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Ecrits corsaires pour le retour d’un christianisme de combat

La notion de dhimmi : bref survol historique et sa signification

Le statut de dhimmi est le statut juridique s’appliquant aux non-musulmans dans des zones conquises militairement par la colonisation islamique à partir du VIIe siècle. Il sera codifié progressivement à partir du IXe siècle. Il interdit une série d’actes vus comme très graves qui sont les suivants : [1] se moquer du Coran ou le falsifier ; parler en termes insultants du prophète Mahomet ou de l’islam ; avoir des relations sexuelles avec une musulmane ; tenter de détourner un musulman de sa foi ; porter assistance à des non-musulmans en guerre contre les fidèles ; et porter des armes. A cela s’ajoutent des obligations moins centrales qui sont [2] : payer l’impôt de soumission, porter un vêtement distinctif, construire des lieux de culte ou d’habitations qui ne dépassent pas en hauteur ceux des voisins musulmans, ne pas se livrer publiquement à l’exercice de sa religion ou à la consommation d’alcool, enterrer ses morts sans faire entendre lamentations et prières, ne pas posséder ou monter des montures nobles comme le cheval mais seulement des ânes et consécutivement, de les monter comme une femme, en amazone.

Pour n’en donner qu’un exemple banal, voyons ce que disait Ibn Al Qayyim écrivait au sujet du statut du dhimmi :

« (…) Le critère de la supériorité hiérarchique du musulman comme tel est central. (…) Dès le second calife, `Umar, il fut ordonné que les cheveux du toupet des dhimmîs soient raccourcis et qu’ils se ceignent avec des kustijāt, c’est à dire des cordons grossiers. Cette ceinture doit être visible sur le vêtement, non en-dessous. Ils ne peuvent porter des vêtements précieux propres aux gens nobles et aux dignitaires, (…) (p. 762-763). Le dhimmî doit marcher dans les rues étroites et ne peut passer dans une rue large que s’il y a peu de musulmans ; il ne peut fréquenter les bains des croyants (p. 758) ou bien il doit porter une cloche au cou pour que l’on sache ce qu’il est (p. 763). Il ne peut monter à cheval comme les musulmans et il n’a droit à user d’une mule ou d’un âne qu’avec la permission de l’imâm, la monture ne devant avoir aucun harnachement, ni aucune selle agrémentée d’or ou d’argent (p. 761). Il n’a pas le droit d’accession ou de préemption sur une propriété si un musulman veut le même objet, car le but du « message » est que la parole de Dieu doit rester toujours supérieure (p. 291). Il ne peut porter un prénom considéré comme ‘‘islamique’’ (p. 768), etc. Ces formes de discrimination sont complétées par celle de la langue pour ceux dont l’arabe n’est pas la langue maternelle, car l’arabe est la langue de la révélation, des louanges faites au prophète (…) (p. 766). A plus forte raison le culte ne doit pas être perceptible par les musulmans : interdiction de processions publiques et de toute forme sonore telles que cloches ou shofar ; interdiction d’élever la voix dans la prière ; interdiction d’allumer des cierges ou des torches et de festoyer comme les musulmans les jours de fête (p. 720-722). Le dhimmî étant « ennemi de Dieu », on ne peut le saluer par la ‘‘salutation de la paix’’. Il ne peut prononcer devant un musulman des mots qui indiqueraient une satisfaction de sa propre religion et on ne saurait le congratuler à l’occasion de ses fêtes et jeûnes (p. 205). Un musulman ne peut visiter un dhimmî malade que s’il lui propose l’islam et que le malade accepte. (…) [3]

Certes, le statut en question a été appliqué de manière très aléatoire selon les époques et les zones historiques mais il traduit un idéal type.

