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Jean-Marie Le Méné : « La pensée transhumaniste considère que l’homme est une expérience ratée »

Président de la Fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné vient de publier Les premières victimes du transhumanisme. Il a bien voulu répondre aux questions du Rouge & Le Noir.

R&N : Quelle est la place de l’existence humaine dans la pensée transhumaniste ?

Jean-Marie Le Méné : La pensée transhumaniste prétend justement dépasser l’existence humaine. Elle considère que l’homme est une expérience ratée. Il faut donc aller au-delà. Le transhumanisme repose sur deux principes : la convergence et la singularité. Le premier fait le constat que les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives (NBIC) convergent dans la direction d’une « augmentation » de l’homme. On parle alors de l’homme « augmenté » comme d’une finalité à atteindre. Le second principe, plus fumeux, annonce une sorte de Grand Soir où l’intelligence artificielle aura pris le pas sur l’intelligence humaine et où l’homme aura basculé dans une nouvelle espèce.
Il s’agit d’une vision à la fois matérialiste (l’homme réduit à la somme de ses composants) et évolutionniste (l’homme travaille à remplacer la sélection naturelle par la sélection artificielle dont il est lui-même l’architecte).

R&N : Dans un monde où la vie n’a pas le droit à l’erreur, quelles différences voyez-vous dans le vécu des familles que vous rencontrez à travers la fondation Lejeune ?

Jean-Marie Le Méné : Il est évident que cette pensée transhumaniste est loin d’être totalement mise en œuvre et qu’elle ne le sera jamais complètement car elle contient une grande part de fantasme. Mais, pour autant, elle imprègne déjà bon nombre de pratiques et de comportements. Elle sert à justifier toute transgression et c’est cela qui est le plus dangereux. Faute de pouvoir réaliser tout de suite l’homme « augmenté », on commence par se débarrasser de l’homme « diminué » par des politiques clairement eugénistes et de sensibilisation à l’euthanasie.

C’est le cas de la politique de dépistage de la trisomie 21 qui a réussi la performance d’éliminer la quasi-totalité d’une population stigmatisée par son génome. Des résultats de laboratoire positifs conduisent à la mort provoquée dans 97 % des cas. De ce fait, l’existence pleinement humaine des familles qui accueillent un enfant différent est niée ou dévalorisée. Il devient même impossible de leur reconnaître le droit au bonheur – un bonheur qui est pourtant bien réel - pour ne pas culpabiliser les femmes qui ont recouru à l’avortement de leur enfant trisomique. Je le raconte dans mon livre avec l’épisode du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui s’oppose à la diffusion de la vidéo « Dear future mom  ».

R&N : Vous parlez des “premières victimes du transhumanisme” ? Quelles seront les prochaines victimes ?

Jean-Marie Le Méné : A la suite des enfants trisomiques, il y a déjà beaucoup d’autres victimes du transhumanisme, ce sont tous les enfants qui sont supprimés avant la naissance en raison de leur handicap. Ce sont aussi tous les embryons éliminés par le diagnostic préimplantatoire dans le cadre d’une PMA, ceux qui sont congelés, ceux qui sont considérés comme surnuméraires et donnés à la science pour servir de souris de laboratoire comme ceux qui sont fabriqués spécialement pour la recherche depuis le vote de cette disposition dans la loi santé.

Avec un diagnostic de plus en plus précoce, exhaustif et bon marché en début de grossesse, avec l’absence de régulation de la médecine puisque ce diagnostic interviendra dans le délai légal de l’IVG, c’est-à-dire à un moment où la femme peut demander l’avortement sans justification, c’est le marché qui fera la loi. Le ventre des femmes est devenu un magasin sous surveillance où l’on peut enlever des enfants indésirables pour n’y introduire que des enfants désirés. Il suffit d’utiliser – au bon moment – le marketing de l’angoisse de l’enfant imparfait ou celui de la promesse de l’enfant parfait.

R&N : N’est-on pas avec les « contrats d’objectifs d’IVG » en train de passer de la simple revendication d’un « droit » à la volonté qu’il y ait des avortements ? Quelle attitude de nos gouvernements préside à cette évolution ?

