reproche de participation à la Shoah, et si certains États peuvent être critiqués pour n’avoir rien fait face à la Shoah, ce n’est pas le cas de l’État polonais. Des informateurs de l’État clandestin polonais [10] ont fait ce qu’il fallait pour alerter le monde sur ce qui était en train de se passer, et l’État polonais a envoyé une note aux nations alliées en décembre 1942 pour leur demander d’agir pour faire cesser l’extermination.
Le terme de « responsabilité des Polonais » dans la Shoah est lui aussi utilisé. Il est ici étonnant de voir que dans d’autres cas, on est toujours soucieux d’éviter les amalgames et de ne pas faire preuve d’essentialisme, alors qu’ici, par ce genre de formule, on fait peser sur tous les Polonais de l’époque une sorte de responsabilité collective vis-à-vis de la Shoah, comme si tous les Polonais, ou une bonne partie d’entre eux, avaient quelque chose à se reprocher. La réaction de Yad Vashem, qui n’a pas participé à la traque décrétée contre la Pologne, fait ici bien la part des choses en montrant qu’il fallait distinguer selon les cas et que l’on ne pouvait attribuer à tous les Polonais des actes antisémites. Au lieu de parler de « responsabilité des Polonais », comme si on était en présence d’une entreprise nationale polonaise de collaboration, on devrait plutôt parler de « responsabilité DE Polonais, de certains Polonais », dans le processus ayant conduit à la Shoah. La majorité des Polonais pendant la guerre avait bien autre chose à faire que de pourchasser des Juifs. Il y en a eu malheureusement un certain nombre (sujet à débat) qui ont profité de la Shoah pour faire main basse sur les biens des Juifs, voire l’ont facilité dans certains cas en dénonçant les Juifs. Ces aides individuelles sont un fait historique évident, mais l’image d’un « antisémitisme polonais » généralisé est largement exagérée, en tous cas est à nuancer grandement. L’antisémitisme était malheureusement une opinion répandue à l’époque dans toute l’Europe, la Pologne ne faisait pas exception, mais il est loin d’être évident qu’elle ait été dans le peloton de tête... Ce n’est pas en Pologne qu’ont été mis en place des gouvernements de collaboration qui ont livré, souvent volontairement, des Juifs aux Allemands... À entendre certains, on a l’impression que les Polonais ont été unanimement des auxiliaires de l’entreprise d’extermination des Juifs. Les Allemands (pardon les nazis, cette distinction me fait penser que l’on distingue plus souvent Allemands et nazis que Polonais et antisémites) n’avaient pas besoin des Polonais pour accomplir la Shoah. En outre, pour ce qui est des actes antisémites de délation, de persécutions voire d’assassinats perpétrés par des citoyens polonais sur les Juifs, on avance toujours l’hypothèse d’un fond antisémite pour motiver ces actes, sans prendre en compte le contexte dans lesquels ils ont été commis : une guerre terrible, traumatisante pour les sociétés qui la subissent. Les historiens ont étudié en détail les processus de brutalisation de la société, notamment pendant la Grande Guerre, il serait peut-être bon qu’ils se penchent sur la question de manière toute aussi précise pour la Seconde Guerre mondiale. En l’état, il apparaît évident qu’une bonne partie des actes antisémites graves commis par des Polonais pendant ce conflit sont une conséquence de cette brutalisation, et qu’ils n’auraient jamais eu lieu dans un contexte de paix. Il ne s’agit pas ici d’excuser ces actes, mais de rappeler qu’ils relèvent malheureusement d’une des lois de la psychologique humaine ; on ne voit pas, de ce point de vue, ce qui permettrait aux Polonais d’échapper à cette triste loi de la nature humaine. Ce serait faire trop d’honneur aux Polonais que de penser qu’ils puissent s’y soustraire !