Quel est cet idéal type ? Il est simple et il s’agit d’un idéal de domination brutale. Iles interdictions visent à rappeler en permanence leur statut de dominés aux chrétiens, juifs, zoroastriens ou hindous par les vêtements distinctifs ou des maisons plus basses, l’interdit de monter des montures nobles sauf en amazone (avec une symbolique considérant que les groupes dominés sont naturellement dominés car efféminés). La logique d’enterrer ses morts sans faire entendre ni lamentations ni prières révèle de manière éclatante la logique de la dhimmitude, qui est que certaines vies, celles des non-musulmans,sont tout justes « tolérées ». L’on peut penser à la manière dont l’analyse biopolitique de la pensée de gauche intersectionnelle montre comment la notion de deuil témoigne des rapports de pouvoir. En effet, si une personne n’est pas considérée comme étant digne de deuil alors le message sous-jacent est que sa vie est une vie surnuméraire. La pensée de l’antiquité grecque a d’ailleurs porté une grande importance à la question du deuil de la scène de fin de l’Iliade où Achille abandonne l’hubris et revient à des sentiments humains en permettant à Priam d’enterrer Hector à la figure d’Antigone.Antigone peut être vue comme la figure refusant de se plier aux normes d’un monde mauvais et au contraire considérant qu’elle veut montrer que la vie des membres de son groupe le plus élémentaire (ses frères) qui sont morts sont dignes d’être pleurés. De même, les récits épiques grecs comme l’Illiade garantissent l’immortalité du héros dans le souvenir après sa mort.

On peut noter que les seules transgressions non directement liées à la religion qui entrainent la peine de mort sont de deux types :avoir des relations sexuelles avec une musulmane ou se marier avec une musulmane, et le port des armes.

L’interdiction d’avoir des relations sexuelles avec une musulmane et de se marier avec une musulmane doit être mise en rapport avec le fait qu’au contraire les mariages (ou les relations sexuelles) sont permises entre hommes musulmans et femmes non musulmanes. Cela est lié au fait que les enfants sont considérés comme ayant la religion du père. Mais cela est également lié à une logique d’humiliation que l’on peut définir ainsi :le groupe dominant s’octroie le droit de prendre les filles des groupes dominés qui engendreront ses enfants.Ce qui va d’ailleurs avec un net mépris des femmes considérées comme inférieures,et des hommes des groupes dominés considérés comme « efféminés »,autorisés seulement à monter à cheval seulement en amazone.Dans un même registre,Laurent Leylekian [4] parle de la manière dont sous l’empire ottoman les sujets chrétiens,notamment arméniens,étaient soumis à une véritable « dette pédophilique » (le terme vient de Marc Nichanian),dont un autre aspect était d’ailleurs le prélèvement d’enfants chrétiens de sexe masculin pour en faire des janissaires destinés à conquérir des nouvelles terres chrétiennes pour accroître le stock de populations dominées. Enfin,un site de l’extrême gauche décoloniale nous apprend que « les Köcek sous l’Empire ottoman,(…)étaient des danseurs, nés avec un sexe biologique mâle et recrutés à l’âge de 7 ans, parmi les arméniens en partie, pour arborer une esthétique féminine. » [5]L’intervenant, qui traite de la question pseudo-décoloniale,semble ne pas voir de problème à l’exploitation sexuelle d’enfants appartenant au groupe dominé.

On peut d’ailleurs lire sous un jour extrêmement sombre la poésie certes extrêmement raffinée du poète arabe Abu Nawas qui lie homosexualité masculine, consommation de vin et séjours dans des monastères : c’est celle d’un groupe dominant sûr de son pouvoir et n’hésitant pas à profaner les lieux sacrés des chrétiens dominés en les transformant en lieux de débauche où ils utilisent leur statut de dominants pour « séduire » des jeunes enfants de chœur chrétiens,comme on le lira presque explicitement dans le poème Au monastère. [6]La poésie bacchique homosexuelle arabe est traversée par l’exaltation de relations masculines inégalitaires avec des jeunes adolescents dhimmis,c’est-à-dire dominés en raison de leur religion mais encore à cause de leur âge [7]. Comment ne pas penser plutôt aux enfants chrétiens, en lisant les propos de Fatima Ouassak, militante décoloniale : « Lorsque nous regardons nos enfants, nous voyons des sourires à l’incisive manquante, des lacets défaits, du feutre sur les doigts, nous voyons des enfants. Lorsque le système dominant regarde nos enfants, il ne voit pas des enfants, il voit des menaces pour sa survie, des millions de pauvres, de musulmans, de Noirs, d’Arabes qui grouillent dans les écoles et les collèges de cité. Il les ‘désenfantise’ » ?

