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Nous ne reviendrons pas sur l’ensemble des condamnations de l’idéologie libérale par l’Église Catholique dont nous avions déjà esquissé l’histoire. Nous nous proposons ici de confronter brièvement à la doctrine sociale de l’Église trois aspects différents du libéralisme : le libéralisme politique, le libéralisme moral et le libéralisme économique.
Pour mieux comprendre la position de l’Église sur le libéralisme, il nous faut aussi aborder en même temps la question du socialisme. Ayant condamné ces deux idéologies, elle tend à concilier à la fois la légitime liberté des personnes et la mise en place d’une véritable solidarité entre ces mêmes individus.
La problématique de la doctrine sociale de l’Église tient à la recherche du juste équilibre entre ces deux extrêmes. D’un coté le socialisme semble poser comme plus haut principe l’Égalité, tandis que le libéralisme proclame l’absolue supériorité de la Liberté.
D’un coté l’Église appelle à ne pas voir dans les “disparités sociales” la source de tous les maux, comme ont pu le faire les communismes. L’égalité absolue est en effet une utopie. A ce sujet, Léon XIII rappelle que « le premier principe à mettre en avant, c’est que l’homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l’élévation de tous au même niveau » [1]. Elle dénonce aussi la dérive de l’état fort qui devient lui-même un loup pour l’homme et appelle à limiter les prérogatives de l’état. Ce qui semble alors la rapprocher de la doctrine libérale et de sa position de ne pas régir tous les aspects de la vie des citoyens.
« Une intervention trop poussée de l’État peut menacer la liberté et l’initiative personnelles. La doctrine de l’Église a élaboré le principe dit de subsidiarité. Selon celui-ci, une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun » [2].
Ce principe pose la question de la juste place de l’état et de la nature des prérogatives que toute société devrait lui accorder. Léon XIII s’est exprimé sur cette question en en donnant très clairement les limites : « c’est une erreur grave et funeste de vouloir que le pouvoir civil pénètre à sa guise jusque dans le sanctuaire de la famille » [3].
Mais il nous faut en même temps condamner le dévoiement de ce principe de subsidiarité. Dans “Pour qu’Il règne” Jean Ousset dénonce l’incohérence des catholiques-libéraux qui adhèrent au libéralisme alors que celui-ci professe pourtant “les immortels principes de 1789”, principes qui proclament entre autre l’indépendance des choses humaines vis-à-vis des choses divines et la soustraction des institutions civiles à la loi religieuse [4].
Il serait en effet singulièrement étrange pour un catholique d’oublier que le principe premier reste Dieu et que le but de l’Église et des catholiques est avant toute chose l’évangélisation des hommes et le chemin du ciel.
Entendons-nous, certains principes invoqués par les libéraux, dont le principe de subsidiarité, sont bons en soi, mais nous devons nous interroger sur les buts de l’idéologie dans laquelle ils s’inscrivent parfois.
Cette question du libéralisme politique appelle nécessairement celle du libéralisme moral. Dans son encyclique Evangelium vitae, le Pape Jean-Paul II condamne “le mythe démocratique” qui veut que la loi émane du consensus des citoyens [5].
Dans Veritatis Splendor, il pose clairement le problème fondamental de l’idéologie libérale : « Dans certains courants de la pensée moderne, on en est arrivé à exalter la liberté au point d’en faire un absolu, qui serait la source des valeurs. C’est dans cette direction que vont les doctrines qui perdent le sens de la transcendance ou celles qui sont explicitement athées » [6].
C’est là que reposent la faiblesse et le danger du libéralisme. En souhaitant s’affranchir de la vérité et en rejetant la question de l’autorité morale, il énonce que la liberté est la garantie du progrès. C’est pour un chrétien oublier la trace du péché originel. La liberté n’est pas seulement orientée vers le bien, elle possède aussi une pente qui dirige vers le mal [7]. Vouloir faire de la Liberté le principe premier qui doit guider nos pas est une aberration pour le christianisme qui ne peut ignorer le poids du péché originel sur la condition humaine et l’inclination de l’homme à y succomber. Ce sont bien ce “sens du progrès” et cette “liberté” qui ont conduit entre autre à autoriser l’avortement, à reconnaitre les unions homosexuelles, et maintenant l’euthanasie.
