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Le « suicide français », ou les savoureuses quenelles de M. Zemmour 

2014 : L’année de la quenelle ?
« 2014 sera l’année de la quenelle où ne sera pas » C’était en substance ce qu’annonçait, dans son style caractéristique, Mr Mbala, alias Dieudonné, au mois de janvier dernier, dans l’une de ses vidéos qui ont défrayé la chronique - et résisté aux assauts de la Censure du Parti… Que l’on soit sceptique ou non face au personnage et à ses facéties plus ou moins réussies, on est forcé d’admettre que le trublion métissé des banlieues a conquis un public fort large, au point d’apparaitre comme l’une des icônes d’une génération ne souffrant plus la chape de plomb d’un système à bout de souffle, et dont les arrogances ne font que maquer sa vacuité.
Un autre phénomène a surgi cet automne. On pourrait dire, son expression littéraire et raffinée : il s’appelle Éric Zemmour. Lui aussi a grandi en banlieue, né à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et peut - au même titre que l’humoriste d’origine camerounaise - revendiquer une ascendance « exotique », car il est issu d’une famille juive berbère ayant rejoint la métropole au cours de la guerre d’Algérie.

Grand adepte lui aussi du hors-piste et rompu aux « dérapages », Zemmour fait à son tour trembler le système que nos bien-pensants essaient, tant bien que mal, de préserver à coup de rustines et de mauvaise foi. Son livre a beau faire cinq cents pages et coûter plus de vingt euros, les gens se l’arrachent et les plateaux télévisés – temples de la pensée unique – doivent, bien malgré eux, ouvrir leurs portes à celui qui leur rapporte l’argent que leurs programmes niais et vains ne parviennent plus à faire venir : vive « Mammon » et ses apôtres serviles…

Pas de remède sans diagnostic…
Les médecins savent bien que la guérison de leur patient passe par une étape décisive : le diagnostic. Ce n’est pas le moment le plus facile d’ailleurs que d’annoncer à son patient qu’il souffre d’une dépression chronique depuis 40 ans, et d’un comportement suicidaire. Mais n’est-ce pas justement le moment pour les Français de prendre conscience du mal dont ils sont atteints ?
Après Nietzsche qui déclarait « Dieu est mort. Et nous l’avons tué », Zemmour nous somme de voir le mal en face : « La France se meurt, la France est morte » et ce sont nos élites qui la tuent ou l’ont tué. En effet, « nos élites politiques, économiques, administratives, médiatiques, intellectuelles, artistiques crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant. » Cette phrase choc se situe à la toute fin du livre, à la dernière page, où il déplore le cynisme de ces mêmes élites, qui écrivent d’un air las et dédaigneux, « les dernières pages de l’Histoire de France » (p 527)
Le diagnostic est posé par le médecin, avec une réserve, et peut-être une lueur d’espérance. De fait un doute subsiste : s’agit-il de la simple autopsie du cadavre d’un pays qui n’est plus, ou bien est-ce le soubresaut d’un corps encore agonisant ? « La France se meurt, la France est morte ». Le docteur Zemmour hésite à trancher… A propos de « trancher », penchons-nous maintenant sur la « tête » de ce « père de la nation » qui est au cœur du début de l’ouvrage…