Examinons maintenant l’interdiction du port d’armes car il s’agit de l’élément crucial. Il est lié dans l’apologétique islamique à la justification de la taxe payée par les dhimmis,symbole le plus marquant de la dhimmitude. Ceux-ci paieraient une taxe pour leur « protection ». La taxe viendrait donc remplacer le service militaire et serait une compensation égalitaire.On peut poser deux questions simples,la première étant : de qui les dhimmis sont-ils « protégés » ? Ne serait-ce pas de la population musulmane dominante qui peut les menacer, leur prendre leurs biens voire leurs enfants et les massacrer du fait qu’ils n’ont pas le droit d’avoir d’armes ? La « protection » en question ressemble à celle de la mafia envers les petits commerces. Seconde question : l’interdiction de porter des armes ne serait-elle pas le moyen le plus efficace de matérialiser la domination sur la population colonisée tout en la soumettant matériellement d’une manière très efficace ?

Des moutons, des loups gris et des oiseaux de proie

Les mots sont importants pour comprendre la pensée du monde de ceux qui les utilisent. Le terme de l’empire ottoman pour désigner ses sujets non musulmans est le terme raya dérivant d’un verbe arabe signifiant « faire paitre ». Il signifie aussi « cheptel » ou « troupeau » [8].

Connaissez-vous la fable de la Fontaine sur le Loup et l’Agneau ? Elle commence sur cet aphorisme froid « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Le simple fait de boire dans l’eau réservée au loup dominant vaut peine de mort (et comment là ne pas penser au procès d’Asia Bibi). Le loup gris ne se soucie pas de savoir si son acte est bon ou mauvais, moral ou immoral. La morale est celle de sa libido dominandi. On retrouve une telle logique dans ce court texte de Nieztsche : « Que les agneaux soient pénétrés de rancune envers les grands oiseaux de proie, voilà qui n’a rien de surprenant : à ceci près que ce n’est pas une raison pour faire grief aux grands oiseaux de proie de s’emparer de petits agneaux. Et si les agneaux disent entre eux : ‘Ces oiseaux de proie sont méchants ; et celui qui n’est en rien oiseau de proie, mais tout au contraire son opposé, un agneau – ne serait-il pas bon ?’, il n’y a rien à redire au fait d’ériger ainsi un idéal, si ce n’est que les oiseaux de proie considéreront cela d’un œil quelque peu sarcastique et se diront peut-être : ‘De notre côté, nous n’avons nulle rancune à leur égard, à ces bons petits agneaux, et même nous les aimons : il n’y a rien de plus succulent qu’un tendre agneau’ » [9]. Ainsi du mécanisme mental des musulmans dans le système de pouvoir de la dhimmitude ; celui d’oiseaux de proie et de loups gris persuadés que leur domination sur les rayas est naturelle, et qui l’assument. Cela n’enlève même pas la possibilité de relations interpersonnelles d’amitié qu’évoque Carl Schmitt avec l’hostis (ennemi politique, qui n’est pas l’inimicus ;l’ennemi personnel) [10], même si elle la rend très fragile dès qu’est théorisée une inégalité de nature entre les rayas et le « millet dominant car en armes et appartenant au peuple des conquérants ». Des notables abbassides ou ottomans pouvaient avoir des relations d’amitié ou d’estime avec des dhimmis, mais cela s’insère dans une structure de péché au sens où l’entend Jean-Paul II, ladite amitié ne les empêchant pas d’adhérer à un système considérant que les non-musulmans sont tout juste « tolérés ».

Cette structure de domination peut se comprendre à travers la philosophie hégélienne du maître et de l’esclave. Dans cette vision deux êtres conscients se rencontrent et risquent leur vie. Le gagnant, plus prêt à mettre sa vie en jeu, a un désir que l’on reconnaisse sa domination et donc réduit l’autre en servitude.Le maître veut agir comme un être conscient de soi par la réalisation de son désir vers un autre soi et utilise l’esclave comme un moyen à la fois d’exercer sa libido dominandi sur d’autres êtres humains. Mais le maître est dépendant de l’esclave, précisément en cela que l’existence de l’esclave est nécessaire pour rehausser le statut du maître (en outre, on sait par exemple que les Jeunes Turcs considéraient qu’ils dépendaient des arméniens, du fait des réussites économiques de ceux-ci). Les mécaniques d’asservissement symbolique et concret que nous avons vues à l’œuvre dans la dhimmitude servent donc à maintenir cette domination de même que la peur de se faire massacrer chez les esclaves. Si d’ailleurs Hegel naturalise cette domination en la plaquant sur des relations interpersonnelles, dans le cas du statut de dhimmis elle est clairement liée à des défaites militaires qui sont par nature liées à des contingences historiques.

