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Nouvelles Causeries japonaises — La langue japonaise ou le kamikaze contemporain

Nouvelles Causeries japonaises

I – La langue japonaise ou le kamikaze contemporain

À Hiyoshi

Les vents divins japonais – kamikaze – protègent toujours l’archipel contre l’invasion mortifère de la modernité. Ils ne repoussent certes plus les flottes ennemies de manière providentielle, comme par le passé, mais ils repoussent les fumées empoisonnées de nos sociétés décadentes, fumées qui ne parviennent heureusement pas à s’insinuer dans les esprits insulaires.
Le kamikaze irréductible, celui qui protégera à jamais, espérons-le, le tennô [1] et ses sujets, est nommé de façon réductrice la « barrière » de la langue. Il n’est pas innocent qu’une des premières mesures de l’envahisseur américain après guerre fut de supprimer les kanjis – caractères chinois – qui leur semblaient bien trop compliqués et les empêchaient de violer ce sanctuaire éternel qu’est le Japon. Il est encore plus significatif que la première chose que firent les Japonais fut de rétablir ce même système idéographique et, le temps avançant, de durcir les exigences et le nombre de caractères officiels.
La langue nipponne est une protection extraordinaire pour la pensée et la sensibilité japonaises. Elle possède le double avantage d’empêcher une intrusion étrangère malintentionnée et de développer un esprit véritablement humain.

