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[CAUSERIES JAPONAISES] Comptabilité et manipulation langagière

Causeries Japonaises

XVIII - Comptabilité et manipulation langagière

Automne MMXIII, à Hiyoshi

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la comptabilité est aussi devenue un champ de bataille des inverseurs et des destructeurs professionnels. Il fallait pourtant s’attendre à ce que ce bastion de conservatisme et de prudence devînt aussi la cible des acharnés de l’atomisation de l’homme-individu dans le monde et de l’effacement de toute identité et de toute attache au réel. Ce qui se passe au niveau mondial en comptabilité présente deux traits typiques de la stratégie révolutionnaire de sape dont le bon sens naïf est la première victime : manipulation langagière et uniformisation de masse au nom de l’ « égalité ».
Pour faire simple, un certain organisme international [1] caresse le terrible rêve d’uniformiser à travers toute la planète les pratiques comptables et, par conséquent, de prendre la primauté sur tout autre organisme, en particulier les États, pour décider de toutes les nouvelles normes et de tous les changements jugés « nécessaires ». Le phénomène a ceci de typique de la mécanique révolutionnaire qu’il s’appuie sur un problème au départ réel. L’harmonisation peut paraître nécessaire : les différentes pratiques étaient si diverses qu’il pouvait être difficile de se faire une idée même approximative de l’état d’une entreprise. Mais, en l’espace de vingt ans, des suppôts d’on-ne-sait-quel-diable ont profité du problème et de la bonne volonté des personnels à faire des efforts pour entreprendre leur travail de destruction typique de l’idéologie révolutionnaire. Cela fait étrangement penser à la volonté, au départ légitime, de simplifier les coutumes au sein du royaume de France, qui en arriva à une centralisation uniforme et à la destruction méthodique de tous les particularismes locaux.
Ce qui est effrayant dans ce qui se passe en comptabilité au niveau mondial est que nous sommes forcés de constater que cette idéologie révolutionnaire plonge profondément ses racines chez pratiquement tous les acteurs occidentaux, sans qu’il soit une quelconque question de « partis ». Lorsque les gens gauches conspuent allègrement la finance dans notre pays, cette dernière devrait plutôt les remercier d’œuvrer dans le sens de la grande uniformisation faite au nom de l’égalité et des droits de l’homme qu’ils prônent. Voyons donc les manipulations orchestrées pour soumettre la comptabilité mondiale à des normes partout égales [2].
La première chose orchestrée par cette insaisissable nébuleuse est de faire accepter le processus d’une part et l’inversion des valeurs d’autre part. Pour cela, on manipule le langage afin de rendre impossible – aux adversaires qui se réveillent toujours trop tard – de répliquer. On appelle ainsi « harmonisation » ce qui est en fait une tentative d’aliénation d’un pouvoir quasi-régalien [3] des États, et de domination sur le fonctionnement de l’économie au niveau mondial. Cela amadoue les comptables du monde entier, de bonne foi, pétris de bon sens et qui n’imaginent pas un seul instant la folie furieuse des révolutionnaire. On s’attaque ensuite aux fondements en bouleversant un principe de la comptabilité : on décide de valoriser les actifs au prix du marché, au lieu du prix historique. Ce changement n’est pas anodin et transforme radicalement la nature de la comptabilité : il est en effet connu que, traditionnellement, le comptable doit être prudent, et il préfère donc valoriser ce que l’entreprise possède de la façon la plus pessimiste possible. Ainsi, par exemple, un immeuble sera inscrit dans les comptes selon sa valeur l’achat : de cette façon, l’entreprise – dans une perspective de durée et de préservation – possède un coussin en cas de coup(s) dur(s) car il est connu que la déflation reste rare. En clair, une entreprise qui possède un immeuble dans Paris acheté à bon marché au début du siècle et inscrit à cette même valeur dans les comptes conserve une marge de sécurité qui n’est pas reflétée dans ses comptes mais qui n’en est pas moins très réel. L’entreprise doit ainsi être encore meilleure pour maintenir ses comptes dans le vert. La pensée traditionnelle de la comptabilité cherche la sécurité, la préservation, mais aussi l’excellence de la gestion. Cela éclairci, quels changements se produisent avec la valorisation à la valeur du marché ? La valeur des actifs varient, pour faire simple, avec les fluctuations du marché... S’ensuivent gestion à courte vue, instabilité des comptes, déconnexion de la gestion et prédominance d’une logique financière sur une logique industrielle ou commerciale – pourtant base de l’entreprise. Et comment faire passer la pilule aux comptables ? On nomme cette nouvelle valorisation « fair value », c’est-à-dire la « juste valeur », la « bonne valeur » ! Personne ne sait si les marchés sont justes ou même exacts, si l’autre valorisation est injuste ou fausse mais, afin de forcer l’acceptation, on met du juste là où il n’a pas de raisons d’être et on berne les esprits non experts – le président de l’entreprise qui déciderait de passer aux nouvelles normes mais qui ne connaîtrait rien à la comptabilité aurait du mal à comprendre pourquoi son comptable ne voudrait pas d’une valorisation qui serait juste, à première vue. La manipulation est encore plus sordide puisque le mot « juste », bien qu’il signifie « exact », signifie aussi « moralement bon ». Les deux sens se mêlent l’un l’autre et accentuent la manipulation.
Ce qui est extrêmement irritant, me direz-vous, c’est ce satané « on » : mais qui est-ce donc ce grand manipulateur, ces obscurs complots et réseaux ? C’est nous tous, chaque fois que nous nous laissons berner ou, pire, chaque fois que nous nous taisons alors que nous savons la malignité de la chose. Subrepticement, le commun se met à utiliser ces nouveaux mots et commence à l’accepter comme du bon nouveau – puisqu’il est dit qu’il est « bon » ! Même sans le savoir, nous faisons partie du complot par le simple fait d’utiliser les mots dans leur faux-sens voire, en général, dans un sens contraire, ou encore dans des situations de natures différentes (la question de la valorisation ne devra pas s’intéresser d’abord à la justice, mais à la réalisation d’un bon travail par l’entreprise).

