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« La civilisation d’un pays, fondamentalement, se compose d’une infinité immense d’éléments. Il n’y a pas un fait ou une chose de la société humaine qui ne puisse pas constituer un matériau pour la civilisation. […] Les baguettes sont un produit de la civilisation. L’utilisation de celles-ci est aussi un résultat de la civilisation. De même pour leur fabrication et leur négoce. Et cela est encore plus vrai pour tout ce qui est au-dessus des simples baguettes. Plus ces faits et ces choses sont nombreux, plus il est possible de montrer la hauteur d’une civilisation. En bref, la diversité des choses humaines donne le degré d’épanouissement d’une civilisation.
« Il ne faut pas, par conséquent, penser aux mille choses humaines comme des choses répugnantes si l’on veut faire progresser la civilisation. Il est au contraire nécessaire de les encourager afin d’encore plus les multiplier et les diversifier.
« Il y a tout juste vingt ans, un repas composé de deux soupes et cinq légumes représentait un véritable festin. Aujourd’hui, nous pouvons manger jusqu’à la cuisine occidentale. L’expérience du goût de cette cuisine par notre peuple, qu’il la trouvât bonne ou mauvaise, a permis d’accroître notre vision du monde et, ainsi, de faire progresser la civilisation [1]. »
Ce point de vue sur la civilisation peut avoir de quoi étonner, voire choquer, par son apparent matérialisme nauséabond, matérialisme qui tendrait à résumer la civilisation par sa prospérité matérielle. En réalité, cette vision de la civilisation à la japonaise au dix-neuvième siècle nous donne des indications précieuses sur les travers occidentaux dans leur relation aux choses matérielles et à l’esprit.
Il est en effet bien difficile pour un Français déplorant la décadence contemporaine de considérer les objets comme étant des œuvres d’art produites par la main et le génie humain, matérialisant un esprit et un talent. Et pour cause, les illuminés et leurs successeurs contemporains ont voulu usurper les œuvres humaines, matérialisation du spirituel, afin de les détacher complètement de toute source transcendante et d’en faire ainsi un simple et bien triste matérialisme et suffocant progrès. Cette usurpation coupable veut faire croire que la prospérité matérielle et les découvertes techniques sont l’apanage d’un massacre de l’esprit, des mauvais sentiments humains tels que l’envie jaloux, le désir débridé, la satisfaction des bas désirs, dans ce qu’ils appellent vilement la consommation, et que tout cela ne fut possible que par le détachement de l’homme du Ciel et de la Terre.
Le Japon, heureusement, nous montre la fausseté de toutes ces tentatives d’usurpation manichéenne, car c’est un pays qui n’a jamais coupé le lien spirituel, voire l’a toujours privilégié, sans que sa prospérité matérielle en fasse les frais : au contraire, comme le dit le Pr Fukuzawa, l’esprit débordant et la visée du bien ont permis de matérialiser le génie dans un nombre incalculable d’œuvres. La seule chose importante réside dans l’esprit, et non dans l’objet : au Japon, les biens ne sont pas considérés « bons » si se trouve effacé le génie humain, cet aspect « chef-d’œuvre » que nos aïeux ouvriers et artisans connaissaient pourtant si bien. Et cela jusque dans les procédés industriels les plus complexes et sophistiqués. La Révulsion et la Raie publique ont tenté, pour l’instant plutôt victorieusement, de faire croire que les réelles découvertes des deux derniers siècles étaient le fruit d’une pensée mortifère, alors qu’elles étaient le fruit de siècles de pensée vivifiante et spirituelle qui continuait de perdurer chez les personnes qui découvraient. Après presque deux siècles de stagnation quasi ininterrompue, surtout au vingtième siècle, de pensée délétère, on commence à se rendre compte des dégâts occasionnés sur l’art, la technique et l’invention ; si des génies de la qualité du dix-neuvième siècle parviennent à émerger tout de même, ils ne seront ni aussi nombreux qu’auparavant, en proportion, ni ne le devront à l’appareil public suceur de sang. Ils le devront le plus souvent à un réveil brutal et violent, si ce n’est à un esprit familial ou patriote qui perdure encore par-delà les siècles face à l’invasion mortderniste.
Le second aspect essentiel, qui se trouve dans la civilisation perçue comme multiplicité des œuvres humaines matérialisant l’esprit, réside en une saine vision de la diversité. Horrible diversité revendiquée par les fous qui ne la voient que comme intrusion, violence faite à tous, et moyen de détruire en fait toute réelle multiplicité, différence et intégrité des personnes. Cette fausse diversité est un attentat fait aux personnes pour qu’elles deviennent finalement de simples individus, consacrés – et souvent sacré cons – à l’appareil d’État pour l’engraissement de quelques-uns et pour la mort de l’humanité… Tout réside dans cette terrible volonté de vouloir uniformiser l’homme selon un modèle. Diversité officielle, avec des individus différents par décrets, soit par leur naissance, les immigrés – ce qui est d’ailleurs toujours comique puisqu’en dénonçant les discriminations, ils ne font que souligner les différences de naissance, ou illusoires et fabriquées par la démesure humaine – comme les stupides identités diverses qui n’existent que dans les fantasmes de tristes esprits chagrins. Dans tous les cas, l’homme-individu n’est plus qu’un outil que l’on peut donc violenter, utiliser, manipuler, afin de le faire entrer dans une cohérence et logique folles car sans esprit, et donc totalitaires, ainsi que dans l’appareil-système qui en résulte, dans une lutte incessante de tous contre tous.
Tout cela est évidemment absurde. On revendique la diversité pour encourager l’uniformisation réelle de tous au nom d’une soi-disant égalité. Comme cela est impossible et démoniaque, la violence devient un recours obligatoire. Cette équation simple explique une grande part de toutes les violences que les personnes subissent dans notre pays, que ces violences soient morales ou physiques, imposées subrepticement ou frontalement, par un appareil, des individus ou par soi-même.
L’inversion de la diversité est complète. En fait, la multiplicité est bonne en ce qu’elle signifie, comme le sous-entend notre professeur nippon, intégrité des personnes ou, autrement dit, possibilité pour les personnes d’être entières. C’est-à-dire que l’unicité de tout homme lui fait marcher à sa façon sur le grand et large unique chemin du Bien, que personne sur cette Terre ne peut connaître entièrement. Ainsi, une civilisation prospère, c’est-à-dire qui marche vers le Bien mieux que les autres, possède une multiplicité de personnes entières.
Le schéma est inversé : nos société modernes possèdent une fausse diversité d’identités dans lesquelles chacun doit entrer de force, derrière une uniformité-égalité d’un homme sans esprit creusant dans sa tombe. Plus d’esprit, plus de Fin ; que des moyens, que du relativisme absolu dans ce qui revient en fait à un encouragement constant au mal. Une société civilisée, au contraire, possède quelques principes-fins communs à tous par l’incarnation du roi et, face à cela, chacun peut être entier, et donc posséder une multiplicité d’identités. Ce que l’on appelle « contradictions » dans les sociétés modernes est richesse de l’esprit dans la grande aventure humaine des sociétés traditionnelles. Ainsi, l’esprit prospère se matérialise dans des œuvres variées qui, dans le meilleur des cas, dépassent de loin le nombre d’habitants, puisque chaque personne entière et cheminant sur le bon chemin à sa façon, réalise autant d’œuvres qu’il lui est possible, selon ses talents propres.
[1] Yukichi FUKUSAWA, Teishitsu-ron (帝室論), Tokyo, Dantai hônin Mukyû Kaihenn, 2009 (1882), chapitre 10.
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