Comment lutter contre la domination musulmane ? Fanon, Venner et le prix de l’histoire.

La droite nationale avait crié « fusillons Sartre » pendant la guerre d’Algérie. Les défenseurs de la chrétienté feraient mieux de lire sa préface à Les Damnés de la Terre de Franz Fanon. Il s’y explique :

« Européens, ouvrez ce livre, entrez-y. Après quelques pas dans la nuit vous verrez des étrangers réunis autour d’un feu, approchez, écoutez : ils discutent du sort qu’ils réservent à vos comptoirs, aux mercenaires qui les défendent. Ils vous verront peut-être, mais ils continueront de parler entre eux, sans même baisser la voix. Cette indifférence frappe au cœur : les pères, créatures de l’ombre, vos créatures, c’étaient des âmes mortes, vous leur dispensiez la lumière, ils ne s’adressaient qu’à vous, et vous ne preniez pas la peine de répondre à ces zombies. Les fils vous ignorent : un feu les éclaire et les réchauffe, qui n’est pas le vôtre. Vous, à distance respectueuse, vous vous sentirez furtifs, nocturnes, transis : chacun son tour ; dans ces ténèbres d’où va surgir une autre aurore, les zombies, c’est vous. » et que « le colonisé se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes. Quand sa rage éclate, il retrouve sa transparence perdue, il se connaît dans la mesure même où il se fait ; de loin nous tenons sa guerre comme le triomphe de la barbarie ; mais elle procède par elle-même à l’émancipation progressive du combattant, elle liquide en lui et hors de lui, progressivement, les ténèbres coloniales. Dès qu’elle commence, elle est sans merci. Il faut rester terrifié ou devenir terrible ; cela veut dire : s’abandonner aux dissociations d’une vie truquée ou conquérir l’unité natale. Quand les paysans touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés : l’arme d’un combattant, c’est son humanité.

Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. Dans cet instant la Nation ne s’éloigne pas de lui : on la trouve où il va, où il est - jamais plus loin, elle se confond avec sa liberté. Mais, après la première surprise, l’armée coloniale réagit : il faut s’unir ou se faire massacrer. Les discordes tribales s’atténuent, tendent à disparaître : d’abord parce qu’elles mettent en danger la Révolution, et plus profondément parce qu’elles n’avaient d’autre office que de dériver la violence vers de faux ennemis. ».

Sartre dit cela en parlant comme apôtre d’une décolonisation radicale du tiers-monde contre une Europe et un Occident honnis. Beaucoup ici y verront le visage de l’ennemi.On peut surtout y voir une leçon essentielle : que, justement,dans un système de domination reposant sur la transformation du dominé en mouton social, la riposte ne peut passer que par la réaffirmation de la valeur égale de la vie et de la dignité, donc par la lutte.Et que celle-ci n’a pas à se soucier des leçons de morale des bien-pensants indifférents, des gauchistes moralisateurs jugeant depuis leur grille ethnocentrée quelles sont les « vraies oppressions » ou des modérés ne soutenant la lutte que si celle-ci est « respectable ». C’est ce que Fanon dit, d’ailleurs de manière moins radicale, que Sartre. Béchir Gemayel [11] définissait la condition de dhimmis ainsi : « Ils mangent, ils boivent, ils travaillent, ils procréent. Leur condition se résume à cela. Politiquement, ils n’ont aucun droit. Leur sécurité est, je dirais, bestiale. Ils sont à la merci du moindre incident. » Michel Fayad, journaliste libanais, expliquait : « Nous, en tant que partie chrétienne dans cet Orient, n’étions pas différents des autres et si nous n’avions pas un pays et, je le répète, pas un foyer national chrétien, mais véritablement un pays pour les chrétiens, où nous puissions vivre le front haut, sans que quelqu’un ne vienne nous ordonner : ‘Va à gauche’, comme au temps des Turcs, lorsqu’on nous disait : ‘Prenez la file de gauche’ parce que nous étions chrétiens, et sans que l’on nous oblige à mettre n’importe quel signe sur notre corps ou sur nos vêtements, pour que les autres sachent que nous sommes chrétiens ou que nous soyons des citoyens vivant en dhimmis. »

