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Existe-t-il une bonne mesure dans la subversion ?

27 juin 2014 André Samengrelo

Marie-Josèphe Bonnet, ancienne militante de la cause féministe et homosexualiste, a accordé un entretien au mensuel Causeur pour y évoquer son rejet de la mentalité bourgeoise dans laquelle est tombée la communauté homosexuelle depuis quelques années. Sa pensée consiste à dénoncer cette évolution qui a vu une contre-culture fortement subversive devenir un groupe de pression consacré à implorer l’état pour obtenir plus de droits. Avec une surprenante lucidité, elle pointe du doigt les absurdités qu’introduit cette loi inique du mariage ganymède, en privant le mariage de son but premier et fondamental, et en lui attribuant une fonction totalement artificielle de reconnaissance sociale.
Soyons lucides un instant : lorsque l’odieuse Caroline Mécary, avocate militante de la coterie homosexualiste, rappelle dans une conférence devant un parterre acquis à sa cause que la généralisation portée à l’excès du mariage peut être interprétée comme une étape vers la disparition du mariage, elle montre bien que les manipulations de ces quelques personnages fanatiques mais bien entourés sont toujours orientées vers la destruction et le nivellement de la civilisation occidentale. Cependant, il y aurait un certain dogmatisme à ne pas voir que parmi ceux qui réclamaient cette « avancée sociale », d’autres étaient sincères, et, s’appuyant sur leur profonde méconnaissance du droit, considéraient vraiment cette loi comme un progrès pour la minorité homosexuelle. Et donc, c’est là que l’ancienne militante ne s’y retrouve plus.

Pourtant, elle a beau jeu de critiquer la mutation qu’a connue l’élan homosexualiste qui a vu le jour dans les miasmes de la débauche soixante-huitarde. Comme pour tout mouvement revendicatif (pour le « droit à la différence », ce qui, alors, consistait à demander la « reconnaissance de l’amour entre personnes de même sexe ») et subversif, au-delà du mélodrame télégénique qui ne cesse plus de nous être joué, bien vite, se met en place une imposante machine associative, destinée à organiser la « lutte ».
Ce furent les magazines placardant crânement des photos d’hommes nus, donnant ouvertement dans la pornographie, et assumant pleinement la volonté de s’occuper de la sexualité de ses lecteurs ; ce furent les supercheries flagrantes des mouvements qui, sous couvert de lutter contre le sida, banalisèrent toujours plus l’acte sexuel dans ses formes les plus perverses, au prix de mensonges toujours plus gros (notamment la déformation du message chrétien au sujet du préservatif ) [1] ; ce furent les campagnes utilisant la rhétorique victimaire qui permit de faire rentrer dans l’inconscient collectif l’idée que la société était l’oppresseur fasciste des individus qui se sentaient « différents ».

Ce fut, en somme, tout un monde qui se créa, un monde qui devint presque un passage obligé pour bon nombre d’homosexuels à qui on avait fait croire que la déviance de leur affectivité exigeait qu’on lui consacrât sa vie entière, et qu’on obéît à toutes les pulsions qu’elle suggérait ; un monde qui donna une raison d’être, parfois de vivre, à des hommes et des femmes perdues et manipulées par le chaos naissant. Un monde qui, à la faveur du grand effondrement de la pensée qui marque tout le XXe siècle, parvint à imposer son « progrès » et à effacer les « discriminations » que pratiquait notre civilisation barbare, du haut de ses deux mille ans d’histoire. Qui peut aujourd’hui affirmer que l’homosexualité est réprimée, que la société opprime ceux qui veulent la vivre pleinement ?
Il y aurait justement de quoi montrer que les jeunes personnes qui entrent en lutte, suivant en cela la propension naturelle de l’âme humaine, contre ces penchants déviants, doivent, en sus de la violence de leur chair, faire face à une société qui les oblige, à coups de solidarité obligatoire (se « fondre dans le moule » ferait reculer la cause de ceux qui veulent pouvoir s’assumer au grand jour) à s’y conformer plutôt qu’à les dépasser, jusqu’à en faire leur définition même. Et lorsque certains renâclent à pratiquer une sexualité dangereuse, vaine et fondamentalement violente, des légions d’amis bien intentionnés et autres psychologues anxieux se font un devoir de les y amener tout de même, pour leur éviter la « frustration » si honnie par notre temps.

