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Nouvelles Causeries japonaises – Pour une connaissance incarnée

Nouvelles Causeries japonaises

XXIII – Pour une connaissance incarnée ou la philosophie du kano yô ni

À Hiyoshi

« Le héros est un historien. Il pense écrire l’histoire sérieusement, il se voit donc obligé de se confronter au problème de la façon de manipuler l’histoire et les mythes. […] Même si notre héros affirme clairement que les mythes ne sont pas de l’histoire, il reconnaît néanmoins la nécessité de sauvegarder les choses essentielles de l’existence humaine enveloppée par les mythes et les légendes. Il croit ainsi que le travail des hommes en général et des scientifiques en particulier est de conserver et de maintenir ces choses essentielles. […] Qu’est-ce que “la philosophie du kano yô ni [1] ?” C’est ce qui naît chez les artistes, les scientifiques ou les religieux quand ils pensent qu’un élément qui se trouve au fondement de ce qui a de la valeur pour l’existence humaine possède ce genre de chose [2]. […] Comme le kano yô ni est toujours le fruit d’une pensée produite de cette façon [3], il ne possède pas une existence réelle ou factuelle. Notre héros refuse cependant d’utiliser cette impossibilité de prouver l’existence de certaines choses tel un paravent et de s’associer à ceux qui nient l’existence des devoirs et l’existence du divin. […] Notre héros n’accepte pas de considérer les mythes comme de l’histoire, mais il lui est impossible de se joindre aux iconoclastes [4]. C’est dans cette impasse qu’il emprunte l’appui de la philosophie du “kano yô ni”. Cette philosophie n’est ni une philosophie de destruction ni une philosophie inflexible. Le lecteur doit bien comprendre que cette philosophie, qui naît quelque part entre la claire intelligence et la conscience-cœur, et entre progressisme et conservatisme, est une sorte de sens commun des gens s’adonnant à la connaissance [5]. »

Le petit discours de Koizumi Shinzô, précepteur du Tennô actuel dans l’après-guerre, dévoile une appréhension de la connaissance naturelle – s’il en est –, connaissance naturelle trop oubliée et niée dans nos sociétés n’adulant plus qu’une raison désincarnée et systématique. Afin de mieux comprendre le message transmis, rappelons un fait propre à l’historiographie japonaise : de tout temps, et encore aujourd’hui, une façon classique de faire de l’histoire, en plus des méthodes dites « scientifiques », est de se référer aux légendes japonaises qui sont réputées avoir un fond de vérité. Le discours précédent se place dans un contexte de critique marquée contre cette tendance de l’après-guerre chère aux tenants anti-sociaux d’une raison aride. Leur thèse est simple : un peu de sacré, un peu de mystère suffisent pour condamner irrémédiablement à l’obscurantisme ceux qui en parlent et pour les exclure du champ scientifique. Ce courant n’a heureusement pas de succès au Japon, et Koizumi nous rappelle avec force l’importance de ne pas tomber dans des schémas manichéens et marxistes du blanc et du noir. Il n’hésite à parler du devoir du chercheur, devoir qui s’apparente plus à celui d’un sage, comme dans l’ancien temps, dont l’objet principal est d’approfondir la connaissance vivante et chaleureuse du monde et des hommes au profit de l’homme en tant que personne spirituelle et morale. Nous sommes très éloignés d’une simple mécanique ! Koizumi refuse de dissocier l’indissociable et de tomber dans le piège de croire que tout est explicable, et donc celui de nier tout ce qui ne s’exprimerait pas par des mots ou des éprouvettes. Il affirme que les mythes ont aussi à jouer un rôle dans l’histoire du Japon ; il ne s’agit pas de devenir fondamentaliste et de prendre tout au pied de la lettre, bien entendu, mais – au contraire – l’historien-théologue doit justement exercer sa force d’interprétation et sa mesure pour tenter, humblement, d’éclairer ces fondements.

Vous l’aurez compris, ce kano yô ni ressemble à tout ce qui est abhorré sur la place publique en France : convictions, spiritualité, mystères, humilité, ouverture sur la métaphysique et sur d’autres modes de pensée. Bref : l’homme en entier, avec son cœur, sa raison, sa sensibilité spirituelle, sa nature, qui, même si les substantifs sont différents, restent en réalité confondus. La frontière n’est que rhétorique, donc irréelle : la raison pure de tout conviction n’existe pas ; le sentiment pur de toute raison et de tout passion n’existe pas davantage. Le mal de l’Occident est de croire à ces idoles dont la plus destructrice demeurent l’idéologie ou l’exercice impossible d’une raison désincarnée, indépendante, inhumaine, prétendue raison qui, dans sa contradiction même, amène la tyrannie et le totalitarisme, puisque les personnalités se voient niées dans leur entier, dans leur intégrité.

Le kano yô ni bannit systèmes et conclusions absolument définitives. Il s’enracine aussi dans ce que l’on pourrait appeler le « sens commun », ou le bon sens, qui ne peut jamais vraiment se saisir, ni se définir, ni s’exprimer, mais qui est et qui est absolument nécessaire à ceux qui s’adonnent à la recherche de la connaissance afin qu’ils puissent devenir des sages et des maîtres.

Les illuminés s’évertuent à nier cette réalité, mais ils n’ont que de pâles mots pour ce faire. L’expérience et la vie ne peuvent que révéler toujours plus évidemment et incontestablement ce genre de choses indéfinissables et insaisissables, au grand dam de l’ambition mal placée des hommes. Péché d’hybris subsistant toujours chez tout le monde, mais qu’il faut travailler à anéantir par l’humilité et la modestie, en n’oubliant jamais notre condition humaine.

Résignation et acceptation du mystère ne sont-ils pas le début de la connaissance ?

— Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Signifie à la fois « ce genre de chose » et « comme cela ».

[2Kano yô ni.

[3Kano yô ni.

[4Il parle bien sûr de ceux qui détruisent le sacré pour le sacré.

[5Minamoto SEBATA, De l’empereur symbole de Koizumi Shinzô : Teishitsuron et histoire de George V (小泉信三の象徴天皇論:『帝室論』と『ジョオジ五世伝』を中心として), Université de Ichibashi, Shakai Kagaku, volume 2, 2007, p. 44 : « 主人公は歴史家である。誠実に歴史を書こうとする者には、神話と歴史をどう取り扱うかの問題に逢着しなければならぬ。(中略)主人公は、神話は歴史でないと言明しても、神話の包んでいる人生の重要な物は保護し て行かれる、彼れを承認して置いて、これを維持して行くのが学者の務め、人間の務めだと信じているのであ る。(中略)「かのようにの哲学」とは何か。およそ学問でも、芸術でも、宗教でも、人生の価値のあるものは、 その根底において或る物を有る「かのように」考えることによって始めて成立する。(中略)「かのように」は 何処までもこのように考えられたもので、真実存在するものではない。しかし、その或るものの存在が証拠立てられないということだけを楯に取って、神を否定し義務を否定する者には与みしない。(中略)主人公は神話を歴史とすることを肯んじないが、しかもまた偶像破壊に与みすることは出来ぬ。ここにおいて彼れは「かのようにの哲学」に足場を借ろうとする。この哲学は破壊者の哲学ではなく、また頑冥者の哲学ではない。読者はここに透徹せる理智と、誠実な心術と、そうして急進と保守との間に介まれた、かかる理智ある者の一種の諦念を認めざるを得ぬ。 »

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