La réponse à la dhimmitude est donc la lutte de libération nationale par tous les moyens nécessaires. Il y a comme le voit avec justesse Sartre une dignité dans le fait de prendre les armes et de se défendre, de ne plus être asservi à la volonté des dominants, de frapper l’oiseau de proie ou le loup.Cette défense est exaltée dans le roman Le cavalier blanc de Hamasdegh, écrivain arménien, où le héros, Mardik, un jeune arménien vivant dans l’Anatolie rurale d’avant le génocide arménien, décide de ne pas accepter passivement l’oppression mais de se révolter. En faisant cela, il accède à une plus grande dignité humaine. Pour paraphraser Dominique Venner, exister c’est combattre ce qui nous nie et ce qui opprime les nôtres en faisant de leur vie une simple survie. Et pour paraphraser Médine [12] nous pourrons dire que face à la violence structurelle et à la structure de péché que constitue la dhimmitude et le mécanisme de « justice » islamique dans laquelle elle s’insère, la violence n’est que justice.

Mais sur cette réponse que nous avons suggérée, nous ne devons pas oublier qu’elle doit se faire dans une évaluation objective et matérialiste des rapports de force. En effet, le prix de la défaite est terrible. Quand les « rayas » refusent leur condition d’humains surnuméraires et s’assument comme des êtres humains libres, la réaction de la domination musulmane a été le sabre. Ce fut le génocide arménien qui condensait les différentes oppressions que nous avons évoquées (on peut notamment penser à la turcisation et à l’islamisation des enfants et des jeunes filles) mais en les poussant à l’extrême,et en y couplant un génocide rentrant dans la logique de la pensée ethno-nationaliste des Jeunes-Turcs, nourrie au darwinisme social appliqué aux groupes ethniques et à une partie de la pensée germanique de la fin du XIXe siècle. A une échelle bien plus modeste on peut noter que les Assyriens irakiens, pour beaucoup des survivants du génocide de 1915, avaient voulu avoir leur autonomie notamment militaire. La réponse fut le massacre de Simélé, où l’élimination des hommes suivie du viol des femmes visa à « rappeler » au groupe dominé quelle est sa place « naturelle » : celle de dhimmis. La victoire doit donc être le but à tout prix car le prix de la défaite même héroïque est terrible. La chèvre de M. Seguin résiste héroïquement toute la nuit mais tombe. Son erreur ne fut pas d’avoir résisté et sa mémoire doit être honorée. Mais du point de vue historique, elle n’a pu vaincre le loup. Car à la fin, en islam, il n’y a que vainqueurs et vaincus,et vae victis.

Nous avons vu que cette place inférieure des dhimmis n’était nullement « naturelle » mais résultait purement des contingences historiques.Ce n’est pas un hasard si plusieurs volontaires de SOS chrétiens d’Orient témoignent que les chrétiens irakiens semblaient en un sens moins dynamiques que les chrétiens syriens (qui eux même l’étaient moins que les Libanais). En effet, la domination marque le dominé en l’obligeant à sans cesse ruser, dissimuler et craindre en vivant dans la peur de l’épée de Damoclès du massacre. Et quand il y a eu massacre ou génocide, il y a la peur pour les survivants (appelés dans le cas des derniers Arméniens de Turquie du terme odieux de « rebuts de l’épée », et soit bouleversés de ne pas savoir pourquoi ils ont survécu, soit humiliés de ne le savoir que trop bien). Il y a la production de l’être timide par l’intimidation et de l’être soumis par la violence et le massacre. Il y a la mécanique des bourreaux faisant passer la honte, le déshonneur et la souillure du côté des victimes.Dans son petit livre bouleversant Parce qu’ils sont arméniens, la sociologue Pinar Selek, qui réfléchit à ce mécanisme de projection, dont elle a été victime avant de s’en sortir, explique : « Je m’habituais à ce que les Arméniennes ne fissent pas de bêtises. Ma mère avait raison : ce qui était écrit dans les manuels était mensonger. Oui, c’étaient absolument des mensonges. Les Arméniens ne pouvaient pas être des ennemis de l’intérieur, encore moins des hors-la-loi. Les Arméniens ne faisaient pas de bêtises. Ils étaient dociles. J’en étais témoin. Témoin ? Moi, je n’étais pas comme elles. Je collais des affiches, j’allais à la prison voir mon père chaque semaine, je contestais les professeurs, je portais les sanctions du conseil de discipline sur le revers de ma veste comme des médailles, je faisais entrer des livres interdits dans l’école, je lisais des poèmes, je faisais du stop, je fumais, je… Heureuse celle qui se dit turque… » [13]