Commençons par présenter les qualités intrinsèques de cette langue qui protège le Japon de l’intérieur contre les poussés dissolvantes de la pensée révolutionnaire occidentale.
Le japonais possède à la fois l’avantage d’être une langue abstraite, comme le français ou l’allemand, avec une grande liberté de composition syntaxique et une riche grammaire permettant d’exprimer un éventail de pensées et de sentiments à la variété époustouflante, et la bénédiction d’un vocabulaire quasiment infini, du fait de l’hybridation permise par les kanjis : ces derniers donnent à la fois une possibilité combinatoire conséquente et un panel de concepts tout aussi grand.
Le japonais a ceci d’extraordinaire qu’il transpire l’histoire : à la différence du français, il est impossible d’ignorer l’étymologie d’un mot, étymologie que les kanjis illustrent littéralement. Cette langue porte aussi l’empreinte d’une diversité se traduisant chez nous par les exceptions orthographiques et témoignant de l’histoire linguistique par une hybridation complète de termes purement japonais et de mots chinois japonisés.
Pour bien comprendre cet aspect des choses, il faudrait s’imaginer le français pouvant également s’écrire avec des idéogrammes chinois. Sans qu’il y ait de systématisation, les auteurs commenceraient à remplacer certains mots par un idéogramme adéquat. Je pourrais ainsi écrire « 馬 » à la place du mot « cheval », afin d’aller plus vite. L’écriture japonaise s’est constituée ainsi, d’abord par utilisation du sens des kanjis pour remplacer des mots pouvant toujours s’écrire de façon syllabique, traditionnelle. Puis, de fil en aiguille, et en fonction des hasards de l’histoire et de la connaissance des auteurs ou de leurs fantaisies, de nombreux mots ont été fabriqués, combinés, mêlant japonais et origine chinoise, mêlant légendes japonaises et chinoises... En résulte une jungle inextricable d’expressions, de tournures, de proverbes, de mots. Le japonais n’a pas cessé de s’enrichir depuis quinze siècles, sans jamais vraiment régresser, en accumulant sa propre histoire. Le japonais incarne quotidiennement et partout l’histoire du Japon.
Ce kamikaze protège aussi les langues locales, patois japonais, qui n’ont jamais disparu et existent toujours, comme en témoigne l’infinie variation d’un même mot un peu partout à travers le Japon. Du patois peut parfois entrer dans la langue commune.
La République française s’est au contraire évertuée à détruire nos langues, et elle y a réussi, appauvrissant d’autant nos pensées en détruisant nos racines ; la perte est irrémédiable, car ce genre de patrimoine ne vaut que par sa vie et sa continuité dans les âges, et il ne peut pas être ressuscité ex nihilo par de simples bonnes intentions. S’il n’est pas déjà usage et coutume, une pseudo-résurrection utilisera les mêmes procédés révolutionnaires de destruction, c’est-à-dire la force et la contrainte. Interdire de parler patois comme le faisait la Troisième République revient au même que de forcer quelqu’un à parler un patois recréé de toutes pièces.
Ce kamikaze linguistique inculque de la discipline, car les kanjis exigent un travail quotidien et infini faisant prendre conscience de l’importance de l’effort et de la richesse de la langue. Cette discipline, au contraire de ce que disent les mauvaises langues, n’endoctrine pas : elle fait au contraire prendre conscience de la nécessité de maîtriser et d’accumuler de l’expérience pour pouvoir se rapprocher de l’excellence. La chance du japonais est de contenir dans sa structure même une exigence de discipline, prérequis de l’excellence.
Chez nous, un laxisme destructeur fait croire que la langue française n’exige pas de travail. Résultat : pauvreté d’âme et d’esprit, pauvreté qui, non contente de ne rien connaître de notre culture, ne sait même plus les subtilités de la langue, ce qui réduit d’autant la possibilité de penser et joue défavorablement sur l’ouverture au mystère.
La langue n’est pas qu’un système de mots que l’on assemblerait mathématiquement. Elle est tributaire de la finitude et du mystère de l’homme, et c’est ce qui rend profonds certains textes. La superficialité de notre langue contemporaine illustre notre superficialité d’individus incapables de sentir les mystères. L’aveuglement langagier dont nous sommes victimes trouve sa source dans la putride objectivation des hommes, objectivation qui se transmet dans la langue sous le nom d’idéologie – ou d’abstraction désincarnée.
Le japonais est protégé de cette désertion de l’esprit par sa poésie intrinsèque. Apprendre à écrire, c’est apprendre à dessiner. Apprendre à parler, c’est visualiser les mots que l’on prononce en images-kanjis. La liberté d’utilisation que confèrent ces kanjis laisse toute possibilité à l’esthétique et à la poétique, mais la rigueur de l’apprentissage de ces mêmes kanjis rend très clair le sens précis des mots. Comme l’étymologie est contenue dans les mots eux-mêmes, il devient beaucoup plus difficile de détourner le sens des mots, première arme des révolutionnaires et des ignorants qui jouent pour leur perte, à leur insu. Au Japon, celui qui ne sait pas sait qu’il ne sait pas, puisqu’il ne connaît pas les kanjis, et esquive l’attitude de ces idiots imbus de leur personne qui croient sortir de la cuisse de Jupiter alors qu’ils ne font qu’émerger des dépotoirs de la pensée, cloaques infâmes, qui se nomment partis. Détourner un mot de son sens, en japonais, reviendrait au succès d’amalgame de l’extrême droite et du nazisme : quels imbéciles sommes-nous devenus pour en être arrivés à ne pas comprendre une expression pourtant transparente : socialisme national...
Le point fort du japonais, toujours par l’existence des idéogrammes, est son inertie qui rend impossible l’abandon de l’histoire : pour cela, il faudrait, comme la révolution française, couper tous les liens du passé, et commencer par massacrer tous ceux qui maîtrisent les kanjis, ce qui ferait beaucoup de monde – pour nos révolutionnaires, c’étaient les catholiques, qui sont massacrés physiquement et spirituellement depuis plus de deux siècles.

En sus de tous ces avantages, le kamikaze japonais repousse l’invasion étrangère, justifiant son appellation de « vent divin ». L’esprit de la langue et la difficulté de son apprentissage désamorcent toute possibilité d’intrusion d’un mauvais élément dans la société japonaise : même le révolutionnaire socialisant, élevé dans la gauche française et qui aurait suffisamment appris – c’est-à-dire parfaitement car, sans un très haut niveau, il est impossible de se faire entendre au Japon – la langue ne pourrait rien. Le simple apprentissage du japonais lui aurait fait découvrir son vide intérieur, et il ne serait plus socialiste que de nom, son idéologie réduite à l’impuissance, et sa sensibilité vis-à-vis du mystère enfin découverte.

Quand on se penche sur le cas du français, il devient difficile de ne pas être pris de désespoir. Si encore sa seule faiblesse était de ne pas profiter du système idéographique, si supérieur au système alphabétique, son rétablissement ne saurait être si difficile. Le mal de notre langue est d’avoir été à l’origine du mal moderne, par les Lumières et leurs continuateurs, et, en cela, de présenter une déformation des mots et de la langue, en plus de son appauvrissement, qui est terrible.
La restauration passe par la restauration de la langue, de la discipline dans son apprentissage, et dans la recherche de l’histoire des mots, des expressions et du vrai sens.

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Empereur du Japon

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