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C’est une gageure que de présenter en si peu de pages la philosophie de Saint Thomas d’Aquin. Malgré quelques imperfections le petit livre de Ruedi Imbach (professeur émérite de philosophie médiévale à l’Université de Paris IV Sorbonne) et du père Adriano Oliva (dominicain de la Province Romaine de Ste Catherine de Sienne, chercheur au CNRS et président de la Commission Léonine) est assez complet, d’une grande clarté et d’une grande concision. Le lecteur se doit toutefois d’être déjà familier avec les concepts de la philosophie aristotélicienne et de la philosophie scolastique. Divisé en trois chapitres, l’ouvrage retrace tout d’abord brièvement la vie de Saint Thomas avant d’aborder dans un second temps les idées et arguments de sa philosophie puis, dans la dernière partie, de présenter treize œuvres « majeures ».
Le premier chapitre rédigé par Adriano Oliva tient en une quinzaine de pages seulement et vise à donner aux lecteurs les grandes étapes de la vie de Saint Thomas ainsi que d’y situer ses différentes œuvres qui servent de jalons à la biographie. Après une première section consacrée à la naissance de Thomas vers 1225 et ses premières années de formation au château de Roccasecca, à l’abbaye (bénédictine) du Mont-Cassin puis à Naples jusqu’à son entrée dans l’ordre des Frères Prêcheurs en 1242, la seconde section traite du premier enseignement de Thomas à Paris (1251/1252-1259). La troisième traite de l’enseignement italien (à Orvieto et à Rome) du docteur angélique ; la quatrième du second enseignement de Thomas à Paris (1268-1272) ; la cinquième enfin de son dernier enseignement à Naples jusqu’à sa mort le 7 mars 1274. L’enseignement théologique reçu puis donné par St Thomas peut se résumer à trois devoirs, legere, disputare, praedicare (p.18), qui servent aussi à regrouper les œuvres présentées au fil de la biographie. Si Oliva s’attarde sans surprise plus longuement sur la présentation de la Somme théologique (p.22-24 et p.28), il souligne aussi à plusieurs reprises (p.25-28) l’importance des commentaires d’Aristote rédigés en parallèle de la Somme. On regrettera que dans le dernier chapitre (rédigé quant à lui par Ruedi Imbach) seuls deux de ces commentaires dont on vient de signaler l’importance philosophique soient présents ; la rédaction séparée des différentes parties d’un même ouvrage par plusieurs auteurs introduit parfois ce genre de fausse note.
Les deux chapitres suivants sont une adaptation d’un article écrit en allemand par Ruedi Imbach pour un autre ouvrage.
Le second chapitre (p.31-92) est le plus ardu et le plus dense. Il suppose que le lecteur soit déjà familier avec les concepts aristotéliciens, permettant d’aller directement à la réutilisation et à la réinterprétation thomasiennes du donné aristotélicien. Une extraction de la philosophie de Saint Thomas puis sa division en plusieurs parties est toujours assez artificielle (et le plan qui est résulte est généralement fort peu thomasien) mais c’est un processus inévitable. Le chapitre se divise donc en six sections (Nature et division de la philosophie ; La connaissance humaine ; L’homme. Problèmes éthiques ; Aspects de la pensée politique ; Ontologie, métaphysique, théologie philosophique ; Croyances, science, théologie) dont la progression conduit, à partir d’une réflexion sur la philosophie elle-même, à l’homme puis à Dieu, d’abord dans la métaphysique puis dans la théologie. Les citations et références à l’œuvre de Saint Thomas sont omniprésentes et permettent d’introduire à Saint Thomas par lui-même. L’ensemble du corpus thomasien est convoqué : les œuvres philosophiques et théologiques mais aussi les commentaires bibliques, trop souvent négligés, ce qui mérite d’être signalé.
Si les parties consacrées à l’éthique et à la politique se succèdent, la séparation est peut-être trop artificielle. Un point particulièrement intéressant est celui consacré à la liberté humaine et à ses limites : « L’homme n’est pas libre de décider de la fin ultime de son existence, du bonheur auquel il aspire par nature. Cette thèse trace très clairement les limites du domaine de la liberté humaine et le champ de pertinence du projet éthique thomasien : tout comme l’intellect s’accorde par nature avec les premiers principes, la volonté est naturellement orientée vers la fin dernière de l’homme (ST I, q.82, a. 1 et 2). Thomas rejette en revanche la thèse de la nécessaire motion de la volonté à choisir quelque bien. Cette opinion est non seulement hérétique, contredisant la doctrine chrétienne des mérites et des récompenses, mais elle « subvertit aussi les principes de la philosophie morale » (De malo, q.6). Si l’homme ne décidait pas librement, les conseils, réprimandes, préceptes, interdits, récompenses et punitions seraient en effet vains et la vie en société serait menacée » (p.61). Les pages consacrées à la connaissance de Dieu (p.82-85) sont d’une grande clarté et abordent successivement les preuves de l’existence de Dieu, la triple voie (causalité, éminence, négation) puis l’irruption de l’acte d’être dans la philosophie thomasienne (Cf. Gilson) avec la révélation divine de Dieu comme « je suis celui qui suis », nom divin par excellence.
Le troisième chapitre (p.93-150) présente 13 œuvres choisies :
Trois œuvres ressortent particulièrement de cet ensemble de par leur importance et de par le nombre de pages qui leur est accordé : les Questions disputés sur la vérité, œuvre que l’« on peut à bon droit regarder […] comme l’un des chefs d’œuvre philosophiques de Thomas d’Aquin » (p.96), la Somme contre les gentils ainsi que la Somme théologique. Imbach insiste sur la désignation tardive de la Somme contre les gentils comme « Summa » et sur la conception erronée qui consiste à la présenter parfois comme une œuvre de combat, tournée vers l’extérieur : rien dans le contexte de rédaction de l’œuvre ni dans son prologue n’indique une telle intention. Il s’agit seulement de « manifester (manifestare) la vérité de la foi chrétienne et rejeter les erreurs qui la concernent » (p.108). On sait qu’il est toujours difficile de choisir un nombre limité d’œuvres mais le faible nombre de commentaires d’Aristote présent surprend dans une sélection qui se veut pourtant philosophique. L’absence du Sententia super Metaphysicam paraît difficilement explicable, d’autant plus que 15 ou même 30 pages de plus, qui auraient permis de présenter plusieurs commentaires supplémentaires, n’auraient en rien donné à cet ouvrage de « repères » une taille démesurée.
Enfin, la brève postface explique un détail (en couverture du livre) de la fresque consacrée par Filippino Lippi à St Thomas en l’église de la Minerve à Rome.
Malgré le choix drastique du dernier chapitre, ce livre dont la plus précision et la concision sont remarquables est une utile introduction à la philosophie de Saint Thomas. Le grand nombre de références directes aux œuvres tout au long du livre ainsi que le choix pertinent de la bibliographie (à laquelle l’ouvrage fait aussi constamment référence) en font un outil précieux. On regrettera tout de même que cette réédition mise à jour comporte un certain nombre de coquilles malheureuses dans les références [1].
[1] Quelques exemples :
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