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Nouvelles Causeries japonaises — De la monarchie en Amérique

Nouvelles Causeries japonaises

VI — De la monarchie en Amérique

À Hiyoshi

Les États-Unis ne laissent pas d’étonner la planète par leurs incontestables succès. On peut critiquer leurs pratiques, leur influence et l’invasion d’une culture incompatible avec l’esprit de la vieille Europe mais, quoiqu’il en soit, il n’en reste pas moins vrai que les États-Unis montrent l’exemple d’une démocratie qui réussit avant tout à respecter ses valeurs.
À la différence de l’Europe aux nations moribondes, les États-Unis, malgré des conditions géographiques et ethniques difficiles de par leur diversité et leur variété, parviennent à réunir l’ensemble des Américains autour de valeurs et de symboles. Il semble que ce pays préfère, au fond, la liberté à l’égalité, et le respect de la différence à l’uniformisation.
Une démocratie victorieuse, dont le régime n’a jamais changé au hasard d’une grande convulsion, une cohésion qui semble prendre toujours le pas sur les divisions partisanes : cela pourrait être des faits gênants quand l’on sait les dégâts que provoque la démocratie de ce côté de l’Atlantique et que l’on connaît les bienfaits de la monarchie sur cette cohésion nationale. Comment légitimer la monarchie lorsque les États-Unis montrent l’exemple éclatant d’une république paraissant éviter la spirale infernale des pires défauts de la démocratie ? Le problème n’en est en fait pas un. Voyons donc pourquoi.
Il faut tout d’abord remarquer que les tendances mortifères et sous-jacentes précocement repérées par Tocqueville, comme la dictature de la pensée, à cause de l’égalisation des conditions, restent tout à fait vraies. Le grand Tocqueville, qui ne juge point, constate des évolutions, prévient des risques possibles, mais reconnaît que l’égalisation des conditions semble irréversible, à commencer en Europe. Ces observations, néanmoins, n’impliquent rien par rapport au système politique ou à la place du sacré, et n’entrent pas en contradiction avec l’existence d’un royaume : elles tendent à faire comprendre des phénomènes afin que les contemporains puissent prendre les meilleurs décisions possibles pour éviter des méfaits qui s’appelleront plus tard totalitarisme, socialisme, etc.

Le premier point important à remarquer quant aux États-Unis est que ceux-ci constituent une fédération plus traditionnelle qu’il n’y paraît. À la différence de notre maudite république, véritable religion désincarnée et tyrannique, leurs institutions n’ont rien de systématique et restent pragmatiques. Pour preuve, lors de la création des États-Unis, l’option d’en faire une monarchie, plutôt qu’un système présidentiel, a été considérée.
Au contraire du jacobinisme gaulois, les États-Unis présentent au moins quatre éléments extrêmement traditionnels. Le premier réside dans la reconnaissance du divin au-dessus des hommes, reconnaissance qui nie en pratique la souveraineté populaire telle quelle est énoncée dans les discours : outre le serment du président sur la Bible, il est rappelé dans la déclaration d’indépendance que l’homme est une créature de Dieu. En pratique, il est reconnu que l’homme n’est pas Dieu, et qu’il existe des mystères, tout simplement. La souveraineté divine est sauvée in extremis.
Le deuxième élément absolument traditionnel est la place de la liberté, (freedom), aux États-Unis : il serait plus exact de traduire cette notion par libertés au pluriel, notion qui correspond aux libertés féodales octroyés aux sujets, aux villes, aux états. Les libertés protégées aux États-Unis ressemblent en effet bien plus à la protection de privilèges octroyés, comme le port d’arme, plus que d’une sorte de concept désincarné et totalitaire poussant à croire que la liberté ultime, c’est de s’auto-censurer et de changer sa pensée, ce qui est à cent lieues des coutumes américaines.
Le troisième élément discriminant correspond à la culture démocratique dont l’élection n’est qu’une sorte d’avatar fonctionnant plus ou moins bien, et plutôt moins avec l’augmentation de l’échelle. L’élection s’incarne ici avant tout dans l’habitude locale de s’engager dans une communauté et dans un service, comme il était de coutume dans le sociétés traditionnelles.
Le quatrième et dernier élément se trouve dans le rôle tout paradoxal de la fédération, dont les compétences, malgré la tendance totalitaire contenue dans la notion de souveraineté populaire, restent étonnamment circonscrites aux fonctions régaliennes. Les États-Unis, malgré l’illusion d’un président élu au suffrage universel, contrecarrent l’effet démocratique par un système purement fédératif qui, lui, souligne l’existence de chaque État (avec son lot de spécificités) comme un membre à part entière de la fédération, sans regarder le nombre d’habitants, la richesse ou autre chose.
Les États-Unis offrent ainsi des aspects fortement traditionnels. Mais, pourquoi, alors, n’est-ce pas une monarchie ? Du fait de l’histoire exceptionnelle de leur fondation, fait unique dans l’histoire de l’humanité. Ce fut la première fois, et sans aucun doute la dernière, que la fiction de la fondation ex nihilo d’une nation fut possible : de vastes espaces pour de nombreux hommes qui, s’ils ne niaient par leur histoire familiale européenne, partaient tous du même point de départ, et étaient partis au loin justement en cherchant l’absence de sociétés formées. L’égalité des conditions était avant tout une sorte d’équité de situation spirituelle qui permit la fondation d’une fédération sans nier le droit des communautés à s’organiser comme elles l’entendaient. La guerre de Sécession montre évidemment que des tendances totalitaires existèrent aussi, mais les deux attractions se sont toujours incroyablement contrebalancées, quand l’on sait la force destructrice de la souveraineté populaire et de l’égalité. Le pays n’avait effectivement pas d’histoire(s)...