Heureusement, des professeurs en comptabilité et des chercheurs, poussés dans leur retranchement, sortent de leur confortable rôle de scientifiques qui ne devraient donc pas donner leur avis, par devoir de réserve. Comme la révolution atomise le genre humain en individus, la connaissance – comme les trop d’activités humaines – devient compartimentée et nie ainsi la nature de l’homme, nature qui est d’être un tout, avec des sentiments, des idées et de l’originalité. Quel comble que la grande majorité des chercheurs et professeurs de comptabilité voient d’un très mauvais œil la tentative de domination et l’inversion des fondements de la comptabilité, alors même qu’ils devraient être les plus compétents pour juger [4].

Le combat contre la folie contre-nature commence par le rétablissement du sens des mots [5] et le refus inconditionnel de tomber dans les vils et lâches pièges idéologiques que, souvent, nous nous tendons à nous-mêmes, par mollesse, par flemme ou par facilité, puis le refus de laisser passer les abus de langage chez les autres.

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Qui répond au doux nom de « IASB » (International Accounting Standards Board).

[2Originalement appelées « IFRS » (International Financial Reporting Standards).

[3Les normes comptables ne sont pas aussi anodines qu’on le croit et font partie intégrante des leviers d’un pays pour mener une politique. TEPCO, l’entreprise possédant la centrale de Fukushima, a été ainsi sauvée de la faillite grâce à une autorisation comptable spéciale du gouvernement pour maintenir ses réacteurs comme actifs, malgré leur destruction. Cela peut sembler bête mais, si le Japon avait été soumis à un organisme international, TEPCO aurait fait faillite du fait de l’incapacité – voire des possibles conflits d’intérêts – de l’IASB à prendre une telle mesure, et personne n’aurait pu alors présager du devenir des centrales de Fukushima.

[4Je vous invite à vous reporter à un papier d’un de ces professeurs indiens pétris de pensée traditionnelle et très agréables à lire : Sunder SHYAM, IFRS monopoly : the Pied Piper of financial reporting, Accounting and Business Research, vol. 41, no. 3, 2011, p. 291-306. Plein de bon sens, il fait de nombreuses remarques savoureuses et une bonne utilisation de la raison ancrée dans le réel... très intéressant pour un Français miné par un environnement dissolvant.

[5Comme le voulaient Bonald et Lamennais contre Rousseau.

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