On ne peut pour autant nier la place accordée à la liberté dans la foi catholique. Il est vrai que sans elle, le chrétien ne peut véritablement traduire la charité en acte, celle-ci étant avant tout une décision volontaire de don de soi à l’autre. De même, l’adhésion à la foi catholique est personnelle et repose sur l’accord individuel de sa conduite avec les enseignements de l’Église, y compris dans sa conduite intime où la société n’a aucune visibilité. C’est d’ailleurs pour la même raison que la conversion à la foi catholique sous la contrainte n’a aucun sens.
Il nous faut cependant rappeler sans cesse que l’enseignement du Christ n’est pas compatible avec le relativisme global. A ce titre, l’on est en droit de se demander si le libéralisme moral ne serait pas ce péril entrevu par saint Grégoire le Grand, quand dans son commentaire du Livre de Job il parle de ces chrétiens qui vers la fin des temps, obéissant à une fausse politique, seraient lâches et timides dans la défense de la vérité et, par une coupable tolérance, se tairaient devant les violations des lois divines et humaines [8].
“L’autorité de l’Église et du Pape peut-elle s’étendre aussi à l’économie ?” s’interrogent souvent ceux qui souhaitent dénier à l’Église tout rôle économique ou politique. Si sur ces questions l’autorité pontificale n’est certes pas infaillible, l’Église s’est prononcée à de nombreuses reprises sur le sujet.
« De même qu’on ne saurait fonder l’unité du corps social sur l’opposition des classes, ainsi on ne peut attendre du libre jeu de la concurrence l’avènement d’un régime économique bien ordonné. C’est en effet de cette illusion, comme d’une source contaminée, que sont sorties toutes les erreurs de la science économique individualiste [...] Il est donc absolument nécessaire de replacer la vie économique sous la loi d’un principe directeur juste et efficace » [9].
Nous voyons bien actuellement les conséquence de cet individualisme dans la logique marchande qui aboutit à la marchandisation du tout, y compris des corps, à travers la légalisation de la prostitution et de la vente d’enfant (GPA).
Par cette déclaration Pie XI dénonce le libéralisme en posant la question de la responsabilité sociale et des dangers de l’individualisme économique. Si l’Église soutient la liberté des moyens économiques employés et dénonce une trop grande régulation de l’état, y compris dans la vie économique (dénonçant par là certaines législations qui sont de véritables usines à gaz), elle avertit que l’état doit cependant garantir que les différents acteurs soient traités équitablement.
L’erreur de bon nombre de libéraux est d’oublier toute morale, d’oublier que si la liberté est souhaitable, elle n’efface aucunement la responsabilité morale de ses actes. Le fameux “marché” n’existe pas, il n’est qu’une somme d’acteurs humains ; des hommes bien concrets dont les décisions doivent êtres pesées en fonction de principes moraux. C’est ce phénomène de déresponsabilisation que l’Église entend combattre, appelant à une moralisation du marché où devraient être appliquées les vertus cardinales que sont la Prudence, la Justice, la Force et la Tempérance [10].
Ce n’est donc pas le “libre marché” ou la liberté qui sont en soi condamnés par l’Église, mais la volonté qu’ont tant de “capitalistes” et de “libéraux” à vouloir émanciper cette liberté de toute vérité et de toute morale au lieu de l’y subordonner.
[1] Léon XIII, Rerum Novarum
[2] Catéchisme de l’Église Catholique, N°1883
[3] Léon XIII, Rerum Novarum
[4] Jean Ousset, Pour qu’Il règne, p.292-323.
[5] Abbé Guillaume de Tanoüarn, "La doctrine sociale de l’Église face au libéralisme" dans Aux sources de l’erreur libérale : pour sortir de l’étatisme et du libéralisme, Édition de L’Âge d’Homme, 1999, p.107-116.
[6] Jean-Paul II, Veritatis Splendor.
[7] Jean Ousset, Pour qu’Il règne, p. 296.
[8] Jean Ousset, Pour qu’Il règne, p.297.
[9] Pie XI, Encyclique Quadragesimo anno, N°95.
[10] Benoît XVI, encyclique « Caritas in veritate » : « L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique d’abord doit aussi prendre en charge. »
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