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R&N : Vous vous êtes récemment rendu à Moscou [1], à l’invitation de la Fondation russe pour la paix, accompagné de seize parlementaires. Que retirez-vous de ce voyage diplomatique ; les Russes sont-ils favorables au retour du dialogue avec le Gouvernement français ?
Nicolas Dhuicq : Nous avons abordé plusieurs thèmes au cours de ce voyage : la Syrie et l’Ukraine ont été deux sujets prédominants de cette rencontre. En ce qui concerne les Russes, ils ont toujours été favorables au dialogue ; l’amitié franco-russe est ancienne et quoique nous ayons oublié le caractère historique de ce passé, nous avons beaucoup de points communs avec la Russie. Il est nécessaire que la France poursuivre son partenariat avec la Russie. En termes géopolitiques, cette relation est primordiale : l’Allemagne, forte puissance industrielle, doit se voir proposer un adversaire sur ce terrain. Dans le domaine économique, la France a besoin des matières premières présentes en Sibérie ; nous ne pouvons laisser ce marché aux seules mains de la Chine, partenaire économique puissant de la Russie.
R&N : Le 21 décembre, l’Union Européenne a prolongé de six mois ses sanctions économiques contre la Russie, estimant que l’organisation d’élections dans les territoires « séparatistes » était une nécessité avant d’envisager une levée des sanctions. En tant que secrétaire du groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée Nationale, que pensez-vous de cette mesure ?
Nicolas Dhuicq : Le gouvernement actuel de l’Ukraine est totalement corrompu ; la grande manipulation, stratégie américaine basée sur les axiomes du Grand Echiquier de Brzezinski, nuit actuellement à l’image de la Russie sur le terrain ukrainien. Même projet, en somme, que par le passé, lorsque les empires centraux, allemands et austro-hongrois lors de la première guerre mondiale, tentaient d’isoler l’Ukraine de la Russie pour l’empêcher de devenir une grande puissance… Ce désordre qui règne dans le gouvernement est un sujet d’inquiétude majeur pour tout diplomate.
Ces sanctions relèvent de l’erreur économique majeure : la France en paie déjà le prix fort. Les agriculteurs sont les premières victimes de celles-ci. On peut estimer à près d’un millions deux cent mille emplois perdus par l’Union Européenne le coût des sanctions. Nous perdons énormément de parts de marché en Russie, tandis que d’autres puissances, notamment les Américains, n’hésitent pas à perpétuer leurs transactions commerciales avec elle. C’est là tout le paradoxe : comme nous l’ont confié les entrepreneurs français en Russie, les banques françaises ne subviennent plus à leurs demandes de prêt, du fait des pressions exercées par les banques américaines. En Italie, Matteo Renzi a également subi un chantage monumental de la part des Etats-Unis. Ces sanctions ne font que pousser la Russie dans les bras d’autres acteurs du marché, comme l’Amérique Latine ; en les prolongeant, l’Union Européenne n’assume pas son indépendance.
R&N : Lors de votre passage à Moscou, vous avez plaidé pour la levée de l’embargo contre la Syrie [2] Quelle était la raison de ce plaidoyer ?
Nicolas Dhuicq : J’essaie effectivement de faire cesser cet embargo sur la Syrie. Cette mesure est totalement stupide ; lors de mon voyage au Proche-Orient, j’ai rencontré des médecins qui nous ont avoué leur impuissance à soigner des enfants victimes des bombardements. En cause : l’absence de médicaments suffisants du fait de l’embargo.
L’intervention russe a été salvatrice et a permis un retour de la souveraineté aérienne en Syrie. En outre, le déploiement des systèmes anti-aériens de théâtre type Sam-400, triumph pour les Russes, a changé la donne géostratégique.
Je souffre beaucoup de la position française dans ce conflit ; abandonnant toute position gaullienne, elle n’est pas intervenue comme elle l’aurait dû. Et pourtant, nombreux sont les ressortissants francophones là-bas ! En Syrie, la guerre se gagnera par l’intervention au sol ; il faut donc soutenir les troupes non islamistes, c’est-à-dire les troupes gouvernementales. Ensuite, il en ira aux Syriens de décider quel régime devra prédominer ; ce n’est en aucun cas à l’Occident de le leur imposer.
R&N : Croyez-vous, à l’instar de l’ambassadeur de Russie en France, S. Exc. Alexandre Orlov [3] qu’une « vaste coalition internationale contre l’État islamique et les autres groupes terroristes en Syrie - tout en préservant l’État syrien », soit encore une solution politique envisageable ?
Nicolas Dhuicq : C’est la seule position rationnelle. Elle est cependant contrecarrée par deux facteurs, dont l’Occident oublie les tenants et les aboutissants.
Dans un premier temps, une géostratégie américaine plébiscitant une redéfinition des cartes du Proche-Orient en faisant sauter les États laïcs qu’étaient l’Irak et la Syrie pour redessiner une carte fondée sur des critères ethnico-religieux. Il ne faut pas oublier le caractère éminemment laïc de l’état syrien avant que n’éclate le conflit. Tous les Syriens que j’ai pu rencontrer à l’issue de mon séjour en Syrie m’ont pourtant bien souligné la primauté de l’identité nationale syrienne : qu’ils optent pour une vocation confessionnelle ou non, ils sont syriens avant d’être « religieux ».
