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Jane Austen, plume de l’Angleterre du XIXe

Jane Austen : ce nom évoque pour certains l’auteur de nombreux romans sur l’Angleterre de la fin du XVIIIe et du début XIXe siècle, pour d’autres des films réservés à des jeunes filles en fleurs. Mais Jane Austen est bien plus qu’un simple auteur qui occupe les demoiselles ou inspire les réalisateurs et mérite d’être lue par de nombreuses personnes, en particulier les plus réticentes !

Qui est Jane Austen ?

Jane Austen est une femme de lettres anglaise, ayant vécue de 1775 à 1817 dans le comté du Hampshire. Comme indiqué dans le titre de sa biographie rédigée par Catherine Rihoit [1], Jane Austen est « un cœur rebelle ». En effet, chaque jeune fille de l’Angleterre rythmait ses journées avec des activités d’ordre artistique et éducatif : peinture, chant, littérature et langues étrangères ou encore arts ménagers. Autant d’occupations que devaient maîtriser les petites anglaises de la bonne société pour devenir de jeunes femmes accomplies et ainsi faire un beau mariage.
Jane Austen porte peu d’égard à tout cela et n’y consacre que peu de temps, hormis pour le théâtre, la lecture et l’écriture. Très jeune, elle s’amuse avec sa fratrie à imaginer des petites saynètes qui étaient ensuite interprétées durant l’été dans la grange de leur propriété familiale. De son enfance, nous savons qu’elle aimait, comme ses héroïnes de romans, courir dans la campagne anglaise avec sa sœur Cassandra et son frère Henry, plutôt que de broder des coussins, apprendre le chant et jouer du piano pour les hôtes de ses parents [2]. Un caractère indépendant déjà marqué !
Septième d’une famille de huit enfants, elle reçoit cependant avec sa sœur Cassandra, dont elle est très proche, une instruction intellectuelle convenable pour une jeune fille appartenant à la gentry, bien que les revenus de la famille soient modestes. Inscrite notamment à Oxford, elle se consacre rapidement à l’écriture en rédigeant de courtes histoires, inspirées de ses expériences. De plus son père possédait une grande bibliothèque richement nourrie et autorisait ses enfants, en particulier Jane, à venir y consulter des ouvrages.


Portrait de Jane Austen, par Cassandra Austen soeur de l’auteur.

Ses écrits.

Jane Austen publie ses œuvres entre 1811 et 1816. En 1811, Raison et Sentiments connaît un vif succès, alors qu’il paraît anonymement, puis suivent Orgueil et Préjugés (1813), Mansfield Park (1814) et Emma (1816). Ces romans ne sont pas les seuls à connaître une belle notoriété, car Northanger Abbey et Persuasion seront publiés à titre posthume, ce qui confirme l’émulation créée autour de la romancière.
Ce que nous retenons moins de Jane Austen, c’est la correspondance épistolaire qu’elle entretenait avec sa sœur Cassandre lorsqu’elles étaient séparées, ce qui était rare : de longues lettres où elles se racontent les journées familiales dans le Hampshire, les séjours à Bath que Jane haïssait pour la mentalité mondaine et l’atmosphère peu morale qui y régnaient, ou encore les dernières nouvelles de leur entourage amical avec qui la famille Austen avait l’habitude de sortir.
On suppose que Jane Austen rédigea tout au long de sa vie presque trois mille lettres, pratiquement toutes adressées à sa sœur, qui était sans aucun doute sa confidente. Malheureusement, moins de deux cents lettres furent retrouvées. De fait, la plupart furent brûlées ou censurées par Cassandra Austen, afin de préserver le caractère intime du contenu. Depuis quelques jours cependant - et ce jusqu’à la fin de l’année 2019 - il est possible d’observer un courrier de Jane Austen au musée qui lui est consacré à Chawton, dans sa maison. La lettre, datant de novembre 1814, est adressé à une nièce et évoque une entrevue entre Jane Austen et Thomas Egerton son éditeur, à propos de la publication du roman Mansfield Park.

