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Cet entretien est divisé en quatre parties :
En voici la première partie.
R&N : Dans quel contexte le christianisme devient-il religion établie dans l’Empire romain ?
M. De Jaeghere : Lorsque Constantin se convertit au tout début du IVe siècle, le christianisme est présent depuis près de trois siècles dans l’Empire romain, mais il y est encore extrêmement minoritaire. Il a été persécuté sporadiquement (par Néron, Domitien, par les empereurs du IIe siècle, puis au milieu du IIIe siècle par Dèce et Valérien), toléré à d’autres moments (notamment pendant ce qu’on a appelé la petite paix de l’Eglise, entre 259 et 302). Il a fait l’objet au tout début du IVe siècle, sous Dioclétien et les tétrarques, d’une persécution générale particulièrement sanglante (302-312), les empereurs s’étant convaincus que les malheurs de l’empire manifestaient la colère des dieux devant l’ « athéisme » (c’est leur expression) des chrétiens que leur foi avait conduit à cesser de leur rendre les sacrifices qui leur étaient dus. Le christianisme est présent surtout en Orient, notamment dans les villes. Paul Veyne et Pierre Chuvin estiment qu’entre 5 à 10 % de la population était alors chrétienne. Constantin ne pouvait, dans ce contexte, aucunement songer à imposer le christianisme comme la religion exclusive de son empire. Il va seulement lui donner droit de cité en proclamant en 313 que chacun pourrait désormais embrasser la religion de son choix, les païens comme les chrétiens. Cette mesure n’en était pas moins révolutionnaire, car la liberté religieuse était jusqu’alors inconnue. La religion était à Rome l’un des fondement de l’Etat. L’empereur était grand pontife, et les titulaires des sacerdoces étaient des magistrats. L’exercice du culte était considéré comme un devoir civique. Il y avait confusion complète de la communauté religieuse et de l’Etat.
R&N : Cette confusion faisait elle jusqu’alors de l’empire romain un Etat totalitaire ?
M. De Jaeghere : Potentiellement, oui, et il est dénoncé comme tel par l’Apocalypse de saint Jean dans le contexte de la persécution de Domitien, à la fin du Ier siècle. Mais il ne l’a pas été, en pratique, car (en dehors de courtes périodes), il ne s’est pas attaqué à la liberté de croire ou de ne pas croire, et il a toléré très libéralement une grande pluralité de religions sur le territoire soumis à sa domination.
Il faut en effet garder présent à l’esprit que la religion romaine est une religion sans dogmes : les croyances sont libres, elles relèvent de la philosophie personnelle de chacun. L’objet même de la religion n’est pas de donner au fidèle un accès à la vie éternelle (César, qui était grand pontife, nia l’immortalité de l’âme devant le Sénat), ou de nourrir sa vie morale ou spirituelle. Elle est de concilier à la Cité, à Rome et à l’empire la faveur des dieux du paganisme. Les dieux sont perçus comme des puissances imprévisibles, qui peuvent éventuellement se révéler maléfiques. Ils manifestent leur colère par les tremblements de terre, les tempêtes, les sécheresses, les épidémies, les famines ou les défaites militaires ; leur faveur par des bénédictions toutes temporelles, le succès à la guerre, les récoltes abondantes, la prospérité matérielle. Il faut donc se les rendre favorables par l’exercice d’un culte. Celui ci fait partie des obligations du citoyen romain. De même qu’il doit défendre sa patrie sur le champ de bataille, participer à la vie publique sur le forum, il doit sacrifier aux dieux pour que ces derniers accordent à Rome leurs bénédictions. Cela fait, on se moque de ce qu’il en pense. On lui demande de « faire » (des actes cultuels), on ne lui demande pas de « croire ».
Si l’Empire romain se présente comme une confédération imposée par la force, il a eu en outre l’habileté de maintenir une assez grande autonomie des cités qui la constituent, et notamment une autonomie religieuse. Le peuple romain ne voit aucun inconvénient à ce que les peuples qui composent son empire aient leurs dieux propres. Il ne demande aucune exclusivité pour les siens, et il lui est arrivé, plus d’une fois, d’adopter lui-même des dieux étrangers. Ce qu’il exige, c’est qu’on rende partout des sacrifices pour sa conservation. Mais cela, il l’exige absolument.
[1] Michel DE JAEGHERE, Les derniers jours : la fin de l’Empire romain d’Ocident, Les Belles Lettres, Paris, 2014, 656 p.
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