Cela dit, les États-Unis commencent à avoir une histoire, maintenant, et il est typique qu’ils ne la nient absolument pas, à la différence de la république en France, république qui subsiste par la négation perpétuelle de toute histoire, de tout passé et par là de toute œuvre commune. Outre-Atlantique, pour cause de jeune régime, les Américains n’avaient justement pas assez de matière, pendant longtemps, pour faire de l’histoire. Mais cela change...
L’histoire faisant des États-Unis une nation devenant de plus en plus puissante, il n’est pas douteux que la possibilité que cette dernière devienne une monarchie s’affirme de plus en plus. Les éléments traditionnels de cette fédération appellent cela : par simple mécanique d’accumulation d’expérience historique, la tradition s’affermira et, par un processus imprévisible, la société deviendra de plus en plus monarchique. Que cela se traduise un jour ou l’autre par l’avènement d’une famille coagulatrice de la nation reste dépendant des circonstances historiques et spirituelles du pays, et se joue sur une construction opérée par de multiples générations.

Je vois venir de loin les critiques de toutes ces bonnes volontés qui abhorrent les États-Unis pour leur influence néfaste sur nos sociétés européennes. Simplement, reconnaître des faits à propos d’un autre pays ne signifie rien par rapport au nôtre : à nous d’en faire quelque chose de bien. Le rejet systématique, comme l’adoption inconditionnelle, sont des postures intenables et typiques du mal occidental.
Les Japonais rappellent que tout peut être digéré à une sauce locale, sans qu’il y ait à subir d’influence. Forcés ou non, la faute d’abandonner un pouvoir essentiel est toujours la nôtre. Il faut simplement sortir d’un schéma délétère et socialisant répartissant les rôles entre dominants et dominés. Cela est absurde : tout ce qui compte réside dans la capacité à adapter et à digérer ce qui nous semble bon, sans forcer les autres, sans refuser en bloc, mais sans copier-coller. Les abeilles font leur miel de toutes les fleurs.
Au Japon, tout est japonais, de façon indéniable, et, pourtant, il est difficile de trouver quelque chose ayant une origine purement japonaise ; et, malgré cela, tout ce qui est au Japon ne se trouve qu’au Japon, car il y a toujours une marque japonaise. Comme là-bas, apposons notre griffe sur tout ce qui vient d’ailleurs, faisons du à la française. De cette façon, il ne serait plus besoin de rejeter ou d’accepter caricaturalement telle ou telle chose : il suffirait de rester ancré dans la réalité et d’éviter l’idéologie.
Pour finir, voici une petite réflexion sur l’influence d’une nation, influence qui, pour certains, correspondrait à une relation de maître à esclave, et pour d’autres à rien de bien particulier si ce n’est une ouverture tranquille, sûre de sa propre force... Cette réflexion illustre à quel point le schéma marxisant du rapport de force est prégnant :

« Le paradigme de l’influence subit récemment de nombreuses critiques en ce qu’elle attribue un rôle dominant à la culture "donatrice" et sous-estime la culture "influencée". Il semble qu’à l’heure actuelle une anxiété due à ce mot, devenue presque un tabou, confine toute personne qui se trouve à utiliser le mot banni à une grande gêne. De nouveaux termes historicistes comme "négociation" ou "appropriation" [semblent plus convenables]. [1] »

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Wiebke DENECKE, Chinese Antiquity and Court Spectacle in Early Kans, The Journal of Japanese Studies, volume 30, n°1, 2004, p. 98 :« Recently, the influence paradigm has come under increasing attack because it attributes a dominant role to the “giving” culture and understates the active and creative contribution of the “influenced” culture. At present, an “anxiety of influence,” almost a taboo on the expression “influence,” seems to trigger embarrassment in whoever is caught using the ostracized word. [...] New historicist terms as “appropriation” and “negotiation” [...] »

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