Son style littéraire et ses sujets d’écriture.

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles. [3]
Cette introduction est l’exemple parfait de la maîtrise stylistique et structurelle dont témoigne Jane Austen, avec une rédaction qui mérite que l’on y consacre une analyse pointilleuse. Le roman débute avec une opposition, qui apporte à la fois la surprise pour le lecteur et la complexité dont font preuve les protagonistes. Ainsi, la romancière anglaise emploie pour sa première phrase un ton autoritaire et pratiquement philosophique : « c’est une vérité universellement reconnue », phrase qui symbolise tout simplement une vérité générale, tous les hommes riches veulent se marier. Pourtant, au fil des pages, nous comprenons que les personnages masculins d’Orgueil et Préjugés semblent bien moins impatients de se marier, contrairement aux sœurs Bennett qui cherchent un mari. C’est là que repose toute l’ironie que Jane Austen manie avec brio. Une ironie qui se mêle pratiquement à de la satire si juste qu’on la remarque à peine selon les mots de Virginia Woolf. Jane Austen traîte certaines situations avec tant de légèreté que ces alternances de style pourraient passer inaperçues.

Un ami, à qui je disais qu’il était très agréable de lire les œuvres de Jane Austen, singulièrement pour sa finesse d’observation sur la naissance du sentiment amoureux, me répondit : « Certainement moins que Flaubert ».

