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Il y a quelques jours, nous avons étudié ensemble – dans les pas du professeur Roberto de Mattei, auteur d’un remarquable ouvrage, Vatican II. Une histoire à écrire [1] – le contexte dans lequel un concile général fut convoqué en plein XXe siècle, plusieurs années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Très naturellement, nous nous intéresserons aujourd’hui à l’année 1962, celle de l’ouverture de cet événement planétaire et celle de la tenue de sa première session. Dans trois autres articles, nous nous intéresserons respectivement à « 1963 : la deuxième session », « 1964 : la troisième session », puis « La quatrième session (1965) et l’immédiat après-concile ».
Le livre de Roberto de Mattei fourmille de détails, de notes et de références. Il offre un compte rendu extrêmement détaillé du déroulement des faits, le fil narratif semblant exhaustif. Il a su compléter à merveille les travaux de Giuseppe Alberigo, publiés à la fin du siècle dernier, mais écrits selon un point de vue très tendancieux, plus proche du témoignage que de la science historique. Nous n’allons pas nous attarder sur cette multitude de données, mais simplement rappeler, dans l’ordre, les plus importantes.
La cérémonie d’ouverture de Vatican II se fit le jeudi 11 octobre 1962, dans toute la splendeur de la pompe romaine. Comme de coutume, le pape, en l’occurrence Jean XXIII, prit la parole et donna une allocution pleine d’optimisme, dénonçant les « prophètes de malheur ». Il n’était pas le seul à beaucoup attendre de la multitude de pères conciliaires ainsi rassemblés. Il présenta la convocation de ce concile comme une inspiration qui lui serait venue « presque d’un seul coup ». Le thème de la nouvelle Pentecôte était à peine sous-jacent, comme de nombreux journalistes le relevèrent à l’époque. Parmi les nouveautés « remarquables » – et remarquées –, la présence d’observateurs de l’Église photienne-cérulairienne (que l’on qualifie à tort d’« orthodoxe ») de Russie.
Si les États généraux de 1789 tournèrent rapidement au hold-up, la légalité conciliaire, en 1962, n’aura été rompue… qu’au bout de deux jours. Dès le 13 octobre, en effet, le cardinal Achille Liénart – l’un des neuf présidents du concile – mit son grain de sel pour entraver les rouages imposés par les traditions conciliaires : il fomenta une opposition contre le vote des membres des dix commissions du concile, dans la mesure où les candidats leur étaient proposés à l’avance (160 noms, pour 16 postes vacants…). Le cardinal Tisserant ne put qu’à peine résister : Liénart lit au micro, d’autorité, un texte préparé d’avance, affirmant que les 160 candidats proposés étaient inconnus de tous (mais pas de Rome, pourtant, apparemment…) et que les pères conciliaires voulaient (il s’autoproclamait donc le porte-parole de tous) choisir eux-mêmes leurs candidats… par conférences nationales. Nous nous croirions revenus au concile de Bâle ! Des applaudissements fusèrent d’un côté, près du cardinal Frings qui surenchérit au nom de Döpfner, König et alii. Cet événement n’avait pas d’importance du côté des candidats qui seraient finalement élus, mais surtout par le choc psychologique qu’il créa, au moins inconsciemment. Deux jours et les commissions romaines avaient déjà perdu le contrôle du cours des événements. Conclusion :
Les conférences épiscopales furent ainsi revêtues, à la suite de ce « Blitzkrieg », d’une importance toute nouvelle et particulière. Les prélats français et allemands, mieux préparés et bien organisés, dominaient les débats. Ils avaient plusieurs temps d’avance, et la presse s’emballait en leur faveur.
Le 20 octobre, lors de la troisième congrégation générale du concile, le « Message au monde » du père Chenu fut voté à main levée. Son contenu était aussi vague que son texte était long. Le cardinal Heenan fit remarquer l’inopportunité d’un tel geste : comment un concile pouvait-il avoir quelque chose à annoncer à l’humanité… alors qu’il n’avait pas vraiment entamé ses travaux ? Là encore, certains participants étaient bien préparés, ce texte n’ayant pas été composé en une seule nuit – malgré les apparences… Différents groupes se formèrent dans la foulée : le parti des théologiens (Rahner, Lubac, Congar, Küng, Ratzinger, etc.) avec un vaste « réseau de relations », le groupe de travail de Bologne (Gauthier, Mgr Himmer, cardinal Gerlier, cardinal Lercaro…), et le « petit comité » des « conservateurs » (Mgr Proença Sigaud, Corrêa de Oliveira, Mgr de Castro Mayer).
Avant l’ouverture du concile, des commissions préparatoires avaient produit des schémas approuvés par le pape et devant être présentés aux pères conciliaires. Ces travaux étaient dans le collimateur des progressistes, cependant partagés entre « jacobins » voulant faire table rase de tous les textes préfabriqués et « girondins » réformistes préférant une politique d’amendements sauvages. Certains schemata étaient cependant très novateurs, comme celui dédié à la liturgie. Comme par hasard, contrairement au programme prévisionnel, ce texte fut étudié par l’assemblée en premier, ce qui continua d’inquiéter le cardinal Ottaviani. Les débats se tinrent du 22 octobre au 7 décembre 1962, et la question du latin fut âprement discutée : les progressistes faisaient de la langue vernaculaire leur cheval de bataille. Le 30 octobre, un incident incroyable se produisit : si de nombreux orateurs étaient intervenus contre les novateurs (par exemple le cardinal américain Mc Intyre), le cardinal Ottaviani se décida à parler de manière autoritaire, afin de défendre la messe de toujours. Au bout de dix minutes, le président de la séance, le cardinal Alfrink, apeuré par l’influence que pouvait avoir le préfet du Saint-Office, fit sonner une cloche pour demander poliment à l’intervenant de s’arrêter, puis lui fit couper le micro de manière inattendue, de façon à le ridiculiser. Bien entendu, quelques dizaines d’assistants eurent la délicatesse… d’applaudir. On voit le niveau.
