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[CAUSERIES JAPONAISES] Petite leçon de démocratie

Causeries Japonaises

XIV - Petite leçon de démocratie

Le 3 décembre MMXIII, à Hiyoshi

La superstition démocratique parasite notre société tel un morpion avide, non de sang, mais de richesses spirituelles. Ce mot, comme beaucoup d’autres, est usurpé par des illuminés et devient le signe de ralliement et de reconnaissance de gens définis comme « bon ». Un son discordant, il suffit de brandir la démocratie pour faire plier l’adversaire inexorablement et le faire taire à jamais ; pire, pour l’endoctriner peu à peu.
Quelle illusion dangereuse que la démocratie ! Sous couvert de bons sentiments, la démocratie tue en fait, peu à peu, tout ce qu’il y a d’humain dans l’homme, supprime l’idée de bien et asservit les âmes. Il est un comble que (presque) personne ne fasse le lien entre expansion de la démocratie et apparition des totalitarismes au dernier siècle ou, quand ce lien est fait, la démocratie reste sauve, car le totalitarisme ne serait qu’une falsification de certains principes démocratiques. Fariboles ! Tout aussi absurde la croyance selon laquelle « démocratie » signifie « liberté ». Nous, contemporains, n’avons jamais été aussi peu libres parmi les hommes. Comme l’avait si bien pressenti Alexis de Tocqueville, la démocratie commence par supprimer toute liberté de pensée, remplacée par la dictature de l’opinion qui est en fait une nouvelle définition du bien et du mal, au gré de l’égoïsme humain ou de la malignité de certains meneurs d’opinion. Y a-t-il quelque chose de pire que l’opinion toujours idiote ? En démocratie, tout le monde a une opinion ; personne n’a de convictions. Tocqueville n’avait cependant pas prévu que la démocratie amènerait inéluctablement, après la terreur spirituelle et intellectuelle, la persécution proprement physique, comme le vécurent de nombreux Français ces derniers temps. On me rétorquera, certes, que d’autres régimes par le passé ont pu réprimer. Effectivement, mais cela n’était jamais pour un délit de penser, mais pour conserver un minimum d’ordre, cet ordre nécessaire au vire ensemble. Le bien était en revanche toujours confié au soin de la personne, car on ne peut jamais forcer quelqu’un à faire le bien et à être bon. Il est en revanche possible de forcer les gens à dire ce qu’ils ne pensent pas. En démocratie, plus d’autre bien intrinsèque autonome que l’incitation persécutrice de la majorité toute-puissante à se suicider à petit feu.

Vous ne me croyez pas ? Faisons donc une petite leçon de démocratie. Elle se fonde sur une petite histoire asiatique, dont les origines se perdent dans les profondeurs de la sagesse des anciens. Un enfant abandonné recueilli par un bonze lorsqu’il était bébé s’amuse un beau jour à attacher une pierre à une patte de grenouille puis à jeter ladite grenouille dans le lac. Le bonze se rend compte de la cruauté de son enfant. La nuit suivante, après un bon repas, l’enfant s’endort. Son sommeil est de plomb mais, au beau milieu de la nuit, il se réveille. Il est dehors, couché, au bord du lac. À son pied est attaché, à l’aide d’une forte corde, un imposant rocher. Soudain, le bonze lance le rocher dans le lac. L’enfant terrifié est emporté dans l’eau. Le bonze va ensuite le sauver. L’enfant, après cela, n’a jamais plus été cruel et aima le bonze encore plus profondément qu’auparavant.

Prenons le petit démocrate convaincu de la perfection de ce système et mettons-le dans un petit groupe démocratique. Disons une dizaine d’individus. Notre petit démocrate a cependant une particularité : il a le petit doigt tordu. Un jour, nos dix « citoyens » se réunissent afin de voter une nouvelle politique pour la petite communauté susdite. Un meneur d’opinion met sur la table les problèmes sociétaux que provoquent les difformités corporelles, en particulier la déformation de l’auriculaire. Les neuf autres acquiescent en arguant qu’effectivement ce genre de difformités horribles est coupable envers le genre humain : il est impossible de vivre avec ça ! Le petit démocrate au doigt tordu proteste vivement : rien n’y fait. Place au vote : neuf personnes sur dix votent la mort du petit démocrate au petit doigt. Ce dernier conteste que la loi interdit de tuer un homme ; qu’à cela ne tienne, puisqu’un autre vote majoritaire autorise ou stipule la délivrance des souffrances dues à la difformité du petit doigt – entendez la mise à mort. Un autre fait observer que, tant qu’à faire, ils pourraient ensuite manger la viande du condamné, puisque la communauté manque de vivres... Nouveau vote, toujours majoritaire. Le petit démocrate au doigt facétieux aime tellement la démocratie qu’il ne va même pas se défendre devant le sort que la majorité lui a infligé.

Imaginons maintenant que notre petit groupe ait un roi. Le petit démocrate au petit doigt tordu arrive un beau jour dans cette communauté dont il ne connaît pas la nature du gouvernement. Quand il demande ce que les membres pensent de la politique du groupe, les gens haussent les épaules avec un sourire amusé. On lui répond qu’ils ne comprennent pas sa question : ils font leur vie. Après quelques temps de vie dans ce groupe, le démocrate au petit doigt plonge de plus en plus dans une perplexité notable : ces gens qui se fichent de « politique [1] » ne gèrent-ils pas, pourtant, leurs affaires d’une façon extraordinairement autonome et en bonne entente les uns avec les autres ? Il se dit que ce doit être vraiment une bonne démocratie pour parvenir à responsabiliser autant ses membres. Pas de chance pour lui : il découvre un jour l’existence du roi – il ne concevait en effet même pas son existence, tellement il était discret – il s’affole, se scandalise, se plaint. On lui répond que le roi est bon, qu’il prie pour eux et qu’il a toujours été là. Un beau jour, un membre de la communauté, qui déteste le petit démocrate – mais qui ne déteste pas son infirmité – décide un beau jour de prendre une bêche et d’aller le tuer. Il est heureusement aperçu, avant de commettre l’inexpiable forfait, par un autre membre qui court prévenir le roi. Ce dernier dépêche ses sujets. Le bêcheur est amené devant le roi en présence du petit démocrate. Le roi invoque la justice divine et la conduite juste. Le bêcheur reconnaît sa faute. Le roi pardonne et demande au bêcheur de vivre en paix avec le petit démocrate. Avant de se retirer, le roi encourage ses sujets à méditer sur leur examen de conscience et à prier pour atteindre au bien. Il s’agenouille devant le Dieu dont il est le tenant lieu sur terre. Le petit démocrate cesse d’être « citoyen » : d’un objet à la disposition de la république démocratique il est devenu un sujet incarné de son roi. Il a décidé de mener une vie bonne, de reconnaître les mystères de la vie, du monde et des hommes, et de se prosterner devant plus grand que lui, devant le roi qui sait se prosterner devant les mystères. Il peut enfin vivre en pensant humain, et non plus machine qui cherche à imposer aux autres sa vérité. Il mène sa vie, heureux de ne pas avoir la charge des toutes les âmes de sa communauté, et conscient de l’imperfection de tous. À commencer par la sienne.

Quel monstre que la majorité et quelle victime que le démocrate !

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Au sens, bien sûr, de politique politicienne.

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