Jean-Marie Le Méné : Le féminisme considère l’avortement comme une étape quasiment nécessaire pour devenir une femme. La caractéristique de la femme n’est plus d’accueillir et de donner la vie mais d’être capable de la refuser et même de l’ôter sans rien demander à personne, dans un concert de louanges de la part de la pensée dominante. Comment interpréter autrement le vote par l’Assemblée nationale d’un texte qui proclame que l’avortement est un « droit fondamental » ? Il ne reste plus qu’à l’inscrire dans la Constitution. Comment interpréter autrement le fait que la ministre de la santé se tatoue l’avortement sur le bras ? Les quotas d’avortements dans les hôpitaux sont une abomination que l’opposition n’avait même pas remarquée dans le projet de loi puisque c’est la fondation Jérôme Lejeune qui l’a signalée aux parlementaires. Il faut ajouter que l’opposition n’a même pas été capable de soumettre cette disposition à la censure du Conseil Constitutionnel ni dans la saisine de l’Assemblée, ni dans celle du Sénat …

R&N : Y-a-t-il une volonté du gouvernement, à travers ses récentes campagnes de communication, de faire de la parole sur l’avortement une chasse gardée ?

Jean-Marie Le Méné : Non, l’avortement est le « tabernacle » des valeurs républicaines dans l’ensemble du champ politique puisqu’il est autant vénéré par la gauche que par la droite. La gauche va simplement plus vite que la droite qui, de toute façon, ne s’y oppose pas.

Certes, la gauche utilise l’avortement comme thème de rassemblement identitaire. Mais la droite n’est pas en reste comme on l’a vu au cours des élections régionales. D’Estrosi à Sarkozy, la défense du planning familial – et donc du militantisme en faveur de l’avortement – a servi de panache blanc aux Républicains.

R&N : Quelles seront les conséquences de la création du nouveau régime plus « libéral » de recherche sur l’embryon ?

Jean-Marie Le Méné : Désormais, la grossesse est entrée dans le champ de l’expérimentation. L’implantation utérine « expérimentale » est envisagée. On accepte l’éventualité du développement in utéro d’un enfant dont la viabilité ou la normalité sera compromise. Ces manipulations pourront être destructrices de l’embryon mais aussi donner lieu à des corrections génétiques dans le but d’« augmenter » l’embryon.

Il s’agissait en réalité de donner une base légale à un décret du 11 février 2015 qui avait créé un nouveau régime de recherche sur l’embryon. Ce décret sur la recherche biomédicale dans le cadre d’une PMA précisait qu’elle pouvait être menée sur les gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant son transfert à des fins de gestation. Mais ces dispositions permettaient de créer des embryons pour la recherche (et non pas seulement d’utiliser des embryons surnuméraires) et de les implanter, ce qui n’est pas autorisé par la loi. Il était évident que le décret était illégal et que seul le législateur avait compétence pour instaurer un tel régime. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait l’exposé des motifs de l’amendement : « Les dispositions existantes en matière de recherches biomédicales ne pouvaient, à elles seules, servir de base légale au dispositif réglementaire de recherches biomédicales en AMP [1]. Il (le Conseil d’État) a considéré que les recherches de cette nature devaient être expressément prévues par le législateur ».

La Fondation Jérôme Lejeune avait vu le coup venir. Avant la loi santé, elle avait déféré le décret de février 2015 devant le Conseil d’État en demandant son annulation pour illégalité. Recours qui sera gagnant mais inutilement. La complaisance des institutions françaises pour les « illégalités fécondes » nous fait faire un pas de plus vers le transhumanisme.

R&N : Vous présidez la fondation Lejeune depuis 20 ans, quel bilan en tirez-vous ?

Jean-Marie Le Méné :La fondation Lejeune a créé la plus importante consultation d’Europe sur le handicap mental d’origine génétique, elle est le premier financeur français de la recherche sur la trisomie 21, elle a lancé les premiers essais cliniques.

La fondation mène une course de vitesse contre le transhumanisme, chaque jour elle en accueille les rescapés et cherche à en épargner de nouvelles victimes.

La tâche est urgente et l’espérance aussi …


[1Assistance Médicale à la Procréation

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