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L’église Saint-Merri, une ruine sinistre

Lorsque certains prêtres monteront au Ciel : peut-être s’entendront-ils demander : « Qu’as-tu fait de mon Église ? Qu’as-tu fait des chrétiens qui t’ont été confiés ? Qu’as-tu fait de ton sacerdoce ? » Et hélas, peut-être certains seront-ils contraint de répondre : « J’ai dénaturé la Sainte Messe. J’ai laissé votre Maison, Seigneur, tout à fait délabrée. Je me suis laissé séduire par les sirènes du Monde. » N’importe quel chrétien cohérent ne peut que constater avec douleur que dans la majorité des paroisses de France, qui ne cessent de mettre la clef sous la porte, les églises ne sont plus entretenues, quand elle ne sont pas défigurées. La messe qu’on y dit n’a pas grand chose à voir avec celle d’autrefois, ni avec celle que le Concile et les papes avaient demandée. Depuis longtemps, on n’y a confessé personne. Cheveux blancs dans l’assistance, prêtres âgés sans remplaçants à l’horizon, chorales bêlantes et chevrotantes : le constat est terrible et déchire nos cœurs de catholiques fidèles.

Peut-on laisser faire sans réagir ? Du moins faut-il dresser le constat. Jean Fourastié, dans un article du Figaro demeuré célèbre [1] trouvait des signes d’espérance dans la messe de 11h00 de Saint-Eustache, à Paris. Qu’on nous permette de trouver des motifs de révolte dans la messe de semaine de 12h15 à Saint-Merri -pardon, au « Centre pastoral Halles Beaubourg ». Voici le compte-rendu d’une visite à Saint-Merri, préparé par deux rédacteurs de votre gazette.

***

Arrivés tout juste à l’heure, nous nous arrêtons devant le tympan principal pour photographier des cartons dessinant de vagues silhouettes humaines dénudées. Puis nous entrons. Le bénitier, bien sûr, est vide. Nous nous dirigeons vers ce que nous identifions comme l’autel, devant six rangées de chaises, le reste étant disposé en cercle autour d’une sorte de scène à l’arrière de la nef, et dont la moitié tourne de fait le dos au tabernacle. Alors que nous approchons des chaises alignées pour assister à la messe, nous voyons s’avancer le curé, revêtu d’une aube-sac et d’une vague étole dorée qui traine par terre. Pas de chasuble : le symbole de l’amour divin qui enveloppe le prêtre, c’est déjà trop mystique. L’impression générale qui s’en dégage, c’est la saleté. Il s’approche de « l’autel », en l’occurrence une table en bois à roulettes recouverte d’une nappe blanche. Dessus, répondant à un art particulier de l’asymétrie, un bouquet de fleurs et un gros cierge posés à même la nappe, tout comme les livres liturgiques et les Saintes Écritures, ce qui est formellement interdit. Au milieu, le signe annonciateur par excellence du saccage auquel nous allons assister : une coupelle et un bol en terre cuite, Patène et Calice qui devront recevoir le Saint Corps et le Précieux Sang de notre Seigneur. À côté de l’autel, un ambon en plexiglas digne d’un congrès du Parti socialiste.

Avant d’entrer dans le détail du massacre, il nous faut faire remarquer à nos exigeants lecteurs que certains détails ont pu nous échapper pendant la célébration de la Sainte Messe : l’attention du fidèle peut être détournée par la présence sympathique d’un nombre certain de pigeons qui volètent gracieusement d’une corniche à l’autre, et que leur amour pour la Création empêche les responsables de chasser de la maison du Seigneur.