Pour paraphraser Lénine : que faire ? Vers l’amour révolutionnaire évangélique et le retour de l’armure de la chrétienté

La première option serait celle du renversement de la logique de valeurs. Là où les ennemis voient l’agneau mangé par le loup gris ou le vautour,nous savons que l’agneau de Dieu immolé sur le cœur du monde lave les péchés de l’humanité. Et nombreux ont été et sont encore les martyrs admirables, de Franz Jagerstatter refusant le nazisme à Leah Sharibu lycéenne du Nigeria enlevée par Boko Haram et toujours détenue par ce groupe terroriste pour avoir refusé de se convertir à l’islam, en passant par Kayla Mueller qui était considérée par le calife de l’OEI comme sa « propriété », celui-ci l’ayant violée à plusieurs reprises, mais a toujours refusé de quitter sa foi chrétienne. Cependant, si le martyr est individuellement admirable, il ne peut constituer une option valable pour les chrétiens en tant que groupe c’est-à-dire pour la chrétienté. J’espère que l’amour révolutionnaire des Évangiles pourra constituer à lui seul une solution et j’ai la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ et donc la foi en ce que cela pourra se produire, mais,comme disait Sainte Jeanne d’Arc : « que les hommes d’armes combattent et Dieu donnera la victoire ».

On peut analyser en quoi une telle optique n’est pas viable via la dernière encyclique du pape François. Dans celle-ci [14] il prend l’exemple de saint François d’Assise : « Il y a un épisode de sa vie qui nous révèle son cœur sans limites, capable de franchir les distances liées à l’origine, à la nationalité, à la couleur ou à la religion. C’est sa visite au Sultan Malik-el-Kamil, en Égypte, visite qui lui a coûté de gros efforts du fait de sa pauvreté, de ses ressources maigres, de la distance et des différences de langue, de culture et de religion. Ce voyage, en ce moment historique marqué par les croisades, révélait encore davantage la grandeur de l’amour qu’il voulait témoigner, désireux d’étreindre tous les hommes. La fidélité à son Seigneur était proportionnelle à son amour pour ses frères et sœurs. Bien que conscient des difficultés et des dangers, saint François est allé à la rencontre du Sultan en adoptant la même attitude qu’il demandait à ses disciples, à savoir, sans nier leur identité, quand ils sont « parmi les sarrasins et autres infidèles… de ne faire ni disputes ni querelles, mais d’être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu » [15]. Dans ce contexte, c’était une recommandation extraordinaire. Nous sommes impressionnés, huit cents ans après, que François invite à éviter toute forme d’agression ou de conflit et également à vivre une « soumission » humble et fraternelle, y compris vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas sa foi. Avec tout le respect que l’on peut avoir pour le Saint Père, cela n’est nullement une solution. Pour au moins trois raisons : la première est que si le martyr individuel est admirable, il ne peut à moins de l’intervention divine directe modifier la situation que si les structures de péché sont combattues. La seconde est que là où il voit la soumission comme une attitude humaine de fraternité, il reste aveugle aux oppressions concrètes qu’elle entraine et à la manière dont elle dégrade symboliquement ceux qui doivent la subir. La troisième est que le discours sur « être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu » confond l’attitude que peut avoir saint François en tant que prêtre et l’attitude que doit avoir un corps politique qui ne peut décider une telle chose sans se considérer comme naturellement soumis et esclave. On peut d’ailleurs noter que l’attitude de saint François était facilitée par le fait qu’il pouvait s’appuyer sur une structure existante, celle de la Chrétienté et que tout en ayant cette attitude personnelle il n’a jamais par exemple appelé les états latins d’Orient à supprimer leurs armées pour rentrer avec le sultan dans une attitude de « soumission » humble et fraternelle.