Et pourtant, Jane Austen critique avec cynisme et humour les romans sentimentaux appartenant à la seconde moitié du XVIIIe siècle et embrasse ainsi le réalisme du XIXe siècle. Elle s’amuse de son époque et des codes conventionnels qui régissent la société anglaise et se révèle être un authentique chroniqueur de la gentry, milieu dont elle est issue. L’étude de la gentry est un sujet récurrent dans les œuvres de Jane Austen. Il ne s’agit ni de la noblesse, ni de la bourgeoisie, mais d’un groupe social que nous ne connaissons pas en France. C’est un cercle ouvert et une classe qui se définie par la propriété terrienne. Il n’était pas nécessaire pour les hommes de travailler, mais grâce aux terres qu’ils possédaient, ils pouvaient vivre convenablement avec leur famille. Ces hommes sont des gentlemen, ils sont rentiers, avec une éducation à la fois morale et intellectuelle.
Mais son sujet de prédilection reste celui qui concerne la condition des femmes et la problématique du mariage ! Dans toutes ses œuvres, nous retrouvons des mères nerveuses qui espèrent que leurs filles fassent un beau mariage, des jeunes filles candides qui ne vivent que pour l’imaginaire romanesque qu’elles découvrent dans leurs lectures ou bien des femmes dont la morale légère les conduit à se retrouver déchues de leur rang social. Il faut admettre qu’à cette époque, il était important pour les parents de s’assurer que les filles de la famille, grâce au mariage, pourraient obtenir une reconnaissance sociale et vivre dans un certain confort économique. Charlotte Lucas, personnage fictif du roman Orgueil et Préjugés acceptera d’épouser Monsieur Collins, un pasteur peu élégant mais ayant de quoi apporter sécurité à la jeune femme, répondra à Lizzie Bennet lorsque cette dernière s’étonnera du choix ridicule de son amie : Je devine votre sentiment. […] Mr. Collins ayant manifesté si récemment le désir de vous épouser, il est naturel que vous éprouviez un étonnement très vif. Cependant, quand vous aurez eu le temps d’y réfléchir, je crois que vous m’approuverez. Vous savez que je ne suis pas romanesque – je ne l’ai jamais été –, un foyer confortable est tout ce que je désire ; or en considérant l’honorabilité de Mr. Collins, ses relations, sa situation sociale, je suis convaincue d’avoir en l’épousant des chances de bonheur que tout le monde ne trouve pas dans le mariage.
Ce passage aborde donc une deuxième thématique qu’est le sujet de l’argent dans l’œuvre de Jane Austen. L’auteur porte un intérêt manifeste pour l’argent car il révèle une angoisse omnisciente chez les jeunes filles. D’ailleurs, bien au-delà du cercle des jeunes filles, l’argent est un sujet qui alimente les discussions de la gentry : la rente annuelle du mari, la dot de la fiancée, les dépenses faites pour l’organisation d’un dîner ou d’un bal, le coût de l’entretien d’une demeure, tout est prétexte à parler d’argent et confirme que cela régissait l’organisation des familles à un point tel qu’il vient parfois amenuir la beauté de chaque chose. L’on se souvient de cet extrait d’Orgueil et Préjugés où Elizabeth Bennet est invitée à souper à Rosings, immense propriété non loin du presbytère de Mr. Collins : Chaque parc a sa beauté propre ; ce qu’Elizabeth vit de celui de Rosings l’enchanta, bien qu’elle ne put manifester un enthousiasme égal à celui qu’attendait Mr. Collins et qu’elle accueillît avec une légère indifférence les renseignements qu’il lui donnait sur le nombre des fenêtres du château et la somme que sir Lewis de Bourgh avait dépensée jadis pour les faire vitrer. George Steiner osera même une comparaison audacieuse dans son livre Poésie de la pensée : Jane Austen a de fortes similitudes avec Karl Marx, elle serait même proto-marxiste. Sophie Demir, docteur en langue et littérature anglophone, interprète cette comparaison en évoquant le fait que Jane Austen est fortement intéressée par l’argent et que ce sujet est au cœur des relations humaines dans l’ensemble de ses ouvrages.
Ce qui est davantage plaisant chez Jane Austen, c’est son maniement avec beaucoup d’agilité des sentiments : l’amour, la déception, la frustration, l’angoisse, la tristesse, tout ce qu’elle brosse est tiré de ses expériences. Une déception amoureuse ? Elle se souvient de son amour de jeunesse Thomas Lefroy, juge irlandais qu’elle rencontre lors de l’hiver 1795. Une demande en mariage refusée ? Elle transpose dans son récit son non pour un jeune homme, ami de sa famille. Les soirées mondaines à Londres ? Elle relate les commérages entendus à Bath. Tel un peintre, elle observe ce qui l’entoure et couche sur le papier des personnages qu’elle côtoie et qui deviennent ensuite Lizzie Benett, Monsieur Darcy, Elinor Dashwood, Charles Bingley ou encore Fanny Price.

Jane Austen fut longtemps reconnue en tant qu’auteur uniquement par la fine fleur intellectuelle. Mais dès le XXe siècle, elle est étudiée sous différents angles, comme celui de l’apport historique et de l’analyse sociétale d’une tranche de la population.
Elle sera alors démocratisée et davantage lue. C’est ainsi que l’on découvre chez elle une personnalité à la fois attendrissante et piquante, deux traits de caractère qu’elle donne à la plupart de ses héroïnes.
Elle tombe ensuite dans la culture populaire, les adaptations cinématographiques et télévisées sont nombreuses, en particulier avec la BBC qui réalise des feuilletons plutôt fidèles aux œuvres.
Aujourd’hui, il est autorisé de dire que Jane Austen appartient à la littérature anglaise et que ses lectures permettent d’étudier avec minutie tout une frange de la population.
Espérons que cette femme de lettres gagnera de nouveaux lecteurs, comme les fidèles de Flaubert !

Charlotte de Kerennevel

[1« Jane Austen, un cœur rebelle » par Catherine Rihoit, biographie publiée chez Ecriture.

[2Cette anecdote est rapportée dans une courte biographie sur le site littéraire @LaLettre.

[3Incipit d’Orgueil et Préjugés, traduit de l’anglais par V. Leconte et Ch. Pressoir.

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