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Une ombre plane sur le mouvement des gilets jaunes. Elle n’est ni l’intellectuel organique du mouvement qui souffre indéniablement d’un souci de cohérence idéologique, ni le porte-parole de ce dernier. Les journalistes n’ont eu de cesse de répéter que voilà plus de dix ans, des intellectuels ont préparé la voie à cette prise de conscience collective de couleur jaune. Parmi eux, on trouve évidemment Jean-Claude Michéa, sans doute Patrick Buisson mais surtout Christophe Guilluy, l’inventeur du concept de « France périphérique », repris en boucle par les demeurés médiatiques comme un mantra dont ils ignorent en général le fondement. Géographe de formation et consultant en géographie sociale pour les collectivités locales, Guilluy est connu pour son livre La France périphérique paru en 2014. Toutefois, il avait déjà élaboré la notion au sein du livre Fractures françaises publié quatre années plus tôt.
Très dialectique, l’auteur, chevènementiste et de formation marxiste, développe son paradigme géographique d’apparence simple : la France est divisée en deux parties composées de la France des métropoles et de la France périphérique. La première partie regroupe 40% de la population (cadres du tertiaire et populations issues de l’immigration) tandis que la seconde absorbe 60% de la population - agriculteurs, petits employés et ouvriers blancs. Tout le travail de Christophe Guilluy est de démontrer comment la gauche a abandonné au cours des années 80 la question sociale au profit du « sociétal » incarné par la défense des minorités ethniques ou sexuelles et des « jeunes ». Dans les banlieues, cela s’est notamment traduit par le souhait de régler la question sociale par la technique et l’urbanisme en négligeant les considérations politiques, culturelles et démographiques.
Le mythe du ghetto ethnique à la mode américaine s’est alors développé dans les sphères politico-médiatiques laissant penser qu’il suffirait de la magie de l’urbanisme pour mettre un terme aux difficultés. Le ghetto a aussi l’avantage de faire assimiler les quartiers aux jeunes de cités alors que la pyramide des âges de ces lieux est largement comparable aux autres sphères géographiques françaises. S’agit-il véritablement d’un ghetto ? La réponse est négative selon l’auteur. La situation française ne peut en rien être comparée à celle des États-Unis. Tout d’abord, contrairement à ce que laisse entendre l’élite médiatico-intellectuelle, les cités ne constituent pas les zones les plus pauvres de France. Le chômage et la précarité sont souvent plus élevés au sein de la France périphérique. Ensuite, les services publics, les transports en commun et les infrastructures sportives et culturelles, sont plus nombreux que dans la France des périphéries. Enfin, les investissements apparaissent plus conséquents au sein de la France des banlieues. Il faudrait aujourd’hui ajouter que pour un ghetto où la fixité et l’immobilité devraient être la règle, le taux de mobilité est particulièrement haut. Au lieu de faire ce constat, les politiques et les médias préfèrent voir dans les violences de cités des revendications sociales alors qu’elles relèvent uniquement de la délinquance. Ainsi, alors qu’ils sont habituellement décrits comme des victimes, les habitants des banlieues ont pourtant des chances nettement plus importantes de s’élever socialement que les habitants des périphéries urbaines.
Les classes populaires de souche ont été contraintes de quitter les banlieues proches des métropoles en raison de la désindustrialisation qui s’est dans un premier temps traduite par une délocalisation vers la province pour dans un second temps se développer vers l’étranger. Elles ont été « remplacées », selon l’expression en vogue de nos jours, par des populations fraîchement immigrées et très peu qualifiées qui se sont installées à côté de zones économiques très dynamiques impliquant des cadres très qualifiés. La substitution d’une immigration de peuplement avec le regroupement familial sous l’ère Giscard à une immigration de travail n’a fait qu’aggraver la situation. Il n’est guère surprenant que le taux de mobilité soit élevé dans la France des banlieues car une fois la barrière du chômage franchie, les populations cherchent naturellement à fuir leurs quartiers d’origine où la délinquance est très importante. Elles auront bénéficié avant ce changement d’état de logements sociaux, d’infrastructures sportives et culturelles, d’un accès facilité aux transports en commun, d’une proximité avec une zone économique génératrice d’emploi, d’un accès à la formation, de subventions étatiques ou municipales et de l’aide de minorités agissantes comme les syndicats ou associations d’extrême-gauche. Le français de souche de la France périphérique ne peut généralement pas en dire autant. Pourtant, il continue à faire des enfants comme en témoigne le fort taux de fécondité de certains départements comme le Nord ou la Haute-Savoie [1].