Nous pouvons résumer pourquoi ce texte rate l’essentiel de manière plus condensée avec un auteur que connaît probablement bien le Saint Père, Dom Helder Camara : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie que de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

La solution est donc le combat. Cela n’exclut nullement le martyre si le combat temporel est perdu,ce dont témoigne l’exemple admirable de Khanum Ketenjian [16]. Mais vaincre reste une nécessité ardente car nous avons vu le prix de la défaite. Cela est possible et nous avons un rôle particulier à jouer. Celui de chrétiens vivant dans des pays où nos capacités d’action sont bien moins entravées, qui est de prendre conscience de ce patriotisme chrétien et de la nécessité de le revivifier d’abord dans nos esprits puis par l’action concrète. Pour paraphraser saint Ignace de Loyola,l’Église a besoin de théologiens et de prêcheurs mais aussi de soldats. Et pour paraphraser Dominique Venner en changeant le sens identitaire de ses paroles : « La Chrétienté ne sera pas sauvée par des savants aveugles ou des érudits blasés. Elle sera sauvée par des poètes et des combattants, par ceux qui auront forgé « l’épée magique » dont parlait Ernst Jünger, l’épée spirituelle qui fait pâlir les monstres et les tyrans. La Chrétienté sera sauvée par les veilleurs postés aux frontières du royaume et du temps. ». J’ai tenté modestement de montrer comment pouvait être créée cette épée spirituelle qui fait pâlir les monstres et les tyrans.

Il faudra donc créer cette nouvelle chevalerie au sens dont parle Erik l’Homme dans Le regard des princes à minuit mais avec probablement une définition identitaire différente [17]. Cela sera une nécessité ardente pas uniquement contre la domination musulmane. Après tout, le nationalisme ethnique païen indien n’est guère plus tolérant avec les populations chrétiennes en Inde, et il en va de même pour le communisme technicien et génocidaire chinois. Et il faudra aussi la créer pour défendre une vision de l’homme et des rapports entre les hommes. Nietzsche disait des chrétiens [18] :« Nous les bons – nous sommes les justes – ce à quoi ils aspirent, ils ne l’appellent pas représailles, mais tout au contraire ‘triomphe de la justice’ ; ce qu’ils haïssent, ce n’est pas leur ennemi, non ! ils haïssent ‘l’injustice’, ‘impiété’ ; ce en quoi ils croient et espèrent, ce n’est pas l’espérance de la vengeance, l’ivresse de la douce vengeance (…) mais la victoire de Dieu, du Dieu juste sur les sans-dieu. » De même : « Ces faibles – c’est qu’ils veulent eux aussi être un beau jour les forts, cela ne fait aucun doute, il faudra qu’un beau jour vienne leur ‘royaume’ à eux aussi – chez eux, cela s’appelle ‘le royaume de Dieu’, tout simplement, comme on l’a dit : on est d’une telle humilité en toute chose ! ». Assumons comme Pascal de penser que la justice sans la force est impuissante. Mais au contraire de Pascal on peut ne pas penser qu’il soit impossible de donner la force à la justice.Assumons aussi, au contraire de Nietzsche, de ne pas vouloir de représailles mais le triomphe de la justice, de ne haïr que l’injustice et l’impiété et de ne pas vouloir la vengeance mais la victoire du Dieu juste sur les sans-dieu qui n’obéissent qu’à leur volonté de puissance.

Il faut aussi y être prêt pour ceux de notre propre groupe qui sont opprimés, car je crois que le christianisme pourra un jour proposer la solution durable de l’amour révolutionnaire évangélique : il y a là les prémices d’un bouleversement dans les rapports humains si le message incendiaire que cela comporte est compris. Mais pour préserver le message du christianisme, il faudra bel et bien l’armure de la chrétienté et donc lutter.

S’il n’y a qu’oppresseurs et opprimés, que chasseurs et proies, je peux à titre personnel considérer comme Socrate que mieux vaut subir le mal que le faire. Mais pour mes enfants et pour les plus faibles de mon groupe, quel droit ai-je de le faire ? Et si la situation d’oppression peut produire des martyrs sublimes, le sel de la terre, le sel en trop grande quantité est immangeable. Nous ne serons pas des proies mais des chasseurs, à tout le moins des chasseurs de chasseurs. Il nous faut retrouver une vision schmittienne de la politique visant à distinguer entre ami et ennemi.