Ce fut ensuite que l’on parla de la concélébration et de la communion sous les deux espèces, défendues par les progressistes à l’aide de toutes sortes d’arguments fallacieux, comme devait l’être plus tard la communion sur la main – à ce sujet, la lecture du livre La réforme de la liturgie, Perpignan, Artège, 2015, de Mgr Annibale Bugnini, enfin traduit en français après plusieurs décennies de déshérence en Italie, est édifiante : les arguments historiques invoqués pour justifier les pratiques nouvelles ont depuis été balayés par les historiens (profanes !), et ce compte rendu du combat liturgique mené par Bugnini a de quoi vacciner ceux qui auraient encore assez d’illusions pour défendre sa « réforme », les perles ne manquant pas. Mais revenons à nos moutons :
Le vieux Mgr Peruzzo, empreint de sagesse et jouissant d’une longue expérience, sans doute lecteur ou du moins connaisseur de certains avertissements de dom Guéranger, grand restaurateur de la liturgie, se heurta aux prélats progressistes en prononçant des paroles d’une lucidité incomparable, rappelant des faits historiques qui devraient être connus de tous :
Dans la confession d’Augsbourg, on ne demande rien d’autre que du chant populaire en vernaculaire pendant la messe. Mais qu’en advint-il ? La substitution de la langue vulgaire pendant la messe, en général, fut le premier acte de la séparation d’avec notre sainte mère l’Église. Cette grave affirmation n’est pas de moi, mais de Dom Guéranger, qui est le vrai père du renouveau liturgique. Voici ses propres paroles : “Pour une raison inconnue que nous ne parvenons pas à nous expliquer, lorsque l’on s’écarte de la langue liturgique, même avec une dispense du Souverain pontife, on aboutit presque toujours à faire schisme et à rompre complètement avec l’Église catholique” [4]. »
On évoqua ensuite la possibilité d’une « messe » œcuménique, avant de s’attaquer – au sens propre du terme – au bréviaire, car « les prêtres d’aujourd’hui ont trop à faire »… Passons… Le schéma fut finalement adopté le 14 novembre 1962, de façon à peu près unanime, et le texte Sacrosanctum Concilium, promulgué l’année suivante, en était le fruit.
Ne craignez rien : vous n’avez pas encore tout vu – tout lu, devrions-nous plutôt dire (ou écrire…). Il était prévu qu’une constitution conciliaire abordât le sujet de la Révélation et de ses sources – la Tradition et l’Écriture, naturellement. Là encore, les discussions furent plus qu’agitées, et grevées de procédés peu évangéliques. Le schéma concocté en commission préparatoire ne plut pas aux progressistes, qui conclurent une espèce de serment du Jeu de paume (Liénart, Congar, Bea…) pour que le texte ne pût être approuvé tel quel. Et ce fut là un véritable attentat, incroyable par son ampleur et par sa portée :
Faire collaborer toutes les tendances, c’était faire une œuvre de synthèse ; cette fameuse synthèse qui suit toute dialectique, hégélienne comme marxiste. Il n’en fallait pas davantage pour que les plus progressistes se sentissent pousser des ailes. L’effet psychologique fut, encore une fois, énorme.
Après cet épisode pour le moins tortueux, la constitution sur l’Église fut mise en discussion. Comme toujours, le texte d’origine, préparé en commission, fut critiqué. Les novateurs étaient soutenus par les médias de masse, qui les faisaient passer pour majoritaires et qui en faisaient des héros – aussi bien que des hérauts du « peuple de Dieu », qu’ils dépouillaient pourtant de toutes ses richesses. À la suite d’une allocution papale, on brandit sans arrêt les slogans d’« aggiornamento » et d’« air frais dans l’Église », afin d’influencer l’opinion publique et conciliaire.
Les résultats de cette première session, en 1962, furent très différents de ceux que l’on était en droit d’attendre. Une minorité avait pris la parole et avait dominé les événements. Les observateurs et les chercheurs ont donné différentes explications à ce phénomène. La première peut être d’ordre sociologique :
Roberto de Mattei adhère profondément à cette constatation d’une action de véritables rapports de forces, et d’un compromis central qui n’est par définition que très peu catholique et difficilement propice à la formulation d’un dogme, comme s’il était presque impossible d’avoir un concile dogmatique en des jours où les méthodes de subversion sont employées à tout-va, par pur opportunisme ou machiavélisme. À ceux qui l’accuseraient de « conspirationnisme », l’auteur répond volontiers :
Vous ne serez pas le premier à être surpris d’un tel début de concile. Les contemporains avaient été nombreux à avoir été déroutés, et il est normal qu’on puisse toujours l’être aujourd’hui. Attendons maintenant de voir ce que nous réserve la deuxième session de Vatican II.
[1] MATTEI (Roberto de), Vatican II. Une histoire à écrire, Paris, Muller Éditions, 2013, 500 p., 25 €.
[2] Ibid., p. 123.
[3] Ibid., p. 146.
[4] Ibid., p. 148.
[5] Ibid., p. 157-158.
[6] Ibid., p. 170.
[7] Ibid., p. 171.
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