La désindustrialisation des métropoles est donc allée de pair avec l’embourgeoisement de son centre et la coloration étrangère de sa banlieue. La gauche, à ne pas confondre avec le socialisme qui dans sa doctrine fait la part belle aux ouvriers et à la lutte des classes, s’est adaptée sur le modèle du think tank Terra nova, à cette nouvelle dialectique. Elle s’est mise à défendre la bourgeoisie cosmopolite des grands centres urbains et l’immigration étrangère habitant à proximité. Les deux faces de la même médaille libérale sont ainsi promues sur l’autel du parti de l’étranger qu’il soit le grand bourgeois apatride à la sauce Attali ou le petit immigré récemment débarqué de l’Afrique subsaharienne. La victime sacrifiée de ce grand jeu de dupes est évidemment le petit employé ou ouvrier blanc qui se prend le mépris de toute la classe médiatico-politique depuis une cinquantaine d’année. Assimilé à un beauf misogyne ou un plouc raciste, responsable de la colonisation et de la collaboration, il lui est en plus reproché de voter massivement Rassemblement National ou d’être critique de l’immigration ou de l’Union Européenne alors qu’il a simplement constaté que la gauche l’avait abandonné.
Venant du socialisme souverainiste, Christophe Guilluy a le mérite de démonter un certain nombre de mythes sur le soi-disant vivre-ensemble qu’il dénomme assez drôlement le « vivre-ensemble séparé ». Attaché à la question sociale et ouvrière, il met en lumière l’abandon par les élites de son petit peuple de souche dont les aïeux ont pourtant fait la France pendant des siècles. Pointant du doigt courageusement l’aveuglement cosmopolite de la classe médiatique et politicarde, le géographe défend une vision souverainiste et sociale à l’aide d’une grille de lecture novatrice et ingénieuse.
Toutefois, Fractures françaises prête le flanc à quelques critiques. En bon chevènementiste, Guilluy semble regretter que l’analyse ethnico-culturelle ait remplacé la vision sociale. Or, il semble qu’il faille justement articuler les deux paradigmes pour avoir une vision cohérente de la société. De même, sa vision laïque et sa critique du communautarisme peuvent parfois être agaçantes pour le catholique qui sait que toute société se fonde sur une famille puis sur des communautés de plus en plus élargies pour atteindre le niveau national. Aussi, le géographe pèche à quelques reprises par naïveté. Par exemple, il semble toujours obsédé par le fait que les français de souche et immigrés puissent un jour cohabiter paisiblement. Au vu de l’amplification des phénomènes migratoires, cela paraît totalement illusoire surtout lorsqu’on sait depuis Aristote qu’une société ne peut fonctionner que si elle est un minimum cohérente ethniquement parlant.
Il n’en demeure pas moins qu’avec des personnalités comme Michéa et Sapir ou Todd dans une moindre mesure, il incarne un renouveau de la pensée socialiste dénotant par un effet de miroir le vide abyssale de la pensée intellectuelle de droite depuis de nombreuses années. Cette dernière semble en permanence à la remorque des penseurs cités plus hauts, incapable de dépoussiérer ou de remettre au goût du jour ses grandes figures tutélaires du XIXe ou du début du XXème siècle. On pourrait notamment penser en France à Joseph de Maistre, Charles Maurras ou Gustave Thibon et Outre-Rhin, aux penseurs de la révolution conservatrice allemande comme Werner Sombart, Carl Schmitt ou Ernst Jünger. Mais il s’agit d’une autre question que celle de la France périphérique.
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