Il est possible de créer une nouvelle chevalerie. Elle sera composée d’hommes et de femmes maniant la plume et l’épée. Ils auront aux reins la ceinture de la vérité, la cuirasse de la justice et le bouclier de la foi. Ils auront l’épée de la parole de Dieu et aux chaussures le zèle de l’Évangile de paix. Ils connaitront la pensée critique et sauront ouvrir des portes et tisser des ponts là où actuellement nous tâtonnons. Elle saura renouer avec le sens originel de la chevalerie : celui d’hommes se dévouant pour protéger les autres et lutter contre les monstres et les tyrans, celle qui se voit si pleinement dans les vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté des templiers et des hospitaliers,dans ce qu’ils signifiaient de rupture par rapport à une chevalerie devenue l’agent et les bénéficiaires de la volonté de puissance des puissants.

Pensons ici à un personnage de roman inspiré d’un vrai inquisiteur nommé Nicholas Eymerich. Face à l’hérésie, aux infidèles et à la libido dominandi, il se dresse armé de sa foi, de son zèle et de son intelligence. Il faudrait des Eymerichs pouvant aussi rire et vivre humainement sans oublier combats et idéaux. Et il faudrait un ordre de chevaliers maniant avec autant d’aisance qu’Eymerich le combat politique dans la Cité, le combat intellectuel et la légitime autodéfense [19]. Et cette nouvelle chevalerie incarnera l’armure de la Chrétienté entendue comme l’espace d’union politique des chrétiens protégeant la foi chrétienne entendue au sens seulement spirituel. D’où viendra le réveil de la Chrétienté, de quelle aire géographique ou culturelle ? De ce réveil, ne doutons pas. Et dans l’aire culturelle où la volonté divine nous a fait naitre, il nous appartient de labourer pour une moisson que nous espérons voir germer ici comme tout ouvrier espère voir le fruit de son travail avant sa mort,car c’est là que nous pouvons agir pour forger la Chrétienté qui pourra intervenir partout. Comme le dit Academia Christiana [20], « Que l’or blond reste pur et sauvage, qu’il engendre des adultes incapables de guérir de leurs rêves de jeunesse, et que des cohortes d’enfants sauvages, genoux écorchés et croix frappant leur poitrine, descendent de leurs citadelles communautaires pour assiéger Babylone et libérer l’incendie purificateur. » Ce monde injuste s’écroulera devant notre foi, celle d’Eymerichs souriants et poètes qui traqueront ceux qui nous persécutent et les structures de péché liées à la libido dominandi [21].

Rainer Leonhardt

[1Françoise Micheau, « Dhimma, Dhimmi », dans Mohammad Ali Ammir-Moezzi (dir), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007, p. 216

[2Ibid p 216

[3Marie-Thérèse Urvoy, « La violence morale dans Ahkām ahl al-dhimma d’Ibn Qayyim al-Jawziyya », in Islam : identité et altérité, Hommage à Guy Monnot, O.P., p.3

[9Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, LGF Flammarion, Paris, 2000, p.96

[13Parce qu’ils sont arméniens, p.25

[15St. François d’Assise., Règle non bullata des frères mineurs, 16, 3.6 : Écrits, vies, témoignages, Cerf, Éd. Franciscaines (2010), p. 208.

[18Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, LGF Flammarion, Paris, 2000, p.102-103

[19Notes pour des actions concrètes : s’il est difficile de boycotter tous les pays opprimant les chrétiens il est facile de cibler le boycott envers de grandes entreprises, notamment celles nous étant directement hostiles. Il est facile d’harceler les intérêts économiques, diplomatiques et commerciaux de ces pays en Europe, de les terroriser par certaines Idoles dont ils craignent de perdre les faveurs, les divinités Production, Exportation et Commerce. Il faut abattre le panthéon de ces pays, et faire autant de mobilisations que possible. Chambouler les tapis diplomatiques des négociations tissés avec les cheveux de nos sœurs : il faut faire le plus de bruit possible, et peser sur l’opinion publique. Soutenir tous les acteurs qui participent à défendre cette cause. Ceci en attendant que la Chrétienté ré-enfante des Skanderbeg pour libérer les nôtres qui sont dominés.

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