Naturellement, comme il n’y a personne pour servir la messe, c’est une laïque qui vient faire la première lecture. Après la proclamation de l’Évangile, le prêtre soulève les Saintes Écritures comme un sac de pommes de terre. Le sermon est un verbiage incompréhensible sur la richesse de la différence, la joie de l’amitié, la diversitude et la tolération. Les mots « Seigneur », « Foi », « Église », ont été remarquablement bien évités. Petite originalité, avant les paroles de la Consécration, il ne s’agit plus des « disciples » mais des « amis » auxquels Jésus donne le pain et le vin. Vos rédacteurs sont presque les seuls à s’agenouiller alors que notre Seigneur se rend présent, et les seuls à rester à genoux tout le temps que ceci doit durer, au lieu de se rasseoir n’importe quand. Pas de son de cloche, puisqu’il est inconcevable que l’on baisse la tête un seul instant, et c’est en montrant profondément ses fesses au tabernacle derrière lui que le célébrant, qui n’effectue aucune génuflexion, fait acte d’adoration du Saint Corps et du Précieux Sang du Sauveur. La doxologie, comme dans toutes les paroisses progressistes de France et de Navarre, est dite conjointement par la voix du célébrant et celles des fidèles, au mépris de toute unité et de toute licéité. L’on communie naturellement debout et dans la main, et l’on va ensuite boire à la coupelle le Précieux Sang tendu par un laïc qui s’est servi lui-même auparavant. La messe s’achève sur un très beau « merci à tous ».


Nous redressant ardument de la célébration, nous partons examiner les décorations de l’église : le massacre est total, là aussi. Les autels nombreux de cette église ont tout simplement été privés de leur pierre d’autel. Ils sont recouverts de poussière, lorsqu’ils ne sont pas dégradés. Plutôt que d’y dire la messe, on préfère y empiler des chaises.


Bien que ce soit en général toute l’église qui serve de débarras, il est important de constater que le confessionnal remplit tout particulièrement bien la tâche, puisqu’il serait dommage que les fidèles puissent avoir accès au sacrement de la Pénitence dans le secret s’ils le souhaitent.

Ce qui semble être une interprétation éthérée et moderniste des quatorze stations de la Passion du Christ orne les montants entre les chapelles.

Plus près de l’entrée, de grosses structures en ferraille ou en carton-pâte sont exposées, un grand pan de cuir rouge vif plissé fort esthétiquement côtoie une représentation occidentalisée de Saint Jean Chrysostome assisté par les Anges lors de la Célébration des Saints Mystères.

Un panneau marqué de la pensée profonde de la semaine gâte un beau pupitre en bois.

Petit détail ironique, une des toiles qui font la vraie beauté de cette église dépeint la chute d’un calice et des hosties consacrées dans la poussière. Il semble que les prêtres de la paroisse ne contemplent pas cette œuvre fort souvent. Ce qui est sans doute l’ancien baptistère est fermé et sert de rangement poussiéreux.

Les tables ornées y sont remisées, tandis qu’un stuc disgracieux accueille les papiers divers de la paroisse, dont un prospectus annonce un concert dans l’église, dont les noms des vedettes laissent déjà présager le profond respect qu’ils auront pour la dignité — concédons-le, déjà bien entamée — du lieu.

N’ayant pas eu la chance de tomber sur une des époques où l’église est bariolée de niaises décorations, nous avons tenu à payer de nos deniers deux cartes postales montrant l’ampleur du désastre liturgique qui prend place durant la semaine sainte : des décorations criardes qui pendent des ogives et des voûtes, des mobiles de papier pliés en autant d’oiseaux... De la sobriété qui doit habiter les temples du Seigneur lorsque Son Fils approche de Sa Passion, point. L’église de Saint Merri est de ces églises où l’on va pour se sentir bien, quoi qu’il en soit.

Nous quittons, effarés, l’église de Saint Merri. L’impression de laisser derrière nous une grande galerie mondaine n’en est pas démentie.

Encore quelques photographies pour compléter le florilège :


[1On pourra le lire en cliquant ici. Addendum : un lecteur, que nous remercions, nous a aimablement fait remarquer que le texte était intégralement disponible à cette adresse : http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/actionnationale/src/1973/10/10/1973-10-10.pdf

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