Les monarchies pétrolières du Golfe constituent le deuxième obstacle à la constitution d’une coalition internationale. Le Wahhabisme [4] qui en est la doctrine, est une secte redoutablement intégriste et dangereuse. Toutes les mosquées issues de ses principes, y compris en France, véhiculent ce poison. La tentative saoudienne de créer une pseudo coalition constitue ni plus ni moins qu’une manœuvre de diversion. Ces monarchies, qui n’hésitent pas à décapiter en public des individus pour des motifs « religieux », n’ont en fait qu’une crainte : le retour de l’Iran sur la scène internationale. Et c’est sous la pression de ce genre d’États [5] que la France perd des marchés en Iran (sanctions contre Peugeot,…).
R&N : À l’issue de son dernier communiqué du 27 décembre 2015, Abu Bakr al Baghdadi a pourtant appelé l’État islamique à se soulever contre l’Arabie saoudite et Israël [6] Que pensez-vous de cette condamnation, qui survient alors même que l’Arabie saoudite est souvent jugée complaisante envers le groupe terroriste ?
Nicolas Dhuicq : L’Arabie saoudite reste complaisante, malgré cet appel. Ce pays est doté d’un système complexe, qu’il ne faut pas juger de manière monolithique. Au sein des familles gouvernantes, des mouvances contradictoires existent. De nature tribale, il n’est pas raisonnable d’envisager ce pays à l’image d’un État-nation européen. L’État Islamique a prospéré à l’origine grâce à de l’argent venu du Golfe, pour empêcher l’Iran d’accéder à une place politique importante sur la scène internationale. Au même titre que les services secrets américains avec Ben Laden, l’Arabie saoudite a contribué à créer l’État Islamique : maintenant, leur créature leur échappe.
R&N : À l’échelle nationale, la lutte contre le terrorisme engendre des polémiques, notamment en ce qui concerne la déchéance de la nationalité pour les bi-nationaux. Que pensez-vous de cette réforme ? Était-il nécessaire de l’inscrire à l’échelle constitutionnelle ?
Nicolas Dhuicq : Je suis favorable à cette réforme, toute symbolique soit-elle. Il est nécessaire de connaître d’abord sa propre culture avant de s’ouvrir aux autres. Le relativisme adopté actuellement, véritable « monde gris », est en partir à l’origine des actes de violences. En cette période de confusion, il est important de rappeler nos origines ; cette réforme a donc un rôle structurant. Loin d’être défavorable à la bi-nationalité, il me semble normal de déchoir de sa nationalité un individu voulant détruire le pays qui l’a nourri. Faire le contraire, c’est donner à l’adversaire un signe de faiblesse, faire de la France un pays colonisable.
R&N : Il semble émaner en Russie un véritable réveil de la Foi orthodoxe ; cet éveil est-il une réponse à apporter à la civilisation européenne — voire française ?
Nicolas Dhuicq : On ne peut émettre cette idée sans connaître l’Histoire. Le facteur le plus marquant de l’Histoire du continent européen est l’invasion mongole du XIIIe siècle [7], à l’issue de laquelle la Russie a sauvé l’identité européenne. La Foi orthodoxe est liée à la nation russe ; elle a permis aux hommes de se considérer comme des êtres libres et pensants, et non plus comme des simples sujets. La reconquête russe sur les Mongols islamisés s’est faite en lien avec cette foi, apportant une certaine unité au sein d’une patrie russe multipolaire (populations slaves, baltes, finno-ougriennes, voire iraniennes,…). D’où cet inextricable lien entre la Foi et la patrie russe.
À l’Ouest la grande question est aujourd’hui le manque de transcendance. L’individu se trouve atomisé, isolé, coupé de ses racines. On veut en faire un être autonome et sans Histoire. Pourtant, il est possible de retrouver cette transcendance, tant auprès des laïcs comme Michel Onfray par exemple, que parmi les instances religieuses. Dans les deux cas, cette transcendance permettra de retrouver le sens du dépassement de nos destinées individuelles.
[1] Nicolas Dhuicq figure parmi les dix-sept parlementaires à s’être rendu en Russie à l’invitation de la Fondation russe pour la paix. Le voyage avait lieu deux jours avant la visite de Jean-Yves Le Drian, qui devait se rendre à Moscou pour "évoquer les modalités de coordination dans la lutte contre « Daech » ". Article du Figaro, le 17/12/2015.
[2] Conférence de presse, agence Tass, le 18.12.2015.
[3] L’avenir des relations franco-russes, S ; Exc. Alexandre Orlov, Institut Diderot, automne 2015.
[4] Wahhabisme : mouvement politoco-religieux puritain et ultraorthodoxe d’origine hanbalisme né au XVIIIe siècle en Arabie. C’est la doctrine officielle de l’actuel royaume d’Arabie saoudite et du Qatar.
[5] Ndlr. La France a de nombreux intérêts économiques avec l’Arabie saoudite, notamment à l’échelle patrimoniale ; les rachats d’hôtels particuliers parisiens en constituent une preuve irréfutable.
[6] Cette intervention contredit certaines voix qui s’étaient élevées contre l’Arabie saoudite, jugée complaisante à l’égard du groupe terroriste. Ainsi Kamel Daoud, lauréat du Goncourt, de souligner que l’Arabie saoudite était, forte de son industrie idéologique, le « père de Daech » Voir article du Monde, 21 novembre 2015, « L’État islamique a un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique. »
[7] Nldr. Les invasions de la Horde d’Or avec à sa tête Gengis Khan.
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