On trouve enfin souvent beaucoup de remarques sur le fait que les Polonais, même si l’on considère qu’ils n’ont pas tant aidé les nazis que cela à exterminer les Juifs, ont fait preuve d’une sorte d’antisémitisme passif en ne faisant pas grand chose pour les aider. Il est bien facile de juger à distance, confortablement assis dans un fauteuil ; les personnes qui pensent ainsi ont tendance à ignorer complètement la situation dans laquelle se trouvait la population polonaise à l’époque, et qu’il était bien plus difficile pour les Polonais de pouvoir aider les Juifs que pour les Français par exemple. Tout Polonais aidant les Juifs était exécuté sur le champ, ainsi que toute sa famille proche, et la politique d’extermination culturelle et partiellement physique de l’Allemagne nazie à l’encontre de la Pologne ne donnait pas des conditions idéales pour aider des Juifs. Nombre de Polonais n’avaient pas d’argent pour vivre dignement et se contentaient de survivre, essayant de se battre par tous les moyens pour éviter le sort qui leur était réservé par les nazis : devenir les serfs, corvéables à merci, des surhommes aryens. Ils avaient déjà des difficultés à se nourrir eux-mêmes, leurs familles, leurs enfants ; l’aide apportée à un Juif en danger de mort, quand bien même elle découlait d’un impératif moral lié à la charité chrétienne, butait souvent et avant tout sur des questions matérielles. Cacher une personne pendant de longs mois nécessitait de trouver de la nourriture pour lui, ce qui n’était pas simple. Pour toutes ces raisons, dire que la nation polonaise est antisémite parce qu’il y a eu un certain nombre de Polonais qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont commis des actes antisémites, est non seulement une injustice mais une erreur logique tout aussi cardinale que de dire que la France est une nation antisémite parce qu’elle s’est donnée pour président un homme politique, François Mitterrand, qui dans les années 1930, n’hésitait pas à battre le pavé pour protester contre la surreprésentation des Juifs et autres « métèques » dans certaines facultés…
L’affaire de cette loi mémorielle révèle deux choses : d’un côté la désinformation dont le peuple de France est victime. Comment pourrait-il avoir une vue juste sur l’actualité si la majeure partie des média nationaux relaient des points de vue partisans et en grande partie non fondés historiquement ? Je connais moins les cas hongrois et russes, mais je me dis, au vu de tout ce qui se dit sur la Pologne, que si l’écart entre le discours médiatique et la réalité est aussi grand pour le cas de la Pologne que dans le cas de la Russie et de la Hongrie, et bien ces deux pays, qui pourtant sont allés plus loin que la Pologne dans ce que l’on appelle la « démocratie illibérale » [11] ne sont pas des dangers pour l’ordre géopolitique ou des ferments de fascisme. D’un autre côté, elle montre un deux poids deux mesures certain. On saisit n’importe quel prétexte pour attaquer un gouvernement dont la couleur politique ne plaît pas aux élites occidentales, même si le prétexte est faux et est avant tout politique. Les gouvernements occidentaux intiment l’ordre à la Pologne de ne pas instrumentaliser l’histoire, s’octroyant comme souvent un droit d’ingérence violant au passage la souveraineté de la nation polonaise, mais si par instrumentalisation ils entendent l’interdiction d’employer certaines expressions contraires à la réalité historique, il serait temps qu’ils admettent qu’eux aussi instrumentalisent l’histoire selon leur propre définition, puisque de semblables lois existent en Occident. Pour parler ouvertement : si l’on appuie la loi Gayssot [12] , on doit appuyer aussi la loi mémorielle polonaise, ou alors on se retrouve dans l’incohérence. Ou alors critiquer la loi Gayssot avec la même virulence que la loi polonaise.
Cette nouvelle polémique est une nouvelle erreur géopolitique des gouvernements occidentaux, et notamment de celui de la France, envers les pays d’Europe centrale en générale et la Pologne en particulier. Nous nous coupons d’alliés naturels et potentiellement dévoués, à un moment où la situation internationale et diplomatique des pays occidentaux ne cesse de se dégrader. Attaquer sans raison autre que politique, une fois de plus, un gouvernement démocratiquement élu et qui ne remet pas en cause les principes fondamentaux de la démocratie, ou pas plus que les États occidentaux eux-mêmes, n’aboutira à rien d’autre qu’à pousser encore plus les Polonais dans les bras du parti Droit et Justice, ce qui est contre-productif pour les élites occidentales qui voudraient bien se débarrasser des derniers Mohicans européens dans la lutte contre le libéralisme consumériste, multiculturel et athée. Depuis la mi-janvier, date du début de la polémique, le soutien de la population polonaise envers les conservateurs du PIS a encore augmenté, atteignant presque les 50%, score jamais atteint pour ce parti auparavant. Cette affaire montre également ce qu’est un gouvernement qui a le souci de l’intérêt et de l’honneur national. Un gouvernement qui sait être patriote sans être chauvin, un gouvernement pour lequel le souci de vérité historique ne signifie pas la déconstruction artificielle des mythes nationaux ou la nécessité de se battre la coulpe continuellement. Nos dirigeants actuels devraient s’en inspirer pour leur politique historique, car qu’ils le veuillent ou non, un État neutre sans politique historique est une abstraction théorique. Enfin, cette énième polémique sur la Pologne montre que l’histoire se bâtit à partir de points de vue nuancés et argumentés, et pas à coup de ressentis et de préjugés pouvant tordre la réalité historique et lui donner une interprétation erronée.
[1] Pierre Haski, le Nouvel Observateur, https://www.nouvelobs.com/chroniques/20180205.OBS1743/la-pologne-veut-controler-l-histoire-de-la-shoah-et-poursuit-sa-derive-autoritaire.html consulté le 10/02/2018
[2] Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/international/2018/02/01/01003-20180201ARTFIG00064-pologne-le-senat-adopte-une-loi-controversee-sur-le-genocide-juif.php consulté le 10/02/2018
[3] Changements apportés à la loi du 18 décembre 1998 cités dans : https://wnet.fm/2018/01/31/ustawa-26-stycznia-2018-r-o-instytucie-pamieci-narodowej-komisji-scigania-zbrodni-przeciwko-narodowi-polskiemu/ consulté le 10/02/20.