Le meurtre du père…
L’une des idées phare de l’ouvrage réside dans la notion du parricide, dont Freud à bien montré les ressorts inconscients dans son ouvrage « Totem et Tabou ».
Pour Zemmour, l’acte de naissance de ce « suicide français » correspond à ce qu’il considère comme le meurtre du dernier « père de la nation » : le général de Gaulle, qui « clôturait la glorieuse série des hommes providentiels français ouverte cent cinquante ans plus tôt par Bonaparte, spécialité nationale comme le camembert ou le Gevrey-Chambertin » (p 21). Zemmour mentionne un peu plus loin, mais sans trop s’attarder, la décapitation de feu Louis XVI qui devait annoncer la mort de tous les pères (p 29). Le gouvernement de De Gaulle et la Ve république monarchique qu’il avait fondée constituaient la dernière tentative de réhabilitation du Père de la famille France : « En remettant la tête d’un père suprême sur le corps de la nation, il avait rétabli celle de tous les pères  » (p 29)
Cette assertion permet d’établir un lien avec le deuxième chapitre, le meurtre du « père de la nation » correspondant au meurtre du « père de famille ». Le terme de « patrie » peut ici nous aider à comprendre ce lien, la « patrie » désignant au sens étymologique « la terre des pères ». Sous-entendu la terre des pères de famille…
L’idéologie soixante-huitarde est selon Zemmour ainsi coupable autant du parricide de la nation que celui de la famille, relayée bien sûr par ces « curés de la bienpensance » que sont les féministes, ultralibéraux ou libertaires. Ou tout simplement paumés…
Oui, la jeunesse d’aujourd’hui a tout pour être une jeunesse de « paumés » et de déracinés à qui on a refusé la transmission de cet immense héritage culturel et social qui s’est constitué au fil des siècles et que les générations précédentes s’étaient transmis [1].
Mais voilà, sans le « père » la transmission en prend un coup. Tel est le drame de notre époque où la figure paternelle, associée nécessairement au paternalisme despotique, est malmenée, et avec lui ses prérogatives sempiternelles d’autorité, de raison et d’ordre. Sur ce point le rôle de l’Éducation Nationale est crucial comme vecteur et pôle de formatage idéologique. Nous renvoyons ici à la lecture du second chapitre de l’année « 1976 » (p157)
On l’aura compris, au meurtre du père répond une féminisation de la société à laquelle Zemmour a consacré un ouvrage : Le Premier sexe, publié chez Denoël en 2006, répondant au Second sexe de Simone de Beauvoir. L’avènement du lobby gay n’est que l’une des conséquences de cette féminisation profonde de la société - phénomène par ailleurs vivement encouragé par le capitalisme régnant, qui a besoin de toujours plus de consommateurs de vêtements et maquillages en tout genre…
On peut regretter toute fois que Zemmour n’aille pas un peu plus loin dans cette sorte de généalogie du parricide. Oui, il semble un peu sous-estimer la portée dramatique dans l’histoire de France du terrible régicide de 1793 et, plus fondamentalement, du triomphe de l’idéologie des Lumières. Laissons ci la parole à un prêtre pour nous emmener sur le terrain du sacré…

Le parricide suprême…
« En renversant la royauté, on s’imaginait libérer le peuple d’un despote et affranchir un pays opprimé. A la vérité, en décapitant le roi, on décapitait symboliquement la France. On séparait la tête – le roi – de son corps – la nation. On tranchait le lien séculaire qui unissait une famille à toutes les autres familles de cette terre de France. Plus encore, on dénonçait le pacte millénaire passé à Reims entre la Sagesse éternelle, représentée par l’Église en la personne de l’évêque Saint Rémi, et le chef franc Clovis, fraîchement converti à la foi véritable pour le bonheur de ses peuples et de la nation qui y prendrait racine. » Nous empruntons ces mots à l’abbé Eric Iborra (un autre Eric… !) qui prononça une homélie magistrale (comme à son habitude) à l’occasion du 21 janvier 2014. Jour de triste mémoire…
On comprend ici qu’en s’attaquant au père de la famille française, les révolutionnaires s’attaquaient aussi et surtout à la figure de Dieu le Père. Comme s’il leur fallait tuer Dieu une seconde fois ! Oui, l’idéologie des Lumières est profondément allergique à toute figure paternelle. À commencer par son sommet, le Père et Créateur de toutes choses. Kant ne définissait-il pas lui-même les Lumières comme la « sortie pour l’homme de l’état de minorité » dans lequel il s’était lui-même fourvoyé…
Triste projet que de s’éloigner de cette divine tutelle… Sur ce projet de « régénération » de l’humanité par les idéologues des Lumières, nous recommandons vivement la lecture du récent ouvrage de Philippe Pichot-Bravard : La Révolution française ( Via Romana, 2014) et celui plus ancien de Jean de Viguerie, Les deux Patries, (Dominique Martin Morin, 1998)
Puisse Zemmour prendre la mesure d’une telle rupture dans l’histoire de France, qui a ouvert la voie à « toutes ces idées chrétiennes devenues folles »…

