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La question n’est pas nouvelle : nous recensons, tout au long des siècles, différentes personnalités critiquant un souverain pontife. Il s’agit de figures plus ou moins importantes, et pas toujours hérétiques ou schismatiques comme un Photius ou un Michel Cérulaire. L’on trouvait encore en France, sous la Restauration, un évêque méridional « gallican » assez tempétueux pour affirmer qu’il n’accorderait pas même au pape le droit de confesser ses ouailles françaises si ce dernier osait s’aventurer dans son diocèse…
Alexandre Marie n’en est pas là ; loin s’en faut. En revanche, son essai – rapide à lire – qu’il a publié chez les Éditions du Sel l’an passé n’en est pas moins une accusation (c’est donc une analyse à charge) contre le Saint-Père actuel – ou, plus précisément, contre plusieurs de ses actes et paroles. Goûtez déjà le titre de l’ouvrage : L’Étrange pontificat du pape François [1]. Paru à l’occasion du premier anniversaire de pontificat de François – élu le 13 mars 2013 et intronisé le 19 mars, jour de la Saint-Joseph –, ce livre fait office de pavé jeté dans la mare, pouvant relancer des débats aussi passionnés que dangereux – ou salutaires ? Que l’on soit pourfendeur ou défendeur du pape, ou tout simplement indifférent à toute joute de ce type, la lecture de cet opus est intéressante à différents points de vue et nous renseigne sur de nombreux dires et gestes (que d’aucuns apprécieront quand d’autres les réprouveront) du pape François.
Le bilan de sa première année de pontificat, année programme pour toutes les suivantes, prenant la forme d’un véritable réquisitoire, est dressé en cinq parties correspondant à cinq thèmes précis :
À cela suit un article, publié à l’automne 2012 dans la revue Le Sel de la Terre (n° 86), portant comme titre : « Les fausses lumières d’une foi dénaturée. Réflexions sur l’encyclique Lumen Fidei ». Il y est question de la définition de la « foi », notamment depuis Vatican II. Nous ne parlerons cependant point ici de cet article placé comme en annexe. Le tout est préfacé par un père dominicain [2]. Précisons qu’il n’y a nul sédévacantisme dans ce vaste exposé : il n’est jamais question de mettre en doute la réalité et la validité du pontificat de François, malgré l’inédit du titre de « pape émérite » porté par Benoît XVI !
Certains faits évoqués par l’auteur sont déjà connus du grand public – notamment l’affaire de l’entretien accordé au journaliste Eugenio Scalfari – mais pas tous. Les citations sont nombreuses, ce qui n’est pas sans donner un aspect percutant aux arguments déployés… Nous devons avouer que certains éléments ne sont pas très rassurants et ont ballotté, au moins un instant, notre conscience.
Le tout relance un débat difficile à mener et à alimenter, surtout si l’on souhaite rester sur la voie du salut. Tout un chacun, ou presque, connaît cette célèbre sentence de saint Thomas d’Aquin, l’ineffable Docteur angélique : « Remarquons toutefois que, s’il y avait danger pour la foi, les supérieurs devraient être repris par les inférieurs, même en public [3]. » Mais est-il véritablement légitime de critiquer un souverain pontife dans l’exercice de sa charge ? N’y aurait-il pas là injure à l’encontre du pape François ? Désobéissance ? Ne serait-il pas préférable, au moins, d’attendre sa mort – même si l’exemple du procès cadavérique n’est pas très délicat ni enviable…– ? Ou d’utiliser d’autres moyens, plus cordiaux et filiaux ?
Proclamé à l’occasion du premier concile du Vatican, à la fin du XIXe siècle, même si réel depuis le premier pape de l’histoire [4], le dogme de l’Infaillibilité pontificale apparaît comme étant la problématique principales ressortant de cet ouvrage très particulier. Jusqu’où va ce dogme ? Peut-on faire preuve d’esprit critique, jusqu’à friser l’acerbe, vis-à-vis de tout ce qui n’est pas de son ressort ? Peut-on faire une distinction entre le François-pape infaillible et le François-homme faillible sans tomber dans les errements libéraux d’un Lamennais prétendant faire une distinction, en son temps, entre un Grégoire XVI-pape et un Grégoire XVI-homme ? Ou la distinction à faire est-elle entre la personne privée et la personne publique du Saint-Père ? La critique est-elle, au contraire, un devoir ?
Aujourd’hui, ce ne sont plus de maigres billets qui sont écrits contre le pape François, mais des livres qui sont imprimés et distribués en librairie. D’où cela vient-il ? Qu’y faire ? Qu’en penser ? Ne sommes-nous pas irrémédiablement brouillés en la matière par les interférences des médias ?
Doit-on être indifférent face à tout cela ? Doit-on voir cette liberté d’expression d’un bon ou au contraire d’un mauvais œil ? Faudrait-il plutôt, par vertu de prudence, n’en point parler du tout ? Cette dernière position pourrait être proche de la pusillanimité : posons-nous au moins ces questions… Ne pas le faire serait une faute, une politique de l’autruche nécessairement fatale au bout du compte.
[1] Le titre répond à deux autres publications : L’Étrange théologie de Jean-Paul II et l’esprit d’Assise par le professeur Johannes Dörmann (chez Clovis-Fideliter, semble-t-il épuisé) et L’Étrange théologie de Benoît XVI. Herméneutique de continuité ou rupture ? par monseigneur Tissier de Mallerais (aux Éditions du Sel).
[2] Voici de larges extraits empruntés à cette préface introductive :
« Après le concile Vatican II, l’Église est entrée dans le domaine de l’étrange.
Étrange fut le Concile, car il n’a pas voulu être comme les conciles précédents un concile dogmatique, mais un concile pastoral. Refusant de définir des dogmes, il n’a pas bénéficié de l’infaillibilité. Ses enseignements sont une suite de longs sermons étranges et ennuyeux.
Il faut connaître l’histoire du Concile pour voir comment ce fut l’occasion pour une minorité soutenue par les papes conciliaires d’imposer à l’Église une "nouvelle théologie". Le but étant d’adapter l’Église au monde moderne issu de la Révolution et inspiré par la franc-maçonnerie.
Les deux premiers papes postconciliaires (si l’on excepte l’éphémère pape Jean-Paul Ier) se sont occupés de propager cette doctrine conciliaire. Cela a donné l’étrange théologie de Jean-Paul II analysée par le professeur Johannes Dörmann, puis l’étrange théologie de Benoît XVI décrite par Mgr Tissier de Mallerais.
Mais, comme les actions suivent les pensées, nous avons maintenant l’étrange pontificat du pape François. Le pape François est le premier pape qui n’a jamais célébré la messe traditionnelle, qui n’a pas connu, du moins comme prêtre, l’Église d’avant le Concile (il a été ordonné prêtre en décembre 1969). Il applique donc le Concile franchement, sans arrière-pensée, dans les faits. Il n’y a pas vraiment de hiatus entre le pape François Ier et ses prédécesseurs. Simplement il applique leur pensée.
Remarquons que l’épithète "étrange" ne signifie pas ici quelque chose d’inattendu et d’incertain. La crise actuelle dans l’Église n’est pas inattendue : elle a été annoncée par la sainte Écriture et les papes nous ont prévenus en publiant les projets des sociétés secrètes. »
[3] Saint Thomas d’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae, q. 33, a. 4, ad. 2.
[4] C’est un exemple typique du « développement de la foi » si cher à la théologie du cardinal John Henry Newman.
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