[4] Le Figaro, art. cit., « Cette loi n’a aucun sens, a dénoncé le premier ministre Benyamin Netanyahou. Et je m’y oppose fermement. L’histoire ne peut être modifiée et nul n’a le droit de nier l’Holocauste. »
[5] On peut faire remarquer à ce propos que nombre de contempteurs de la Pologne, et de fait soutiens de M. Netanyahou, n’hésitent pas à soutenir le gouvernement israélien, qui en termes de politique historique et d’extrémisme va bien plus loin que l’actuel gouvernement polonais. Néanmoins, c’est bien le gouvernement polonais que l’on accuse de dérives autoritaires et qu’on met au ban des nations démocratiques, pas le gouvernement d’Israël que l’on présente comme une démocratie irréprochable.
[6] On pourrait citer les œuvres de Barbara Engelking, éclairant l’étendue des processus de destruction des Juifs à l’échelle d’un district particulier, celui de Varsovie, ou celle de Jan Grabowski, mettant en cause directement de larges pans de la société polonaise dans la destruction de sa communauté juive : Hunt for the Jews. Betrayal and Murder in German-Occupied Poland, Indiana University Press, 2013.
[7] On pense particulièrement à l’œuvre du sociologue Jan Tomasz Gross, qui a suscité de nombreux débats en Pologne concernant l’antisémitisme polonais et l’implication des Polonais dans la Solution finale. Ce sociologue qui se veut historien a notamment popularisé le massacre de Jedwabne, en juillet 1941, à l’occasion duquel des villageois polonais auraient massacré quelques centaines de leurs voisins juifs (le fait est avéré, mais ce sont les circonstances et l’étendue du crime qui posent question), dans le livre Neighbors : The Destruction of the Jewish Community in Jedwabne, Poland, Princeton, Princeton University Press, 2001. Selon les paroles de Norman Davies, plus grand spécialiste étranger de l’histoire polonaise, rapportées par le quotidien Gazeta wyborcza, pourtant plutôt dans la lignée idéologique de Gross, ce livre est particulièrement injuste envers les Polonais. Gross a démontré lui-même le caractère plus idéologique que scientifique de ses assertions en se laissant aller à une déclaration malheureuse, par voie de presse, selon laquelle les Polonais auraient tué pendant la Seconde Guerre mondiale plus de Juifs que d’Allemands, ce qui d’une part est impossible à prouver scientifiquement, et d’autre part est très probablement faux, quand on sait l’implication des Polonais dans la lutte contre le IIIe Reich. Sa réaction est malheureusement très symptomatique de tout un ensemble de chercheurs anti-polonais par principe, et qui commencent leurs recherches avec le présupposé que les Polonais sont antisémites.
[8] Cette remarque ne vise pas exclusivement l’usage politique que certains hommes d’Etat israéliens ont pu faire ou font de la mémoire de Shoah, on pourrait citer d’autres exemples, le mythe des 75 000 fusillés des communistes français pendant la Seconde Guerre mondiale, ou même la tentation, chez certains historiens ou hommes politiques polonais, au demeurant assez minoritaires, de brandir les près de six millions de morts de la Pologne pour couper court à toute mention d’actes répréhensibles de la part de Polonais pendant le dernier conflit mondial).
[9] On renvoie ici à l’intéressant ouvrage de Timothy Snyder, Terres de sang : l’Europe entre Hitler et Staline, Gallimard, 2012, dans lequel l’auteur établit un lien direct entre destructions des structures étatiques et ampleur de la Shoah. Plus les structures étatiques d’un territoire donné ont été détruites, plus la proportion de morts dans une communauté juive nationale donnée est important.
[10] On pense notamment à Jan Karski, diplomate polonais et émissaire de la résistance polonaise auprès du gouvernement de Londres, dont les rapports ont donné aux Alliés une idée déjà bien précise, de la Solution finale, ou Witold Pilecki, capitaine résistant polonais qui s’est fait arrêter spécialement pour être enfermé à Auschwitz pour y organiser une résistance et collecter des informations sur le camp.
[11] Concept de l’histoire politique et géopolitique émergent depuis les années 1990, repris notamment par Viktor Orban dans son discours du 26 juillet 2014 : « Le nouvel État que nous sommes en train de construire est un État illibéral, un État non libéral. Il ne nie pas les valeurs fondamentales du libéralisme comme la liberté, etc. Mais il ne fait pas de l’idéologie un élément central de l’organisation de l’État. Il applique une approche spécifique et nationale. ». cité dans http://geopolis.francetvinfo.fr/la-hongrie-est-elle-la-premiere-des-democraties-non-liberales-en-europe-106171, consulté le 11/02/2018. En d’autres termes, Orban réclame le droit pour le peuple hongrois de s’engager dans une « voie hongroise » de la démocratie, de même que certains pays de l’ancien camp socialiste ont pu tenter de former des expériences nationales du régime communiste. On remarquera que ce n’est pas la démocratie en tant que régime qui est remise en cause, mais une des idéologies avatar de ce régime, le libéralisme.
[12] Loi de juillet 1990 qui prévoit des peines pour négation de la Shoah, entre autres.
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