Le combat culturel …

Dans cette entreprise de « déconstruction des déconstructeurs » qu’il ne cesse de revendiquer Zemmour s’appuie sur une notion désormais classique depuis Gramsci : « le combat culturel précède la victoire politique ». Cette dimension, omniprésente dans son livre, lui permet de mettre en évidence la victoire culturelle de l’idéologie soixante-huitarde qui a su investir tous les domaines de la culture (Littérature, art, musique, cinéma, télévision, modes vestimentaires, etc.) pour faire passer ses idées. L’Éducation Nationale fait office de canal privilégié pour répandre un venin que nos « chères petites têtes blondes » se doivent d’ingérer au plus vite… toute culture classique étant bien évidemment bannie, renvoyant nécessairement à un déterminisme insupportable : « l’histoire n’est pas notre code » !

Dieudonné/ Zemmour : icônes triomphantes d’un système épuisé

Dans des styles bien différents, Dieudonné et Zemmour ont tous deux révélé les failles d’un système issu de mai 68 (avec des racines bien plus anciennes comme nous l’avons vu) en voie d’implosion. L’année 2014 retiendra aussi bien la « quenelle » que le « suicide français » servis par les deux « chefs » à nos élites, chacun à leur sauce - quenelles que ces mêmes élites auront d’ailleurs bien du mal à digérer… Deux emblèmes du politiquement incorrect qui font trembler le système ayant tous deux usé habilement du pouvoir faramineux des médias (plutôt « traditionnels » du côté Zemmour et internet du côté Dieudonné). Drôle de couple médiatique il est vrai mais ils ont au moins en commun d’avoir cette année fait vaciller le carcan politico-médiatique en mobilisant d’importantes troupes autant déterminées qu’éclectiques.

Le changement c’est maintenant !
Oui, un système s’effondre. Et c’est une bonne nouvelle car il faut que les choses changent. Non pas de ce changement utopique vanté par les fossoyeurs de la France, qui n’est qu’une fuite en avant vers l’autodestruction, mais de ce changement auquel Jean Paul II faisait allusion lorsqu’il appelait à bâtir une civilisation de l’amour, enracinée dans l’histoire et portée par l’espérance.
Laissons ici la parole au grand Gustave Thibon qui encourage la jeunesse à se mobiliser pour un changement véritable : « Il faut épouser son époque, bêlent en chœur les amants serviles de la mode et de l’opinion. Certes, mais non pour adorer ses tares ni pour obéir à ses caprices : pour la redresser au contraire, l’éduquer, la féconder en la pliant aux exigences immuables de l’être humain. C’est le sens du mot de l’Apôtre : Redimere tempus. Car l’histoire n’a de sens que celui que nous lui donnons. » (G. Thibon, extrait d’un article sur Charles Maurras)

Pour finir…

Nous conclurons cet article par un bel extrait de George Bernanos qui peut faire figure de prolongement à la réflexion pessimiste de Zemmour…Une réflexion sur l’espérance, « cette petite fille de rien du tout » comme disait Peguy…
« Qui n’a pas vu la route, à l’aube entre deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance. L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme…
On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.
 » (Bernanos, conférence, 1945)

C’est, nous en sommes convaincus, dans la vertu théologale d’espérance que se trouve le véritable remède, celui qui permettra la guérison de notre pays moribond. Puisse le beau pays de France, tel le phénix, renaitre de ces cendres et rayonner de nouveau sur le monde au service du Bien commun.

Pierre de la Taille
Fondateur du blog France-Histoire-Espérance


[1Lire sur ce point le dernier ouvrage de François-Xavier Bellamy : Les déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon, 2014

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