C’est précisément dans le fait qu’aujourd’hui ces constats trouvent encore des contradicteurs que nous voyons l’erreur de Marie-Josèphe Bonnet. Des gens qui affirment haut et fort que le combat n’est pas terminé, et, pour des raisons obscures, parviennent encore à trouver que la société est hostile à l’homosexualité. La raison en est simple : une fois les objectifs atteints, ce petit monde, qui n’avait jusqu’alors jamais rien fait de vraiment utile, et s’était habitué à vivre grassement sur le dos du contribuable, n’avait aucune envie d’avoir à se trouver une occupation sérieuse pour vivre, et ce d’autant plus qu’il avait considérablement grandi. De plus, tous ceux qui l’avaient rejoint étaient loin d’avoir l’esprit révolutionnaire qu’un petit nombre de gauchistes avaient su mettre à profit dans les premiers temps pour imposer leur idéologie ; la plupart aspirent à une vie tranquille et, il y a soixante ans, auraient vécu une vie abstinente, comme y invite l’Église, ou, plus vraisemblablement, auraient pratiqué leur homosexualité dans la plus grande des discrétions.
En somme, notre ancienne militante se plaint simplement de ce qu’elle se trouve bien seule, aujourd’hui, à souhaiter une vie de perpétuelle instabilité, de continuelle agitation existentielle. Or, si l’homosexualité représente déjà en soi une déviance, il nous faut bien constater qu’elle ne pousse pas nécessairement à vivre dans l’activisme politique le plus compulsif et maladif que semble vénérer Marie-Josèphe Bonnet, et qui n’est que l’un des signes de mal-être de notre temps. Il n’y a pas un camp homosexuel composé uniquement d’agités perpétuels, et un camp hétérosexuel unanimement tourné vers une vie calme dans un cadre solide. L’humanité ne se divise pas entre « homosexuels » et « hétérosexuels », un bon chrétien ne se lassera jamais de le rappeler.

Mais que dire, justement, du fait que ces militants du « droit à l’indifférence » en sont aujourd’hui à réclamer des « droits » qui empiètent clairement sur les besoins des autres, une idée qui était parfaitement étrangère à ceux qui disaient ne réclamer, encore une fois, que de pouvoir vivre de leur côté, tranquillement et sans condamnation, leurs passions ? C’est ici qu’un peu de lucidité supplémentaire ferait du bien à notre semi-repentie : une fois que l’on a, pendant des années, tordu le langage et la réalité, et bombardé les consciences afin de faire accepter à la société comme naturelle une tendance qui ne l’est évidemment pas, comment empêcher qu’on considère cette tendance comme parfaitement compatible avec la totalité des modes de vie ?
En effet, le mariage n’est pas fait pour les couples féconds (ce que révèle l’argument usé jusqu’à la corde des couples-stériles-qui-peuvent-quand-même-se-marier à qui il faudrait donc, pour être fasciste jusqu’au bout, l’interdire aussi) : par modélisation, parce que l’État ne s’embarrasse pas de cas particuliers, il est fait pour les couples hétérosexuels. À travers lui, l’État promeut de fait le modèle de l’union entre un homme et une femme. Et ainsi, lorsque Benoist Apparu et Nathalie Kosciusko-Morizet ont dit apprécier la « reconnaissance sociale de l’homosexualité » qu’accomplissait cette loi (l’un pour justifier son vote favorable, l’autre sa pitoyable « abstention militante et engagée »), ils ont bien montré que cette bataille pour le mariage ganymède ne faisait que prolonger l’entreprise de banalisation de la vie homosexuelle au sein de la société française.
Une fois le citoyen lambda convaincu qu’il a presque un devoir moral de vivre son homosexualité, ceux, et il y en a, qui désirent des enfants, ou s’imaginent (souvent vainement) une vie de « couple » stable ne font que transposer cette affirmation de la normalité de leurs penchants sur leurs propres désirs, qu’on les a préalablement amenés à absolutiser. Peut-être, si ces soixante-huitards n’avaient pas agi par pur nombrilisme, auraient-ils réfléchi à deux fois avant de se lancer dans cette ahurissante opération de bouleversement généralisé des fondements de la société française.

Le problème réside donc bien dans les origines elles-mêmes du mouvement homosexualiste : pour permettre aux homosexuels de vivre en paix l’obéissance à leurs pulsions (et il est loin d’être acquis que tel n’était déjà pas le cas), il fallait faire accepter l’idée que celle-ci était bonne, en tout cas non nuisible. C’est dans ce terreau qu’ont pu ensuite pousser toutes les demandes les plus visiblement absurdes relatives à l’homosexualité ; au fond, on ne peut séparer acceptation générale de l’homosexualité au sein de la sphère privée et promotion d’icelle dans le domaine public ; se battre pour que toute personne un tant soit peu tentée par les mœurs homosexuelles puisse s’y adonner sans entrave, c’était déjà introduire dans la société la subversion, c’est-à-dire la destruction de l’ordre établi pour le bien commun – il est bien étrange que l’on puisse s’étonner qu’une autre subversion en soit issue, et que d’autres se préparent.


[1Aujourd’hui encore, il se trouve des homosexualistes pour clamer que l’Église interdit l’utilisation d’un préservatif lors de rapports sexuels. En réalité, cet interdit ne porte que sur les rapports à l’intérieur du mariage, les seuls reconnus comme bons par l’Église, tandis que dans tous les autres cas, la question de la contraception ne se pose même pas : ils sont eux-mêmes dénoncés comme mauvais. Par ailleurs, au cas où ce message, qui est de très loin le plus important, ne serait pas entendu, l’Église admet en effet que mieux vaut faire en sorte de ne pas ajouter au péché de la chair la transmission d’une maladie qui peut être mortelle. Mais abréger le tout en laissant entendre que, tout en se fichant éperdument de la nature d’un rapport sexuel, l’Église se contente d’y dénoncer le préservatif comme un fétiche du mal est une déformation malhonnête qui, pour avoir malheureusement souvent été prise pour argent comptant, a fait beaucoup de dégâts.

27 juin 2014 André Samengrelo

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